L’azur du ciel avait tourné au gris. S’élevant sans un bruit, le vent dansait à travers les landes désertes d’une toundra désaimée. S’échouant sur le sol, flocon d’espoir vitrifiant un présent alangui, la neige s’échouait à perte de vue sur les paysages déserts. Ses mains serrées en boule contre ses lèvres, Elias grappillait les fragments de chaleur encore abandonnée à son corps. Mouillé jusqu’aux os, sa chevelure solaire plaquée à son front, le gamin observait l’embouchure du trou dans lequel il résidait depuis de trop longues minutes déjà. Peut-être cela faisait-il des heures, il ne savait plus. Pour tout horizon cette lucarne de gris, il sentait le froid s’élever en ses poumons alors que ses lèvres bleuissaient. « Brother, get me out of here. » Animal gémissant à l’aide, le jeune Koschei ne savait plus faire la différence entre ses larmes et les eaux gelées l’entourant. Souffrant l’horizon clos de sa pénitence, le gamin avait tant essayé de s’agripper au mur afin d’entamer son pèlerinage vers le ciel que ses doigts glacés lui étaient devenus étrangers. Plus de sensation dans les membres, rien que cet Arctique coulant désormais dans ses veines, Elias avait perdu le fil de ses espérances. Souhaitait-il que son frère le sorte de là ou attendait-il que ce dernier l’abandonne à ce froid ? Le corps à moitié immergé dans l’eau du puits, il n’avait plus même la force de se tenir sur ses jambes défaillantes, les fleuves tièdes de l’insomnie quittant ses paupières alors que le noir le prenait. « You need to understand, Elias. Do you ? » Levant ses paupières sur la silhouette devenue horizon, le jeune Koschei regrettait la grisaille du ciel alors que son frère en bloquait le ballet lancinant. « I am cold, Drago. So cold. » Les mots peinaient à s’échapper de ses lippes gelées alors que ses paupières se fermaient de leur propre chef. L’enfant soleil s’éteignait fragment par fragment, perdant un peu de lui partout où il allait. Il avait tant touché de gens qu’il ne savait plus d’où tout ce noir venait. Il faisait nuit en lui à cet instant et Elias avait fini par oublier que les ténèbres n’étaient pas son élément.


Le poing était parti sans que le jeune Koschei ne puisse en appréhender la violence. Désarçonné par le choc, le gamin s’était laissé tomber sans vie. Allongé de tout son long dans la poussière, le divin blond contemplait les espaces mortifères d’un ciel n’étant pas sa maison. Volastar avait des allures de machinerie. Les pions de son échiquier croupissant sous son étendard alors que l’espace venait à manquer. Trop habitué aux étendues de son village de rien, le gamin n’avait pas encore pris goût au bruit incessant d’une ville animée en permanence. La douleur irradiant sa pommette droite, Elias ne chercha pas à se relever. Les ombres s’approchaient, menaçaient de l’avaler, pourtant il ne bougeait pas, certain de ses choix. Bientôt, son frère le toisait de toute sa hauteur, un sourire satisfait aux lèvres alors que ses bottes frôlaient la carne de son cadet. Les yeux rivés sur le cuir des chaussures de Dragomir, Elias se demandait ce qui se passait par sa tête. Est-ce que lui aussi se demandait le mal qu’il pourrait faire d’un coup de pied bien placé ? Reposant les yeux sur le visage de son frère, il contemplait son sourire ineffable et la noirceur de ses prunelles. Ces iris sans rivages dans lesquelles il se perdait depuis tout gamin incapable de résister au naufrage qu’elles lui promettaient. S’accrochant à la main tendue en sa direction comme s’il s’agissait de sa bouée de sauvetage, le gamin laissa son ainé le soulever avec aisance alors que ce dernier se mettait à rire en le secouant gaiment. « We are going to do great things you and I, brother. Things you cannot even fanthom yet. » Hochant lentement la tête, Elias se souciait peu des promesses de son frère. Il n’en avait que faire de cette grandeur promise par tous les membres de sa famille. Il n’en avait que faire de leurs espoirs et de ce poids qu’ils posaient sur ses épaules. Lui, il voulait juste être heureux.

« Do you remember when we were kids ? You were always running after me, trying to get my attention. Like an overjoyed puppy. » Elias retira ses gants avec précaution, le cuir couleur de jais immaculé de sang. Sortant de la poche de son costume un carré de tissu blanc, il entreprit de limiter les dégâts, épongeant le carmin qui avait déjà commencé à imbiber le tissu de sa chemise. C’était une hécatombe, le massacre en ses songes ayant dégouliné dans la vraie vie pour que le pourpre vienne bénir de ses torrents le sacre de ses nouveaux contrats. À ses pieds, une silhouette sans vie résidait en son dernier repos, les traits tirés par la peur et l’espace entre ses côtes ouverts afin que tous puissent en contempler la mécanique. Le Koschei était un horloger de malheur, démontant les palpitants pour en comprendre le fonctionnement. Le blond ne savait juste pas comment les remettre en place, cet organe trop étranger pour la coquille vide qui ne se souvenait plus de la saveur de ses battements. Comme toujours, c’était un scénario marqué par la mort du mauvais homme. Juge et bourreau, les Koschei se repaissaient de leurs victimes sans se soucier de l’horreur de leurs actes. Il était des nuits plus sombres que d’autres, l’ébène en leurs veines avalant toute lumière sur leur chemin. « Who would have thought that losing your child, then losing your wife would have made you a real man. You even got the girl you have been pining for. The universe works in mysterious ways. » Un sourire sans chaleur étira les lèvres de Dragomir alors que le louveteau lui faisant face le contemplait avec indifférence. Il était une époque où il contemplait son frère impressionné par cet être plus grand que nature. Désormais, il contemplait sa stature en se demandant comment quelqu’un d’aussi imposant pouvait être aussi vide. Il se demandait comment il avait fait pour finir une pâle copie de ce monstre d’avidité que rien ne pourra jamais combler. Il se demandait comment deux loups enragés pouvaient paraître si tristes. Le sang de leur victime recouvrant leurs traits défaits alors que même la satisfaction du crime commis se dissipait les laissant vides et glacés de ne savoir que faire pour exister. « You should get this money to the Valaeris, as a gift and a token of our faith in the new queen. » Les traits soudainement figé en une grimace de dégout, Drago hocha sobrement la tête alors qu’il récupérait leurs butins et l’entassait dans un sac en toile. « I sometimes forget you are the big boss. » Sa voix était imbibée de mépris, le venin dégoulinant de ses mots une brûlure qu’Elias avait appris à supporter. L’ainé Koschei était jaloux et son cadet n’avait cure de ses pauvres sentiments blessés. Il n’avait cure de plus rien si ce n’était de cette entreprise familiale ayant faite de lui un louveteau enragé. « You should not. »