Terrain neutre, à la frontière entre Aeristin et Eartanera. Pour une rencontre au sommet, entre les deux vipères d’Aksana. Lettre polissée qu’il avait envoyé à celui qui s’érigeai clairement comme son ennemi. Adonis et Achille. Dans une vie parallèle, ils auraient pu s’entendre. Voir même être alliés. Mais le monde présent le leur interdisait. Tout les opposait, le terrible Vasara en avait bien conscience. Mais il avait tout de même tendu la main au roi nouvellement couronné. Pour voir quelles étaient ses intentions à son encontre. Si le vicieux devait se préparer à la guerre ou non. Tente dressée en zone dégagée. Afin que les bras armés des deux camps puissent voir les agissements de l’autre. Ils venaient en paix, certes. Mais la prudence était mère de sureté. « Adonis, quel plaisir de te revoir. Après tout ce temps. » Sourire hypocrite sur le visage alors qu’il invitait, d’un geste, l’Autre à s’asseoir. « J’espère que la route a été bonne, de Greenstall a ici. Et que vous n’avez pas rencontré de problèmes, de rebelles ou d’insurgés. J’ai entendu dire qu’Eartanera était en proie à des … agitations intestines. » L’inhumain se cala confortablement dans son fauteuil alors que son fidèle Jonah, homme de l’ombre, apportait les rafraîchissements. « Je sais que ton amitié avec Elizaveta remonte à de longues années. Amitié améliorée, fût un temps, n’est-ce pas ? Et c’est cela qui a valu à ton nez cette forme unique, si je ne me trompe … Enfin. Même si je respecte totalement le lien qui t’unit à cette femme, je sais également que tu n’es pas idiot. Tu sais ce qui se passe à Aeristin. Tu sais que je suis la voix contestataire. La voix du peuple, qui réclame le départ de notre souveraine. Alors, ma question sera simple, Adonis. De quel côté souhaites-tu être ? Rester loyal et te retrouver parmi les perdants ? Ou faire preuve d’intelligence en t’alliant aux futurs vainqueurs ? »

« Rien de suffisant pour perturber un convoi royal, je te rassure, Achille. » Sourire sardonique sur le visage poupesque du maléfique. Et la mortification interne de ne pouvoir utiliser ce terme chéri s’apparentant à la royauté. Rappel insidieux qu’il n’était rien, rien d’autre qu’une simple vermine, un parasite agaçant dont il été aisé de se débarrasser. Le Vasara le voyait parfaitement, dans le regard doré du roi nouvellement couronné. Il lisait en lui. Tout l’agacement du monde. Une fois ses bonnes manières abandonnées et son véritable visage révélé, le terrible n’avait plus rien d’agréable. Simple serpent qui aimait à semer son venin partout où il passait. Qui se créait des ennemis partout où il passait, une fois qu’il délaissait son masque de véritable Saint. « Mon allégeance ne se place qu’en faveur des dirigeants légitimes, de ceux qui savent mener leur nation au-devant du progrès et, surtout, de la paix. Ce n’est un secret pour personne. » C’était un combat de lions polissé. Sourires faux et accents courtois. Que de dissimulation pour ces deux êtres que tout semblait opposer mais qui, pourtant, étaient infiniment semblables. Dans un univers alternatif, Achille et Adonis auraient pu être amis. Mais, dans celui-ci, ils étaient David et Goliath. Faits pour la destruction de l’autre. « J’ai effectivement entendu parler de tes quelques tentatives d’ébranler la couronne d’Elizaveta. Tentatives appuyées par mon frère, évidemment. Qui d’autre pour justifier l’utilisation des mutants ? » Deux enfants nés avec des ambitions terriblement démesurées et cette envie viscérale se voir couronnés. Les dissensions familiales, le charisme, la volonté. Ils avaient tout en commun. Eros était la Scylla d’Adonis. La plus grande faiblesse incarnée par les plus traîtresses âmes qui soient. Cruelle ironie que les deux enfants terribles ne puissent s’entendre. Parce que l’entretien venait peut-être de débuter, mais le Vasara décelait déjà quelle en serait la conclusion. La guerre. Immanquablement. Puisqu’aucun d’eux ne voudrait revenir sur ses positions. Face à face inutile mais pourtant nécessaire. « Je suis ravi d’entendre qu’une fois la couronne posée sur mon adorable tête, ton allégeance me sera acquise. Tu ne me connais pas, Adonis. Tu te contentes d’une mauvaise image, si fausse. Moi, je vois au-delà des apparences. Je vois plus que le minet ayant mis un bâtard dans le ventre de certaines et aimant à fréquenter les draps interdits de notre ancien empereur. Tu devrais faire de même. L’ouverture d’esprit, tout cela. Je suis pour la paix et le progrès, je suis pour la polygamie, l’inceste et les commerces illégaux. Je suis pour l’assouvissement, le règne du mal et la destruction. Mais en tout bien, tout honneur, bien entendu. » Il se voulait maître d’un monde nouveau, des Enfers sur terre. Il voulait créer un climat chaotique où les péchés remplaceraient les vertus. Le machiavélique instaurerait sa propre version de la paix et du progrès. Vers le mal. Toujours les abîmes et les profondeurs de la déchéance. « Les premières tentatives ne sont jamais les plus fructueuses, tu le sais bien. Qui sait, peut-être que mon chemin me mènera vers les geôles avant de me renvoyer vers les cieux et le trône. Mais j’aurais sa couronne, son peuple, sa place. Je lui prendrais tout. Tu sais ce qu’un homme déterminé est capable de faire. Tu l’as été autrefois, il me semble. Réfléchis, Adonis. Je t’offre l’avenir et une alliance durable. Ainsi qu’une possible réconciliation avec ce cher frère, que tu détestes et que tu aimes. » La famille. La corde sensible. C’était moche de jouer sur ce point. Mais depuis quand les actions d’Achille étaient-elles admirables ? « Vous devriez réfléchir, Votre Majesté. Prendre le temps de peser le pour et le contre avant de rejeter mon offre. L’important n’est-il pas ta nation et non ton cœur ? Ce cœur si facile à s’accrocher à autrui. Je te ne blâme pas de vouloir t’envoyer en l’air avec tout ce qui bouge et je sais reconnaître une belle femme quand j’en vois une. Mais Elizaveta est finie. Son ère est terminée. Accepte-le. Pense au futur, aux morts que nous pourrions éviter, si l’on travaillait ensemble. Je suis malsain, dévoyé et imprévisible. Mais je tiens mes paroles. »