« Vous pouvez sortir, Votre Altesse. » le médecin range son stéthoscope et le reste de son matériel dans sa petite malette. Le prince Eartanarien est debout, la chemise encore ouverte mais le teint à nouveau normal et la peau à peine plus chaude qu’à l’accoutumée. Le brun referme sa chemise et la rentre dans son pantalon, avant de fermer sa ceinture. « Merci Darius. » fait-il simplement avant d’enfiler une veste. Il sort de la pièce, accompagné par le médecin, mais l’abandonne rapidement alors qu’il se rend enfin vers le terrain d’entrainement. Il est encore tôt, et Adonis a entendu des histoires bouleversantes. Certains maîtres ne sont plus capables de maîtriser leur élément. Il a besoin d’en avoir le cœur net. Fait-il partie de ces nouveaux parias ? Il sait que sa sœur, Ariane, maitrise toujours leur élément, mais qu’Izolda s’est découvert un nouveau pouvoir. Le jeune homme glisse sa langue contre sa lèvre inférieure, alors qu’il retire ses chaussures pour ancrer ses pieds au sol. Dans le coin de la pièce, un soldat s’entraine. Il fait bouger la terre mais semble avoir quelques difficultés à le faire. « Toi ! » L’homme pivote vers lui, quand il le reconnait, il incline la tête et s’approche. « Je peux faire quelque chose pour vous, Votre Altesse ? » Adonis hoche la tête. Il retire sa veste et la laisse tomber contre une sorte de mannequin pour s’entrainer au combat à l’épée. Il glisse ses doigts contre son nez, réflexe acquis au fil du temps dans son lit, et sent toujours cette bosse. Il inspire et place ses pieds correctement sur le sol. « Tu t’entrainais, non ? Quel est ton nom? » L’homme se place également, il a compris la manœuvre. « Eldric Ferinh, Votre Altesse. Je suis soldat dans l’armée de votre père. C’est le capitaine qui nous envoie nous entrainer, les autres devraient arriver d’ici une demie heure. Je viens un peu plus tôt pour… » Adonis le dévisage un instant. Il hoche la tête. Il a compris : cet homme a du mal à retrouver sa maîtrise. Comme tout le monde, il parait. Le brun sert la mâchoire. « On commence doucement, si tu veux bien. Je viens de sortir de cette foutue malade. » Eldric hoche la tête, Adonis lui fait un signe de la main pour l’inciter à l’attaquer, et l’homme lui lance une pierre. Le prince ne parvient pas à l’arrêter, mais l’esquive de justesse. Elle vient effleurer son bras et lui arracher une légère grimace de frustration. Il a fait le mouvement, mais la terre n’a pas répondu. Adonis ne dit rien, bien qu’Eldric ait vu ce qu’il s’était passé. Adonis fait encore un mouvement pour inciter l’autre à continuer. Au bout de la cinquième étape, la colère du brun commence à influer dans ses veines, lui rendant la chaleur qui était la sienne quand la fièvre était encore présente. Finalement, Eldric attaque encore. Frustré, en colère d’avoir perdu son élément, Adonis essaie encore une fois.

La roche prend feu, pire, elle fond et dégage une chaleur qu’Adonis ressent comme exquise et non plus destructrice comme lorsque les flammes des maîtres du feu s’approchaient trop de lui. Il est incapable de contrôler cette roche en fusion et « Attention !! » crie-t-il à l’autre. Il fait un mouvement de la main, comme pour tenter de le pousser, mais la lave suit le mouvement, comme une extension de son bras et va frapper l’autre. Le cri est terrible, alors que le magma s’empare des vêtements du soldat, et brûle la peau. Adonis ne peut que regarder, apeuré par ce qu’il constate et par ce que sa signification.  Ses mains tremblent, alors que l’autre meurt à ses pieds. La lave refroidit lentement, une fumée âcre s’en échappe et envahit le terrain d’entrainement. Adonis pose ses prunelles ambrées sur ses mains, victimes et bourreaux. Il s’approche, mais n’ose pas aller plus loin. C’est là que d’autres soldats entrent sur le terrain. Adonis leur lance un regard presque effrayé, et effrayant pour eux. Quelques secondes passent, avant que le prince n’ordonne « Occupez-vous de lui. » mais la lave est encore brûlante. Adonis ignore si il pourrait la toucher sans rien craindre, comme les maîtres du feu peuvent toucher leurs flammes. Il l’ignore et ne veut même pas le savoir. Le brun s’échappe, il remet ses chaussures, attrape sa veste et s’éloigne, il bouscule quelques soldats et bientôt, se met à courir dans le palais. Il veut aller voir Eros, c’est le seul qu’il veut voir là maintenant, mais alors qu’il court, il heurte Ariane de plein fouet et manque de tomber en arrière.

« Ariane. » sa voix est tremblante, il a la peur au fond des prunelles et sans réfléchir, il passe ses bras autour des épaules de son ainée et l’enlace avec puissance. Il ne se rend pas compte qu’il la compresse, mais cette étreinte l’aide. Adonis vient de tuer un homme, c’est la première fois qu’il tue, et les images le hantent déjà.

