Des années sans nouvelles de son amie la plus chère, des années loin de son bien aimé, des années que le trio ne s'était pas réuni. Raya avait fini par sécher ses larmes et consoler son cœur. Elle s'était faite une raison alors que ses missives n'eurent jamais de réponses de la princesse de la terre. Après tout, le temps avait fini par tous les séparer, bien malgré eux. La poupée n'avait pourtant jamais oublié ceux qui avaient rendu son adolescence radieuse, ceux qui avaient sur la faire rire et la consoler. Ils étaient ceux qui la complétaient le mieux et elle avait dû apprendre à avancer sans eux. Certes, elle l'avait choisi concernant Elias, bien que cela pouvait se discuter. Mais elle n'avait jamais compris pourquoi Hissa avait joué la morte alors qu'elles n'avaient aucune raison de se plus se voir. Certes, l'union de la beauté métissée au Griffith n'avait pas enchanté la fille de l'eau, parce qu'elle connaissait son amie, mais elle était passée au dessus, à croire que cela n'était pas suffisant. La beauté avait beau tout faire pour ceux qu'elle aimait, le revers se fracassait toujours contre son visage sans qu'elle n'ait rien demandé. Mais lorsqu'elle avait appris, par le biais de la résistance, que sa moitié avait été faite emprisonnée par les Oshun et qu'une mission de sauvetage était prévue, elle n'avait pas hésité. Comment aurait-elle pu ? Jamais elle ne la laisserait crever dans les cachots de ceux qu'elle détestait plus que tout, ceux qui étaient responsables de la mort de sa mère et de la disparition de sa sœur. Malheureusement, elle n'avait pu croiser le regard ténébreux de la belle et avait dû partir en douce de Launondie. Mais aujourd'hui, elle se devait de la revoir, même si Hissa refusait, elle ne partirait pas avant d'avoir eu des explications sur ces années de silence. C'est à cheval qu'elle arrive à Greenstall. Fort heureusement pour elle, Thomas s'était allié à Johann, et pour le moment elle lui était encore fidèle. Elle décline son identité alors qu'on la laisse entrer dans la cour où elle laisse sa jument. Une esclave la débarrasse de sa cape, malgré les réticences de la sirène, pas réellement familière avec le concept. Elle finit par pénétrer dans le château et laisse quelques regards s'exiler de part et d'autre. Un lambda lui montre le chemin jusqu'aux appartements de la Griffith. – Qui dois-je annoncer ma dame ? Une moue se greffe sur ses lèvres alors qu'elle n'a pas l'habitude d'une telle étiquette. Elle reste muette quelques secondes face à la porte la séparant de son âme sœur. – Une vieille amie. Elle peut voir l'air étonné sur le visage de l'esclave mais il s'en va prévenir Hissa de sa venue. Raya n'a aucun titre et n'en cherche pas, loin d'elle la vie rythmée par un protocole et des devoirs qui lui donnent la nausée. Elle s'adapte déjà difficilement à la vie faste qu'Elias entreprend de lui faire mener. – Son Altesse Hissa Griffith vous attend dans le petit salon ma dame. Elle le remercie d'un mouvement de la tête avant de pénétrer dans l'antre de la princesse. Se sentant presque à côté, Raya plisse sa robe, l'une des nombreuses achetées par son fiancé. Le bruit de ses talons claquent sur le parquet alors qu'elle s'avance en direction de celle qui lui a tant manqué. Et enfin, ce fut la confrontation. Son regard dans le sien, elle manque de verser une larme tant les années avaient été ravageuses. – Hissa.. C'est tout ce qu'elle se contente de glisser, sur un ton rempli d'émotion, de non dits, de soulagement.

