Herindy, Manoir des K'han

Herindy, fief des K’han, ville fortifiée aux hautes murailles. C’est ici que le manoir familial de Gunnar trônait, et c’est ici que sa famille résidait, lorsqu’ils n’étaient pas à Greenstall près de leur souverain, Thomas Griffith. Gunnar connaissait la ville comme sa poche, tout autant que le manoir appartenant à son sang. Mais loin du havre de paix qu’avait toujours été l’endroit, Herindy fut aussi l’une des cibles privilégiées de l’Empire lors de son attaque récente en novembre. Le K’han avait vu avec un horrible pincement au cœur son fief subir l’assaut des troupes impériales, ces soldats du feu qui apportaient la mort et le sang. La manœuvre n’avait fait que renforcer la haine du K’han pour cette famille régnante, les Oshun, qui n’avaient rien de souverains. Encore une fois, une preuve que ces dirigeants ne savaient pas quoi faire d’autre que de tenter de détruire leurs ennemis. Triste option qui ne pousserait probablement pas le peuple à les apprécier. Dans la mêlée, Gunnar avait vu les corps tomber, les cris se fondre dans la masse, le sang se répandre sur le sol. Ses compatriotes avaient perdu la vie à Herindy, et il avait tenté de les protéger du mieux qu’il pouvait. Et eux aussi, les soldats de la Terre, avaient causé des dégâts dans l’armée ennemie, mais avait-ce été suffisant ? Le K’han avait des doutes, de gros doutes. Ils n’avaient pas su contrer la tempête de feu de la meilleure manière qui soit, mais au moins, ils y avaient mis le cœur. Certains au péril de leur vie. Gunnar regrettait ces vies perdues, quelque part, il s’en sentait comme responsable. Cependant, le K’han n’aimait pas la défaite, qu’elle soit personnelle ou collective, il ne l’acceptait pas. Alors il s’était mis en tête de persévérer, de continuer à s’entraîner, à se surpasser même, dans l’unique but de se venger un jour, de leur rendre la monnaie de leur pièce.

Mais pour l’instant, la bataille était encore trop vive dans les esprits du fait de sa fin récente, il fallait penser à panser les blessures. Ayant déjà quitté le champ de bataille après avoir reçu les rapports de ses officiers, il se dirigeait vers son manoir, le manoir K’han. Là-bas, de nombreux soldats, mercenaires et mêlés avaient été rapatriés. Ceux dont les blessures étaient plus graves en général. Évidemment, tous n’avaient pas pu bénéficier du confort du fief des K’han, mais des priorités avaient été faites. Il s’y rendit donc sans perdre de temps, ayant en tête de se rendre compte des dégâts. En réalité, s’il y allait avec un certain élan et une certaine impatience dans son geste, c’est parce qu’il allait voir quelqu’un en particulier. Une blessée en particulier. Et pas n’importe laquelle. Une qu’il portait depuis fort longtemps dans son cœur, et qu’elle n’avait jamais déserté malgré la distance, malgré sa désertion et l’abandon de son maître. Aléa, la mêlée de son souverain. Aléa, sa meilleure amie de la première heure. Aléa, son amante occasionnelle dans le passé. Celle pour qui il ferait tout et n’importe quoi, bien que son départ l’avait chagriné quelque peu. C’est d’ailleurs sur la promesse qu’elle lui avait fait faire qu’il veillait sur le prince déchu. Elle était partie, emportant au loin son souvenir, mais malgré tout, c’était comme si elle était restée présente auprès d’eux. Et aujourd’hui, elle était blessée gravement à cause de la bataille, rapatriée au fief des K’han pour qu’on la soigne dans les grandes lignes. Gunnar serrait les poings sur le chemin. Jamais il n’aurait pardonné qu’on lui arrache la demoiselle, et jamais non plus il ne pardonnerait qu’on l’ait blessée. Elle était débrouillarde, forte, soit. Cela n’empêchait pas qu’on veuille la protéger. Et si lui pouvait le faire d’une manière ou d’une autre, il n’hésiterait pas. Il arracherait la vie de ceux qui ont posé la main - ou du moins l’épée - sur elle, il s’en ferait la promesse.

