Les servantes terminent de poser le long veston de soie que j'ai rapporté de la capitale sur mes épaules. Comme à son habitude, Ernest est absent, trop occupé à conseiller l'usurpateur. Cette solitude me plaît. N'avoir personne avec qui faire de minces conversations et de faux sourires me permet d'être moi-même.  Sauf qu'il y a bien ce vide cruel au creux de ma poitrine. Celui de la fuite de mon cadet. Idriss est parti, renié par mon époux et supprimé de cette famille. Une partie de moi l'envie. J'aurais dû fuir la prison dorée dans laquelle je vis depuis si longtemps mais jamais je n'aurais pu abandonné mes fils et encore moins la proximité avec le trône. Celui de mes ancêtres, celui qui acceuille aujourd'hui un païen trop faible pour garder le contrôle sur l'empire. Si Camilla était encore en vie, jamais cela ne serait arrivé. Je maudis ceux qui m'ont tout pris. Je maudis la gamine qui a volé le coeur de mon fils. Plus que jamais, je me sens seule. Mais d'une certaine façon, la solitude est devenue ma plus précieuse alliée. Elle me permet de disparaître, de construire le mensonge de la dame mélancolique et brisée. Car en réalité, je brûle de l'intérieur. Un désir de renverser l'état actuel des choses. Amante du chaos pour mieux renaître des cendres. Je ne prendrai pas la couronne par la force mais par adoration. Méticuleuse destinée que je forge telle l'épée tranchant l'ennemi. Je fais signe à mes dame de chambre de me laisser tranquille d'un simple geste gracieux de la main. Elles se retirent toutes alors, sauf une, qui se permet d'avancer jusqu'à moi avec prudence.

- Votre fils est ici. Il est au salon et...

Je ne la laisse pas terminer. Je la contourne sans plus de cérémonie et m'élance vers la pièce de repos. Idriss est revenu. Mon coeur s'emballe, il s'éveille alors qu'il a toujours été comateux au creux de mes entrailles. Lorsque j'entre dans le salon, je me stoppe net. Ce n'est pas Idriss, mais plutôt Yoric. Le portrait tout craché de son père. Je sais que c'est ma faute si Ernest a pu le modeler en parfait petit soldat. Ma joie de savoir le cadet revenu à la maison s'estompe, et je retrouve mon calme habituel. Ma froideur qui m'vient si naturellement. Yoric est le fils difficile, celui que j'ai longtemps tenu loin. Je ne saurais l'expliquer. Pourquoi lui ? À sa naissance, j'étais en colère contre le monde, isolée et déprimée. Il ressemble tellement à Caleb, s'en est perturbant. Fantôme venu se moquer de moi. Mais Yoric, je l'aime. C'est mon fils. Je n'ai malheureusement jamais su lui faire ressentir cet amour. Alors aujourd'hui, j'ai l'impression de poser les yeux sur un étranger venu s'introduire dans ma demeure. Incompris, mal-aimé. Un pincement au coeur vient tourmenter mon myocarde inanimé. Depuis la mort de ma soeur, je voudrais savoir exprimer tout l'amour que j'ai pour lui et ses deux frères. Entourée de prédateurs, j'ai appris à dissimuler mes faiblesses, les supprimer totalement. Malheureusement, Yoric en est une, et le sera toujours. Si seulement j'avais pu exprimer tout ce qu'il est pour moi par le passé... peut-être que je ne me sentirais pas aussi coupable de le voir aujourd'hui évoluer parmi les monstres qui hantent ce royaume maudit. Je ne peux pas changer le passé et j'espère qu'il n'est pas trop tard. Qu'il existe encore une âme à sauver chez ce fils étranger. Camilla est morte, Idriss est parti. J'vais m'accrocher à Yoric, à Harald comme si ma vie en dépendait. Pour le moment, je rumine la fureur du départ de mon cadet. Je ne le cache pas, je suis en colère. Je tremble de la tête aux pieds mais c'est une voix sans émotions qui s'exprime alors.

- Je te croyais à la capitale. Que me vaut ta visite ? Si c'est bien pour me voir ; la raison de ta présence ici.

Je m'approche et vient m'installer sur un des somptueux divans. Je croise les doigts devant moi, aussi rigide que je l'ai toujours été. Je plonge mon regard bleu dans le sien. Le coeur du garçon est définitivement plus semblable aux Swanson mais alors que j'analyse les traits de son visage, je ne peux nier la ressemblance frappante qu'il a hérité des miens.