Voilà des jours qu'ils l'avaient libérée, extirpée des mains du diable. Amaigrie, le teint anormalement pâle, elle n'était qu'une ombre rasant les murs de ce château à présent trop grand pour sa silhouette fragile. Si le cachot avait rendu Adonis plus sombre, il avait aussi brisé une partie de la princesse. Des frissons la parcouraient en même temps que de viles souvenirs occupés son esprit encore bien trop marqué. Les yeux fermés, elle pouvait à nouveau sentir l'humidité des murs, l'odeur de rouille des barreaux, elle pouvait entendre la courte respiration d'un prisonnier plus loin, suffoquant dans ce trou fait de noirceur et de misère. Ses sens étaient étourdis par les souvenirs, et ce n'était que lorsque son fidèle compagnon venait poser sa tête sur sa cuisse qu'elle réagissait enfin. Ses paupières s'ouvraient brusquement et son regard, vide, caressait le poil de l'animal avant que sa main ne vienne s'y enfoncer. Un peu plus longtemps et la solitude l'aurait rendu folle, hystérique. Si les quelques visites de l'empereur et de ses fidèles l'avaient parfois occupé, il était certain que la chaleur d'un corps et d'une tendresse lui avait manqué. Son mariage, sa relation avec Eros, avait toujours été un feu ardent où chacun se brûlait par plaisir. L'ironie résidait dans cette idée où elle trouvait du réconfort dans ce mariage désastreux. Et pourtant, c'était ainsi. Jamais il ne lui avait autant manqué, jamais il ne lui avait manqué avant cette isolation indésirée. Toujours à la recherche de cette chaleur, elle se laissait approcher un peu plus, avec le fin espoir de trouver son bonheur en la présence d'un autre. Un soupir et elle laissait l'arrière de son crâne heurter l'appuie-tête de son siège, beaucoup trop grand, beaucoup trop superficiel. Fixant la cheminée, les flammes dansaient dans ses yeux, leur donnant une impression de couleur et de douceur. La porte du petit salon claqua dans son dos sans qu'elle n'y fasse attention, jusqu'à ce que l'esclave se positionne face à elle pour lui annoncer la venue d'une vieille amie. Lentement, ses traits s'étiraient en une expression étonnée. Elle n'attendait personne aujourd'hui, et certainement pas une amie de longue date. Des visages se bousculaient dans sa tête, ses sourcils se plissaient à mesure qu'elle réalisait qu'elle n'avait réellement aucune idée de qui cela pouvait bien être. D'un geste las et faible, elle autorisa l'esclave à faire entrer cette demoiselle dans son espace privé. Doucement, la nymphe se remit en place dans le fond du fauteuil, sentant la curiosité la piquer et l'impatience l'emparer. Des talons claquaient dans son dos, rythmant les battements de son cœur incertain. Quand, enfin, elle entra dans son champs de vision. Un arrêt. Puis l'organe reprenait ses pulsions de manière si rapide, si vive qu'Hissa pensait bientôt le perdre. Raya. Elle avait grandi, vieilli, mais elle restait toujours la même. Le visage doux et tendre. Son regard venait déposer une caresse presque interdite sur la princesse. Cinq années sans pouvoir la contempler, lui parler, l'entendre rire. Une torture qu'elle s'était gardée de partager avec son entourage, trop fière, peut-être même trop en colère après la bronze pour l'avoir abandonnée dès que la bague était venue serrer son doigt. Un silence religieux remplissait la pièce quand elle prononça son nom dans un murmure, gorge serrée. La voilà plongée dans un cocktail d'émotions plus violentes les unes que les autres. La joie. La rancune. La colère. L'amour. Elles venaient toutes la frapper de plein fouet alors qu'elle se levait de son siège doucement. Que voulait-elle faire ? La frapper ? L'enlacer ? C'était à la fois si simple et si dur. Des secondes s'écoulaient et la poupée, elle restait stoïque malgré ce cœur affolé. Quand, soudain, elle fit le dernier pas, cassant cet ultime espace les séparant pour venir prendre la brune dans ses bras. Elle retrouvait la force qui l'avait quittée depuis sa sortie de Launondie, elle retrouvait cette chaleur qui l'avait tant manqué. Une perle salée roula le long de sa joue de porcelaine sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle était bien trop obnubilée par la présence de la Karstark, par son corps contre le sien. « Où étais-tu passée ? » murmura-t-elle entre deux sanglots étranglés, la voix lourde d'émotions. La joie avant la rancoeur, c'était ce qu'elle avait décidé à cet instant.

