Jua était une Yinren et en tant que tel, elle n’avait rien à faire dans ces catacombes. Sa peau était trop pâle, trop précieuse pour reposer vivante dans ces lieux. Elle était jeune, aussi, et ces tombes étaient trop anciennes pour qu’elle comprenne leurs implications. L’air empestait la mort, la désolation et la solitude. Pour une âme aussi jeune, Jua s’y retrouvait avec merveille. Le silence avait toujours été une bénédiction pour cette enfant qui mentait comme elle respirait. Le silence était la marque d’absence des ordres de son père, une période de courte et temporaire liberté. En silence, elle revivait. En silence, elle était elle-même et non l’espionne dont l’identité avait lentement mais sûrement grignoté la sienne. Alors que ses pas tapaient le sol, elle perdait le peu de temps qu’elle avait à observer autour d’elle. Les vieux murs étaient insalubres et menaçaient de s’écrouler à tout moment, mais sa marche conservait la même vitesse. Elle s’était toujours intéressée par ce lieu, car les maîtres dont elle faisait parti n’y venaient pas. Et Jua, elle avait un sang d’argent, si proche de la couronne que le futur héritier allait le partager. Elle n’aurait jamais du être là, pourtant l’air l’enveloppait comme une douce caresse. L’obscurité n’était jamais complet, et une douce flamme bleue - elle détruisait si bien cette douceur qui lui chauffait la main - résidait dans sa paume, brillant éclairage, pouvoir dément. Elle avait appris les dédales de ce labyrinthe alors qu’elle grandissait, qu’elle était envoyée dans les ruelles sombres de la capitale afin de se les approprier, parce qu’une espionne était une créature des ombres. Elle était également une créature du feu, et celles des cendres qui accompagnaient son chemin lorsqu’elle déployait son nouveau don. Pourtant, elle n’était pas violente, la noble. Sa réflexion était suprême, sa logique implacable. Son caractère était à la contemplation, au stratagème, et elle laissait la violence et l’imprévisibilité à sa jeune soeur, celle dont les doigts étaient maintenant parcouru par des éclairs. Jua était désormais celle avec le pouvoir destructeur, et la vérité était un poids supplémentaire sur des frêles épaules qui portaient déjà tant.
Elle continua de marcher, l’esprit embaumé dans un passé qu’elle n’avait jamais connu. La Grande Guerre avait mené à la démolition de ces catacombes, et Jua observait des années plus tard les conséquences de cette dernière sur la politique d’aujourd’hui et sur ces lieux qui n’avaient eu comme récompense que destruction et oubli. Mais Grefihin offrait d’autres avantages, certains qu’elle utilisait à profit. Elle y retrouvait ceux avec qui elle ne pouvait s’afficher, ces têtes criminelles qui ne devraient pas respirer le même air qu’une noble du feu. Mais Jua n’était pas ses cousines, et la puanteur de l’air n’avait d’égal que la compagnie qu’elle recherchait. Plus loin, une frêle silhouette, une qui cachait bien des choses. Jua l’interpela et ne fut guère surprise de ne pas voir de mouvement. Hana Osyris était un mystère dont elle craignait d’apercevoir le secret. Essayer de trop comprendre comment l’esprit de la jeune femme fonctionnait était une arme à double tranchant, et Jua avait appris très tôt à ne jamais laisser de chance à la lame qui approchait doucement de sa poitrine. Hana avait été pendant un moment un autre nom sur la liste des personnes que Jua désirait voir disparaître. Mais son nom n’avait jamais été barré, et encore aujourd’hui, la beauté éphémère de la jeune femme respirait encore devant elle. Et Jua ne savait toujours pas si la voir en vie était une bonne chose, mais elle ne s’en inquiétait pas. Elle avait une idée de quoi s’attendre avec Hana, et en réalité c’était incroyablement rassurant. Elles voulaient des choses différentes mais empruntaient le même chemin, alors elles se rencontraient, en cachette, dans ces lieux détruits. « [color=black]Jua, je désespérais presque de te voir arriver.[/black] » Jua détourna la jeune femme assise pour se mettre en face d’elle, inclinant la tête en signe de respect sans en attendre un en retour. Hana ne respectait personne d’autre qu’elle, et Jua ne souhaitait pas voir l’autre courber ses certitudes. « Et je te remercie pour ta patience. Et ta présence. » Hana avait beau être une de ces lambdas que les nobles méprisaient, Jua ne pouvait mentir qu’elle l’enviait. Elle était humaine, sans pouvoir, et pourtant, bien plus libre que Jua, celle dont le sang était maintenant bien plus détesté que celui de Hana. « J’imagine que tu es au courant de la situation dans laquelle je me retrouve. » Les mots de la noble étaient précis, contenus. Il n’y avait aucune intonation dans sa voix, comme si elle discutait du sort d’une personne qu’elle ne connaissait pas. Elle était froide dans son calme olympien, dans son regard ouvert mais neutre, dans son sourire élégant qui ne voulait rien dire.