« Je suis désolée, je.. Adonis ?? » Il n’entend pas vraiment ce qu’elle dit, le prince, avait de la prendre contre lui. Il a besoin d’être rassuré, et son corps se souvient de toutes les fois ou, enfant, sa grande sœur venait le prendre contre elle pour le bercer après un cauchemar. A l’époque, elle était encore plus grande que lui et il pouvait enfuir son visage dans le creux de son cou pour se cacher du monde. Désormais, c’est plutôt l’inverse. La carrure masculine est plus large que celle, menue, de l’héritière de la couronne de granit. Elle est plus petite que lui, aussi. Beaucoup plus petite. Mais il s’en fiche, Adonis, il a besoin de réconfort et tant pis si il n’a plus l’allure de l’homme qu’il se veut être, le digne héritier de la couronne qu’il aimerait voler sous le nez de sa sœur. Elle caresse son dos, et il se sent un peu mieux. Il a l’impression de ne pas être tout seul, parce qu’au fond, Ariane a toujours été là. Malgré son comportement de gamin pourri gâté, elle a toujours été là, un roc contre lequel le vent, le feu et les vagues ne peuvent rien. « Qu'est-ce qui ne va pas ? » Il n’a pas envie de lui dire. Le dire, c’est raccrocher cet événement à la réalité, c’est l’y ancrer et lui donner substance. Si il ne dit rien, peut être que ça sera comme si rien n’était arrivé. Il hésite, le brun. Mais la sœur insiste, alertée par l’expression de peur qui se peint sur les traits princiers. « Adonis, réponds-moi. Tu me fais peur... » Il finit par s’éloigner tout à fait, et lâcher sa sœur. Son cœur bat la chamade, alors qu’il revoit encore la lave, telle une flamme, s’avancer vers l’homme. La lave a ce pouvoir terrible qu’une flamme n’a pas : elle colle et mange plus qu’elle ne lèche les corps. Elle les avale en laissant beaucoup moins d’opportunité de s’enfuir. Une fois touché, impossible se simplement s’éloigner. Elle se plonge jusque sous l’épiderme, et brûle tout sur son passage. Adonis ne s’explique pas ce qui est arrivé. Ils ont entendu parler de cas de mutations. Un mois que cette maladie a terassé les maîtres, il est l’un des derniers à s’en relever et beaucoup se sont découverts une mutation. La plupart maîtrisent le métal, comme ses cousins. Ariane et Eros n’ont rien, alors il espérait que puisqu’il est leur frère, il n’aurait rien non plus. Il n’est plus un Griffith si il ne contrôle plus la terre. Donner cette information à Ariane…. Il hésite encore plus, la raison s’infiltrant doucement, presque sournoisement alors que la chamade de son cœur se calme enfin. Quelques secondes se sont écoulées, deux, trois, peut être quatre. Il déglutit. « J’ai… » Quoi ? Quel mensonge il pourra bien inventer ? Les soldats l’ont vu, la roche en fusion encore fumante sur le corps de la pauvre victime. Bientôt, tout le palais sera au courant. On le sait déjà trop proche des Oshun, et maintenant ? Que dirait-on de lui si on savait qu’il pouvait faire brûler la pierre ? Ariane le saura, de toute façon. « Je… La terre, elle… » mais comment lui dire ? Il lève les mains, mais elle tremblent. Le message est clairement affiché là, sur son expression, sur ses doigts qu’il ne peut garder immobile. La terre, elle l’a quitté.

Il a peur de le dire, Adonis. Il a peur que si il dit à sa sœur ce qui est arrivé, elle s’en serve contre lui. Que peut-il faire ? Que peut-il dire ? Le brun tremble de crainte, et hésite. Il s’achète du temps, en ne disant rien, mais son cerveau est incapable de réfléchir correctement. Le cri de l’homme qu’il a tué résonne encore dans sa tête avec force, assourdissant ses moindres réflexions et pensées qui pourraient peut être le sortir de cette situation. Finalement, Ariane prend les devants et s’empare d’une des mains encore tremblantes du jeune maître, qui n’a jamais autant ressemblé au petit garçon qu’il était encore il y a quinze ans. « Viens. » dit-elle en ouvrant la porte la plus proche pour l’attirer à l’intérieur. Il s’agit d’un petit salon où est installé un capané en velours, richement décoré d’or. « On sera plus tranquille ici. » Elle s’installe, le princesse, sans lâcher la main de son petit frère. Lui-même est si effrayé par ce qu’il a fait qu’il sert les doigts d’Ariane avec une force dont il n’a même pas conscience. La brune ne semble pas s’en formaliser. Elle l’attire et l’incite à s’installer à côté d’elle, ce qu’il fait sans un mot. « Shh.. Calmes-toi. » elle est maternelle, avec lui, comme elle l’a toujours été quand ils étaient enfants. Sa main libre vient glisser dans ses cheveux, et le contact l’appaise un peu plus. Ariane est un cadeau, au sein de cette famille. Il l’aime autant qu’il veut l’écarter du trône, mais quand elle est avec lui et qu’elle le rassure, il oublie presque la politique. Elle est son sang, et si il ne peut pas lui parler à elle, alors à qui ? « Racontes-moi, tu sais que tu peux me faire confiance. » Adonis sent son estomac se tordre. Il lâche la main d’Ariane et se lève presque trop vite. « Vraiment ? Est-ce que je peux vraiment, Ariane ? » C’est peut être l’accès d’adrénaline qui le fait parler, mêlée à ses craintes et à ses idées politiques, le tout enfermé dans un amour fraternel qui ne sait plus comment s’exprimer au travers des années de jalousie qu’il a développé envers elle. « Promet le moi, sur les Sept, sur la couronne de granit, sur tout ce que tu veux. Promet moi que ce que je te dirai restera entre nous. » Il veut lui dire, il a besoin de lui dire. Adonis revient près d’elle, sur le canapé, et tourné vers elle, une jambe sous lui, il n’a jamais eu si peu l’air d’un prince, et n’a jamais autant ressemblé au petit Adonis Griffith, gamin d’une dizaine d’année, trop impétueux et turbulent pour ses parents.