Demain, la guerre se mettrait au travers de leur chemin. Elle avait toujours été là, comme un son qu’on met en sourdine, pour ne pas trop l’attendre, pour ne pas trop y songer. Mais toujours, ce petit crachotement nous rappelait sa présence, impossible à ignorer. Les Eartaneriens avaient pénétrés la forteresse de feu pour y récupérer l’une des leurs, et de par leur succès, provoqués la colère de l’empereur. La riposte se prépara à huit clos, jour et nuit, pour s’assurer une victoire face à l’ennemi. L’irritation de l’Oshun le rendait d’humeur instable, et Laurel du maintes fois lui faire entendre raisons sur des décisions que seuls ses émotions risquaient de provoquer. Quelque chose – ou plutôt, quelqu’un – l’avait ébranlé ce jour-là, mais ni l’impératrice, ni la précieuse conseillère ne purent y démystifier quoique ce soit. À la veille des assauts programmés, seul Laurel veillait à peaufiner ces petits détails que seul un œil avisé avait pu noter. Des technicalités trop précises pour ne pas les remarquer, L’heure ne cessait de tourner, et c’est à la simple lueur d’un chandelier qu’elle ne cessait de scruter ce plan infaillible, celui où l’on pouvait t’échouer. Où il n’était pas permis d’échouer. L’honneur de l’Empire se devait d’être défendu face à ses traitres aux visages connus, à ces amis devenus ennemis en l’instant d’une nuit. Passant distraitement une main dans sa chevelure évasée, la Grimsrud soupira, visiblement ébranlée de la tournure des évènements. Cette guerre, elle ne l’avait jamais désirée, mais elle se retrouvait mains liées à en occulter les moindres détails sanglants qui ne risquaient d’épargner personne, pas même les leurs. Cal partirait au front avec son armée, de même que son fiancé. Reviendraient-ils, tout deux? Elle l’ignorait, mais elle l’espérait. De tout son cœur, de toute son âme. Son regard fut attiré vers la porte du bureau, qui dans un bruissement chancelant, s’ouvrit pour laisser entrer un homme qu’elle su aisément reconnaître. – Loras. – le salua-t-elle seulement, sa tête s’inclinant doucement. – Je vous croyais dans vos quartiers. – L’Empereur avait bien conseillé à ses mains armées de dormir à point fermé, car le sommeil se ferait peut-être rare dans les jours, voir les semaines à venir. Rien n’était plus certains, désormais. – N’êtes-vous pas fatigué? – La jeune femme, elle, commençait doucement à ressentir les effets de Morphée, mais son corps, crispée de toute part, se refusait à la laisser se reposer. Elle s’entêtait donc à travailler, ne serait-ce que pour éviter de tourner en rond dans ses appartements jusqu’au soleil levant.

Le silence qui l’enveloppait, qui l’abritait dans ses bras protecteurs, avait ce don de la rassurer, tout comme celui de l’angoisser. Ce calme avant la tempête, ce temps mort où tout était paisible avant que l’orage n’éclate, laissant sa tourmente fracassée tout sur son passage. Des bruits vinrent briser cette paix intrinsèque, et d’un regard inquisiteur, la belle flamme posa son regard sur ce visiteur nocturne au trait familier. Un allié, un ami, un amant. Il était tout cela et plus encore à la fois. Et lorsque le soleil pointerait le bout de son nez, il quitterait Launondie avec l’armée impériale, pour aller défendre l’honneur de la couronne et de l’empereur qui la portait. L’homme n’aurait pas dû se trouver à ses côtés. Il aurait été plus judicieux, pour lui, de s’abandonner aux bras de Morphée. Mais Loras, tout comme elle, ne parviendrait pas à trouver le sommeil cette nuit, leur esprit tourmenté, agité, reflet d’un chaos qui mettrait bientôt le continent à feu et à sang. Il affirma s’y être trouvé, quelques instants auparavant, mais sa seule présence à ses côtés lui confirme ce qu’elle savait déjà. Ses iris s’accrochent aux plans de la bataille, à ses cartes et parchemins griffonnés où la calligraphie appliquée de la délicate féminité se démarquait de celles, presque illisible, de l’empereur. Ces mêmes instructions qui guiderait, au petit matin, une armée prête à lever les armes contre l’ennemi, à combattre pour l’Empire, pour lequel