Où sont donc passées les années à l'académie ? Celles où elle riait avec Hissa, celles où elle aimait follement Elias. Sans doute s'étaient elles envolées dans les abysses de leurs regrets. N'avaient-ils pas assez souffert ? Raya ignorait encore pourquoi son amie l'avait ignoré durant toutes ces années. Elle ignorait pourquoi ses missives étaient restées sans réponse. Mais elle n'avait pas pu ignorer la belle quand elle avait appris sa captivité à Launondie. Ça avait juste été plus fort qu'elle, parce que dans le fond, elle s'accroche encore à ces vestiges d'un passé qui s'est effondré. Elle essaye tant bien que mal de sauver Elias, de sauver Hissa, mais qui va la sauver elle de sa propre damnation ? Debout face à la princesse, elle ne sait pas vraiment quoi dire, quoi faire, ni où se mettre. Les années ont été ravageuses et elle ne sait pas s'il reste toujours quelque chose entre elles, quelque chose qui vaille la peine de se battre. Parce que tout était perdu du côté du Koschei. Le temps s'écoule alors que le silence s'installe entre elles. Personne n'ose s'avancer, personne n'ose parler. Raya était simplement venue pour être certaine qu'elle allait bien, après être sortie de prison. Pourquoi diable avait-il fallu qu'elle vienne jusqu'à ses appartements ? La sirène peut sentir son estomac se serrer alors que son regard vient se planter dans celui de l'amazone, malgré tout. L'amertume de ces années de solitude entourait encore son palpitant, mais elle essayait tant bien que mal de ne pas y prêter attention. Parce qu'elle était là, Hissa, saine et sauve. Si elle l'avait perdu, sans avoir pu la revoir au moins une fois, elle n'aurait jamais pu se le pardonner. Finalement, ce fut elle qui mit fin à leur distance, en venant la prendre dans ses bras. L'effluve de la Wheatdrop caressa ses narines dans une douceur qu'elle n'avait plus connu depuis bien longtemps. Elle ferme alors ses paupières, juste un instant, afin de profiter de la chaleur qui l'entourait. La gorge nouée, elle pouvait entendre Hissa sangloter sur son épaule. Les larmes coulaient alors sur ses propres joues, ne pouvant résister à l'appel des siennes. Elle serre alors un peu plus fort la fille de la terre, comme pour ne plus la laisser lui échapper. Le temps était un bien trop rare ces derniers temps pour qu'elle ne le laisse s'écouler ainsi. – Je crois que je ne le sais pas vraiment moi-même. Un rire s'étouffe entre ses sanglots alors qu'elle ne lâche toujours pas la taille d'Hissa. Son visage enfouie dans le creux de son épaule, elle déglutit difficilement. Les deux amies restent ainsi de longues minutes avant que la sirène ne finisse par se détacher d'elle. Reculant de quelques pas, elle esquisse un sourire alors qu'elle voit le visage rougi d'Hissa, persuadée qu'elle ne devait pas être mieux lotie. Elle se met alors à marcher dans la pièce, posant son regard sur tous les signes d'une richesse évidente. Ses pensées se détournent alors vers le Koschei et cette stupide robe qu'il lui avait acheté. Ses malles en étaient remplies et il ne semblait pas vouloir s'arrêter en si bon chemin. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi alors que le silence avait été leur unique moyen de communication ces derniers temps, après qu'il n'ait jamais répondu à l'appel de son palpitant. Balayant ses pensées d'un revers de la main, elle finit par se retourner vers Hissa. – J'espère que tu vas mieux. Depuis la prison, je veux dire. Oshun ne perd rien pour attendre. Cette famille faisait définitivement tout pour que la Karstark les déteste. Pour l'instant, elle n'ose pas s'aventurer plus loin, par peur de la brusquer, par peur de s'agacer elle aussi.