Elle est étrange, la petite nymphette vagabondant dans l'entrelacs de couloirs du palais, poursuivie de la cavalcade clinquante de ses talons fouettant le sol avec enthousiasme ; en témoignent la myriade de mirettes stupéfaites s'agrippant à sa silhouette fugace sans qu'elle n'en prenne ombrage, trop à sa joie de surprendre le Taerhin de sa rayonnante présence. Il faut dire que l'occasion était unique — un client dispendieux, la réclamant dans les hautes tours de l'édifice impérial. Pas forcément distrayant, mais qu'y pouvait-elle ? On ne tue pas les clients, l'avait-on grondée à sa première incartade. Une histoire de rentabilité — quelque chose dans ce genre-là. Elle n'avait, à vrai dire, guère écouté la pluie de remontrances s'épanchant sur son instabilité délirante. On l'aurait préférée docile et malléable, mais on ne pouvait pas non plus s'en débarrasser ; à cause de ce charme à la fois candide et sensuel, de cette manie qu'elle avait de s'attacher d'un sourire les amants les plus fortunés, égérie fantasmée qui, d'intuition, savait quel comportement adopter, quelle carte jouer. On lui concédait cette ruse-là, en dépit de son apparente ingénuité — parce que sa naïveté n'était qu'une bribe de caractère tantôt dominante, tantôt soumise à d'autres instincts intimes ; qu'on ne pouvait la résumer à cet aspect comme on ne pouvait résumer l'entier firmament à une seule étoile, toute éclatante fut-elle. Parfois, comme aujourd'hui, ses humeurs se taisaient, étouffées, mâchonnées par l'une de ces gargantuesques allégresses que, partageuse, l'enfant des cieux communiquait dans son étoilé sillage d'un rire argentin. Suivie d'un homme qui avait généreusement cédé à sa demande d'escorte (ou plutôt, le mensonge de s'être prétendue bourgeoise nécessitant protection), elle se retrouva finalement (après abondance de demi-tours) sur le seuil de la chambre de Jon. Enfin. Sans préambule, la Sokolov poussa la porte et se précipita à l'intérieur, tornade acidulée d'euphories infantiles. « surpriiiiise ! » qu'elle cria en lui sautant dans les bras, plantant un léger baiser sur ses lippes. Shae, c'était un mélange d'insolence et de candeur, de talons trop hauts et de robes bouffantes ; elle avait de ces présences rafraîchissantes, aériennes — presque immatérielles et pourtant manifestes. « comme tu ne venais pas à moi, je suis venue à toi ! et, comme je suis la plus merveilleuse des amies, je ne suis pas venue les mains vides » et d'un geste de la main, elle invita l'homme resté dans l'ombre à s'avancer, lui remettre une boîte remplie de petits gâteaux colorés qu'elle planta, toute guillerette, entre les mains du mêlé. « j'ai demandé au cuisiner de les faire comme si sa vie en dépendait ! » qu'elle annonça, toute fière. A vrai dire, ça n'était pas tout à fait faux ; elle avait dû menacer de les faire elle-même et de manquer de brûler la cuisine pour qu'il cède à son caprice. Mais qu'importe ; le résultat était là. Quoique pas entièrement, puisqu'elle n'avait pu s'empêcher d'en grignoter quelques uns pendant son trajet — c'est qu'il était impitoyablement grand, ce maudit palais ! L'errance lui avait semblé durer des siècles, pis encore lorsqu'elle songeait à ses pieds douloureux. Quels sacrifices ne faisait-elle pas pour contenter son adorable Jon. « j'espère que tu n'as rien de prévu, aujourd'hui » et voilà que son sourire s'ombra d'un doute ; mais tout disparut, et ses lèvres se pâmèrent d'un grand sourire. Bien sûr qu'il n'avait rien de prévu ; et puis, dans le cas contraire, il n'avait qu'à tout reporter.  « ça ne peut pas être plus amusant que de passer la journée avec moi, de toute façon. » l'évidence était telle que même Jon ne pouvait la manquer.