Il franchit alors les lignes du manoir familial, n’ayant aucun mal pour y pénétrer. Il était un K’han après tout. D’un pas précipité, il se rendit directement vers la pièce qu’on lui avait indiquée, celle où les premiers soins seraient prodigués à la Dochain. Une fois devant la porte faiblement entrouverte, son cœur s’accéléra légèrement. Cela faisait si longtemps qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de parler ainsi, ils avaient beaucoup de temps à rattraper décidément. Attristé par son départ dans le passé, il avait désormais décidé de se concentrer sur le présent, et de ne pas réellement lui en vouloir pour sa fuite. Évidemment, voir souffrir Adonis à cause d’elle l’avait mis en colère, mais elle était sa meilleure amie, il pouvait comprendre certains de ses choix. Qui plus est, le plus gros de la haine du K’han avait été dirigé sur son propre adiutor, qu’il l’avait elle aussi quitté. Aléa ne portait pas toute la faute. Il frappa donc deux fois pour signaler sa présence, puis finit par pousser doucement la porte. Elle était là, au centre de la pièce, sur un lit qu’on lui avait donné. Lorsqu’il la vit, il ne put s’empêcher de sourire, son cœur se gonflant de joie. Elle lui avait tant manqué. « Aléa. » Il s’approcha alors d’elle, le visage doux, et sans se rappeler qu’il pouvait lui faire mal en la serrant ainsi, il la prit dans ses bras. Il profita un instant du contact chaleureux, plus qu'heureux de retrouver son amie, puis finit par se détacher, presque à contrecoeur. Il ne fallait quand même pas qu’il l’étouffe maintenant qu’elle était revenue. Restant juste à côté d'elle, il inclina la tête sur le côté. « Comment tu vas ? Tes blessures, qu’est-ce que ça donne ? » Il fronça les sourcils, sincèrement inquiet pour elle, même s’il était persuadé qu’il en fallait plus pour la mettre à terre. Néanmoins, elle restait humaine, elle n’était pas immortelle, elle devait faire attention. « Je suis si heureux de te revoir. Ne t'enfuis plus jamais, tu m'entends ? » Il afficha un air sérieux, sans pour autant être dur. Il espérait qu’elle ne repartirait plus cette fois-ci, Adonis avait beaucoup trop souffert. Mais pour l'instant, elle était là. Et une meilleure amie comme Aléa Dochain, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue, il était bien content de l’avoir à ses côtés.

Herindy

Gunnar. Un simple mot lui avait suffi pour que la joie de la retrouver vienne s’emparer de chacune des parcelles de son corps. Elle était là, son Aléa. Enfin. Elle était revenue, il pourrait arrêter de s’inquiéter pour elle. Ou plutôt, un peu moins. Sa simple présence l’apaisait déjà, le revigorait après les derniers évènements. Elle représentait beaucoup pour lui, et son absence avait creusé un vide qu’il n’avait pas vraiment réussi à combler. Et ce vide, bien qu’il ne fut probablement pas aussi prononcé que celui qu’avait ressenti Adonis, avait su le démoraliser par moment. Une amie, un soutien, un réconfort, sans elle il avait perdu tout ça, ne trouvant jamais personne à sa hauteur. Qui aurait pu la remplacer ? Qui aurait pu occuper la si grande place qu’elle avait occupé dans son cœur ? Personne, parce qu’il n’y en avait pas deux comme elle. Et Gunnar s’en était bien rendu compte, tandis qu’il aurait aimé par moment, ne serait-ce que la voir quelques minutes, juste pour entendre sa voix, ou même apercevoir son sourire. Mais il n’avait plus à s’en préoccuper, elle était désormais bel et bien là, en chair et en os. Chair qu’il touche avec plaisir, tandis qu’elle pose sa tête contre lui. Il ferme les yeux un bref instant, profitant de ce contact qui lui avait tant manqué. Il se l’était promis, si elle devait repartir un jour, il ferait tout pour l’en dissuader. Mais pour l’instant, l’heure n’est pas vraiment à ce genre de pensées, tandis qu’il devine qu’elle n’est pas au mieux de sa forme. Petit pincement au cœur, rancœur d’une souffrance qu’on lui a causée et qu’il aimerait effacer d’un geste. Il n’a jamais supporté qu’on lui fasse du mal à son Aléa, et s’il le pouvait, il ferait regretter à ses assaillants le jour de leur naissance. Aléa Dochain était intouchable, et Gunnar saurait le faire comprendre. Ca va, pas aussi rapidement que je le voudrais, mais ça va. Évidemment, il la connaît Aléa, il sait à quel point la situation doit lui être détestable. Être blessée, cloîtrée dans une chambre, sur ce lit, elle ne devait que très peu le supporter. Elle qui était si combative, fière, énergique. Et il compatissait, vraiment. Il ressentirait probablement la même chose. Mais la manœuvre était nécessaire pour qu’elle s’en remette totalement.

