On ne fait pas attendre le roi, c'est un fait. C'est une grande marque d'impolitesse et d'irrespect, parce qu'il faut bien savoir qu'un monarque a autre chose à faire que de perdre de son précieux temps à vous attendre. Ou en tout cas était-ce ainsi que Geller, le père de Cedraella, avait toujours raisonné. Remarquez, l'oncle de la jeune femme, Ingmar, n'était pas en reste non plus concernant ce genre d'adage. En tout cas, c'était quelque chose que la jeune femme comprenait parfaitement. Elle-même n'était pas Reine, ce qui était une bonne chose, et pourtant, elle n'avait pas tant de temps que ça pour elle. Il fallait dire qu'elle accumulait un certain nombre de charges, et qu'elle occupait conjointement plusieurs postes importants. Ce dont elle était loin de se plaindre, et ce qu'elle assumait avec brio. Ou en tout cas, suffisamment pour qu'elle n'ait encore jamais eu la moindre remarque à ce sujet. Le pendant négatif de tout ceci, si l'on peut dire ça comme ça, c'est qu'elle était parfois contrainte d'être plus expéditive qu'elle ne le voudrait et ne pourrait l'être. Mais certaines affaires avaient la préséance, et il fallait donc savoir être brève, concise mais néanmoins claire concernant certaines autres affaires.  Ce qu'elle espérait avoir été, il y a quelques instants, quitte à traumatiser quelque peu celui qui avait encouru et subi ses foudres.

Mais, que voulez-vous, elle avait le sens du devoir, et le Roi d'Eartanera, Adonis Griffith lui-même, l'attendait pour une séance d'entraînement. Ou plutôt était-elle censée arriver avant lui ... Mais elle avait dû gérer deux ou trois soldats qu'elle avait jugé un peu trop éméchée pour bien remplir leur charge, et ... Et il avait fallu ce qu'il fallait. Elle se rattrapait en accélérant le pas, non sans remettre un peu d'ordre dans ses habits et ses coiffures, avant de pénétrer dans la salle où Adonis était censé la retrouver plus tard. Sauf que, visiblement, à voir Azzha ainsi postée devant la porte, cela n'était pas bon signe ... Elle présenterait ses excuses. Et on verrait bien s'il lui en tiendrait rigueur, son roi. Celui-là même dont elle avait favorisé l'accession au trône en égorgeant feu son royal père, sur ses ordres à lui. « Me voilà ! Avec toutes mes excuses pour ce contretemps, mon Roi ... » Ils étaient plus que de simples relations de travail, et il existait, avant même qu'il ne devienne roi, autre chose que de simples rapports hiérarchiques entre eux, n'est-ce pas ? Sans parler de ce qu'il semblait lui réserver pour l'avenir.

Aujourd'hui, plus personne ne s'étonnait de la voir en mesure d'emprunter les chemins les plus courts quand Cedraella se rendait d'un lieu à l'autre à travers le Palais. Ce Palais dans lequel elle était née, et dans lequel elle avait toujours vécu, étant des K'han qui n'avaient point fait de Herindy leur nouvelle résidence, après que le fief leur ait été adjoint de par leur récent anoblissement. Et fort heureusement pour elle, elle avait quitté l'enfance depuis suffisamment longtemps pour ne point se faire rabrouer par quelque domestique, tout ça parce qu'elle courait dans les couloirs et qu'il était défendu de le faire. Un instant, elle songea tout de même au coup de pied dans l'arrière train que son oncle Ingmar était encore capable de lui promettre, si jamais il la voyait faire ... Même si, présentement, ses fesses semblaient bien plus menacées par Adonis plutôt que par son cher oncle. A moins que tout ceci ne soit qu'une menace lancée en l'air, rien que pour la faire réagir, non sans manifester, discrètement, le fait qu'elle était tout de même en retard, Cedraella. Cela lui arrivait peu de fois, et ce en dépit du fait qu'elle avait toujours fort à faire, et qu'elle ne possédait guère d'instant de répit, même si, ça, c'était en partie parce qu'elle voulait qu'il en soit ainsi. L'immobilisme l'effrayait quelque peu. Les morts sont immobiles, or, elle, elle était encore vivante, et entendait le rester pour encore un paquet d'années. De toute façon, sa mort réelle ne satisferait sans doute ni le Roi Adonis, ni son épouse, la Reine Izolda. Mais seraient-ils capables d'aller la chercher par la peau des fesses jusqu'à la frontière entre la vie et la mort pour lui signifier que, non, elle n'avait pas leur autorisation pour s'esquiver ainsi sans leur accord ? La question ne se posait pas vraiment, en fait, alors même qu'elle s'inclinait juste ce qu'il fallait pour marquer sa loyauté, son obéissance et sa soumission. « Ce serait un honneur, mon roi, que de vous voir baptiser votre lame de mon sang ... Et je suppose que ce serait là une fin des plus ironiques pour moi, n'est-ce pas ? » Cedraella n'avait point besoin de rappeler au jeune homme qu'elle était celle qui, en son nom et sur son ordre, n'avait ni plus ni point commis un régicide en égorgeant purement et simplement feu l'ancien Roi Thomas, n'est-ce pas ?

