Les larmes qui coulaient sur son visage, alors qu’elle fuyait le berceau où elle avait passé toute sa vie lui brouillait la vue, mais Laurel se contentait de les essuyer du revers de la main sans prendre la peine de s’arrêter. Elle ne pouvait se permettre un tel impair, car le prix à payer serait celui de sa vie et elle y tenait encore, pour le peu qu’il lui en restait. Le bas de sa robe fouettait le sol, de plus en plus souillé à mesure que ses pas la menaient aussi loin que possible de la capitale, loin de Flamaerin, loin de tout ce qu’elle avait connu et perdu dans cette guerre au dessein aussi destructeur que tragique.  Cal n’était plus, la dynastie Oshun s’était éteinte alors même qu’il poussait son dernier souffle. Un véritable massacre dont elle avait été la silencieuse spectatrice, et dont les images la hanteraient pour le reste de ses nuits. Dihya avait pris sur elle de protéger les arrières de sa maitresse, afin de lui permettre de fuir sans crainte d’être rattrapée. Drapée sous les tissus sombres de sa cape de voyage, avec comme seule protection cette dague qu’elle tenait de sa main crispée, prête à attaquer, la fille de feu devinait son sang bouillonnant, la rage éveillant en elle ce qu’elle avait tant cherché à réprimer, année après année. Cette aigreur qui teintait de sang sa salive, alors que ses dents s’enfonçaient dans la chair de ses joues, sa mâchoire crispée d’avoir ainsi été flouée. L’attaque avait été commandée par les Griffith, elle ne pouvait se défaire de cette idée. Le reflet d’Adonis s’accrocha à son esprit, et c’est en lui qu’elle reconnut le seul et unique responsable de ce carnage. Il devait se satisfaire de cette finalité, père et fils célébrant leur victoire alors que coulait encore le sang de leurs ennemis et des innocents qui n’avaient eu comme seule faille de s’être trouvés au travers de leurs routes.  
Elle entra en territoire ennemi au courant de la nuit, camouflée par la verdure des forêts des terres fertiles de cette partie d’Aksana. Laurel ne se permit toutefois pas de ralentir la cadence, malgré la faim et la soif qui l’assaillait de toute part, rendant sa respiration creuse, grasse en un râle presque bestiale. Un ciel sombre couvrait l’étendue de la contrée qu’elle foulait à pied, et la pluie ne tarda pas à s’inviter, le tonnerre et les éclairs se joignant aux tourments de la fugitive, dont les larmes avaient été asséchées par les petites flammes qui dansaient dans le creux de ses yeux. Foushin se trouvait désormais à portée de main et Laurel ne pouvait qu’espérer y trouver l’âme damnée de cet ami devenu étranger. Elle attendit sagement la venue de la nuit pour se faufiler entre les murs du château qui abritait le fils Griffith : les gardes à l’entrée le lui avaient confirmé, sans même qu’elle cherche à savoir. Des hommes qui auraient dû apprendre à se taire, mais qui avait lamentablement échoué à cette tâche pourtant si simple. Elle laissa son instinct la guider dans les méandres de ce vestige de pierre jusqu’à la conduire devant une porte close, et son feu trembla de la savoir si près du but.  Elle voulait venger Cal, venger l’empereur et tous ceux qui avaient péri en son nom pour cette sacrée sainte paix qui ne viendrait jamais. Les Hommes étaient trop orgueilleux, trop fiers pour se satisfaire de peu. Éteignant d’un geste rapide de la main les flammes des chandeliers qui encadraient l’entrée des appartements du prince d’Eartanera, elle n’eut que peu de difficulté à se glisser à l’intérieur, sa taille mince et effilée lui permettant de se faufiler là où d’autres n’y parvenaient pas. La porte se referma dans un claquement sonore qui faillit pourtant réduire à néant son plan. S’adossant au mur, elle laissa son regard vaquer sur la pièce, laissant la noirceur s’infiltrer dans son regard. Tel un chat, ses yeux s’adaptèrent à ce nouvel environnement, et la silhouette du fils de la terre se démarqua parmi les ombres qui dansaient autour d’eux. Elle sortit sa précieuse dague de son écrin dans un geste lent, mais le fin bruit de l’acier glissant contre son contenant éveilla les sens du Griffith. Elle aurait pu se taire, ne rien dire, se contenter d’attendre le meilleur moment pour frapper, mais Laurel était lasse. Si lasse. Et la patience ne suffisait plus. – Une vieille amie. – qu’elle répondit d’un ton leurrée, le sarcasme de ses propos lui lacérant les lèvres, sa voix rauque méconnaissable. D’un claquement de doigt, elle fit apparaître une toute petite flamme dans sa main toujours libre, qu’elle approcha avec lenteur jusqu’à son visage. – Bonsoir, Adonis. – Regarde le visage de ton bourreau, aurait-elle voulu lui dire, mais sa voix ne porta pas.