Il ne dit rien face à son roulement d’yeux, opales si sombres qu’il aimait contempler. Il se doute que ça ne lui fait pas plaisir d’entendre cette phrase à tout bout de chant, mais il avait fallu qu’il lui dise, au moins une fois. Parce qu’il tenait à elle. Oh rassure toi, je ne peux pas vivre sans Adonis... Une chance que mes besoins s'allient à vos envies. Promis, je ne ferais plus jamais quelques choses pour moi. Il ne dit rien, mais il n’en pense pas moins, les sourcils froncés. Il l’avait froissée, il n’avait pas voulu. Mais avec Aléa, ça avait toujours été comme ça. Combien de fois s’étaient-ils disputés ? Il ne s’en souvenait même plus. Pourtant, il tenait toujours autant à elle, parce que l’affection qu’il lui portait était bien plus forte que de simples disputes. Cependant, il la comprend. Et c’est pour ça qu’il ne l’avait pas retenue plus que ça lorsqu’elle était partie. Il l’avait fait, bien sûr, mais il avait vite compris qu’il n’y changerait rien. Elle en avait eu besoin, probablement, et il n’était pas grand-chose pour lui donner des ordres, ou lui faire des reproches. Le principal était qu’elle soit revenue, il préférait se concentrer là-dessus pour le moment. Je suis désolée, comment vas-tu, toi? Il sourit d’un air tranquille, lui attrapant la main doucement. Oh il ne lui en voulait pas pour ça. Qui serait-il s’il se vexait pour si peu ? Après tout, elle n’exprimait que ce qu’elle avait sur le cœur, et Gunnar trouvait cela légitime. Quant à lui… Il ne savait pas vraiment comment ça allait. Bien probablement, sans plus. Il ne s’attardait que très peu sur ce qu’il ressentait lui, ce n’était pas important. Il était un soldat, se battant pour une plus grande cause que lui, son état importait tellement peu. Mais il lui répondit quand même, histoire de la rassurer. « Ne sois pas trop dure avec toi-même Aléa. » Référence à ses blessures, accompagné d'une légère pression de la main. « De mon côté, je suis en bonne santé, et intact, c’est le principal, n’est-ce pas ? » Oui, lui avait eu de la chance sur le champ de bataille, contrairement à d’autres. Et il s’en voulait de s’en être sorti, tandis que des familles ne reverront plus jamais leurs proches. Il les vengerait, il se l’était juré. « Je m’en sors pas mal, contrairement à d’autres. Quant à Adonis, il va à peu près bien, c’est ce qui compte. Et puis, tu es revenue, comment ne pourrais-je pas aller bien ? » Il sourit d’un air attendrissant, ne la quittant pas des yeux. Tant que ceux pour qui il se battait s’en sortaient, Gunnar irait toujours bien. Qu’il soit blessé ou non, physiquement ou psychologiquement, il ferait toujours primer les autres. Il avait des choses bien plus importantes à faire que de s’occuper de lui.