Adonis ne lui renvoyait pas de sourire, initialement, et il ne l'avait même pas enjointe à parler, mais elle le connaissait depuis assez longtemps pour savoir déchiffrer suffisamment bien ce petit jeu là afin de bien comprendre ce qu'il en était réellement. Elle savait donc le prendre à contre-pied, sans se montrer irrespectueuse ou insolente. De toute façon, il saurait bien le lui faire sentir, si elle franchissait une limite défendue, non ? Elle avait en tout cas visé juste, et ses propres lèvres s'étirèrent d'un sourire amusé. Non sans qu'elle ne regagne son sérieux face à la demande royale. Et une lueur particulière passa alors dans son regard, alors qu'elle se saisissait de la dite arme. Elle prit son temps, la faisant pivoter sans trop de mal. La jeune femme avait des facilités dans le maniement des armes, et il ne fallait donc point se fier à sa silhouette bien féminine. Certains s'obstinaient stupidement à concevoir les femmes guerrières comme des corps devenus bien trop masculins pour encore convenir à tout mâle attiré par le galbe du sexe prétendument faible. Il n'en était rien, et Cedraella en était le parfait exemple. Mais là n'était pas la question. Le fait était que son Roi se remettait encore des différentes épreuves qu'il avait récemment traversé, alors qu'elle avait quelque habitude supplémentaire, de base. Il lui demandait son avis, dans tous les cas, et elle allait le lui donner, en toute honnêteté. Laissant de côté les petits jeux et le vouvoiement feint. Ils étaient en privé, et se connaissaient depuis suffisamment longtemps pour qu'elle puisse légitimement le tutoyer. « Le pommeau offre une bonne accroche, de sorte à ce que cette épée ne te glissera pas des mains, pour peu que tu saches bien la tenir. La lame est équilibrée, et bien taillée. » Glissant délicatement une paume sur le tranchant, elle grimaça à peine face à la morsure immédiate, mais ne maintint pas pour autant le contact de l'acier contre la chair. « Et elle est bien affûtée. Le matériau est de qualité, et l'artisan y a visiblement mis du cœur à l'ouvrage. A n'en pas douter, c'est une épée à ta mesure, et digne de ton rang. » Lui tendant de nouveau l'épée, un petit sourire cynique s'accrocha dans le coin de ses lèvres, alors qu'elle attrapa un morceau de tissu enroulé circulairement à son poignet pour s'en faire un bandage de fortune, là, autour de sa paume quelque peu meurtrie. « La voilà à présent baptisée, et, ne m'en veux pas trop, mais la tentation de ce privilège unique était trop forte ... Tu as donc ma parole que si l'envie de te dit toujours de me faire regretter mon retard relatif, je ne souffrirais point, car la lame fera son office à merveille et sans me laisser la moindre chance. » Izolda risquerait alors d'en être fort contrite, du moins Cedraella l'espérait-elle. Quant à Isaak, sans doute y verrait-il là une occasion d'ôter de son pied l'épine que représentait sans doute pour lui leur futur mariage ...