ils étaient prêt à mourir. – Le sommeil me fuit, tout comme il vous évite aussi. – lui répondit-elle simplement, lorsqu’il s’enquerra de son état, usant de ses pas pour se rapprocher impunément d’elle. Le loup jaugeait sa proie du regard, étudiant ses traits fins que la fatigue allongeait. Mais le regard de la fille de feu brillait tout autant que les flammes qui dansaient au bout de l’unique chandelier qu’éclairait la pièce. Une lueur vacillante que les doutes venaient troublés. Les paroles qu’il lui promulgue la flatte plus qu’il ne pourrait l’imaginer. Elle le sait avare de compliments. S’il se prononce, s’il ose ainsi affirmer ces quelques vérités, c’est qu’il le pense réellement. La Grimsurd ne peut toutefois s’empêcher d’émettre ses réserves, ses angoisses face à l’issue de ces combats. – La guerre n’épargnera personne, Loras. – Les morts seront nombreux, innocents et soldats agglutinés aux portes du purgatoire, des pauvres âmes condamnées avant l’heure à pousser leur dernier souffle, produit d’une belligérance sans merci que l’on ne peut plus éviter. Sa mère et sa cousine en avait payé le prix, arrachées trop jeunes à la vie. Un jour, peut-être, pourraient-ils vivre dans la paix, mais cette utopie qui la faisait rêver lui échappait. Ancrant ses prunelles dans l’encre des siens, elle chercha à déceler son âme, caché derrière ce combattant sans foi ni loi, mais elle n’y trouva que son reflet. – Ne craignez vous donc pas la mort? – C’est elle, cette fois, qui fit un pas dans sa direction, s’hasardant vers l’eartanerien, ses émeraudes ne perdant rien du faciès du maître de la terre, près à se battre contre les siens, à les trahir encore un peu plus.

L’homme ne semblait ni troublé, ni inquiet de la guerre qui les attendait. À l’entendre, il semblait se délecter du carnage à venir, de l’odeur âcre du sang qui viendrait bientôt frôler ses narines et des cris de douleurs que ses ennemis pousseraient quand il comprendrait que la mort n’était désormais que la seule issue qui les attendait. Une confiance malicieuse habitait le soldat, une confiance qu’elle qualifiait, elle, d’aveugle. Elle ne lui reprochait pas d’être aussi certaine de ses capacités, sa seule crainte résidait dans les possibles conséquences qu’une chute abrupte pourrait provoquer chez lui. Car même s’il se croyait à l’abri, Laurel ne pourrait se résoudre à en tirer les mêmes conclusions. Son regard azurée plongée dans l’iris sombre des siens, elle tentait de lire en lui, de passer au-delà de l’image qu’il lui renvoyait. Mais elle n’y voyait que noirceur et obscurité, simple reflet de l’âme de l’eartanerien, un homme vraisemblablement sans crainte, sans faille. Même la mort ne l’ébranlait pas, comprit-elle, alors qu’elle s’enquérait de sa relation avec cette fatalité de la vie. À force de la fréquenter de si près pendant de si longues années, il en était venue à s’accoutumer à sa présence, jusqu’à croire qu’il l’avait dompté, apprivoisé. Tout en laissait ses émeraudes rivés sur l’hématite de son opposé, la belle se rapprocha néanmoins de la bête, attirée par le magnétisme inexplicable qui dégageait. Faible, son esprit devait être, d’ainsi se laisser entrainer dans les griffes du monstre. Elle sentait son souffle se répercuter sur son faciès de poupée, caressant la douceur de sa peau de par sa chaleur. Elle frissonne alors qu’il continue son soliloque macabre tout en frôlant son visage de ses mots, jusqu’à ce qu’il soit portée jusqu’à l’orée de son oreille, ses doigts s’emmêlant dans la blonde splendeur de sa crinière. Elle n’ose bouger, la délicate flamme. Ses mains puissantes se sont approprié une partie de son territoire, et elle sent leur étau se fermer sur elle, l’entrainant vers un point de non-retour qu’elle ne peut se permettre de franchir, une route dont elle est néanmoins incapable de dériver. – J'ose croire qu'elle vous sera clémente, alors. – parvint-elle toutefois à ajouter, se reculant ne serait-ce que d’un seul pas pour tenter de se libérer de ce jeu de charme dans lequel elle s'est laissée entraîner, sans même y consentir.