Ils avaient quitté Volastar au petit matin, alors qu’un brouillard naviguait toujours entre les pics montagneux des contrées aériennes. Plusieurs voitures avaient récupéré la délégation impériale, afin de reprendre la route vers la capitale de feu. Un moyen de transport plus sécuritaire que le train, et qui leur permettait de passer plus inaperçu, vu l’étendu de leur groupe. Laurel avait pris place au côté de l’empereur, plus par habitude que par véritable nécessité. La route s’annonçait longue, et les occasions seraient nombreuses pour discuter de la situation actuelle d’Aksana. L’argentée s’abstint toutefois de prendre parole. L’Oshun semblait ailleurs, distrait, et son regard ne cessait de s’évader sur le paysage d’Aerinstin. Le silence était maître de l’habitacle où ils se trouvaient, mais la jeune femme trouvait cette quiétude trop pesante, presque irritante. – Cal. – fit-elle d’une voix ferme, mais douce, à l’image de ce qu’elle était, à la fois confrontante et délicate, franche et conciliante. – Tu sais que je parviens à lire en toi avec une facilité déconcertante, parfois? – Elle le connaissait depuis de nombreuses années, désormais. Depuis la fin de leur étude à l’académie, alors qu’ils avaient à peine dix-huit années de vie derrière eux. Désormais, il était à la tête d’un empire sur le point d’imploser, et elle se trouvait toujours à ses côtés, le conseillant au mieux de ses capacités. Dix ans, seulement, les séparaient de cette période révolue de leur vie. Une époque plus aisée, qu’elle regrettait, parfois. Les temps y étaient moins durs, et la guerre n’était qu’un vestige du passé qu’on tentait de laisser loin derrière. – Quelque chose te tracasse. – Elle pouvait le voir, dans ces traits tirés sur le visage de l’ancien prince des flammes. Son attitude le trahissait, et la fine observatrice qu’elle était ne pouvait l’ignorer. Était-ce le fils de la terre qui hantait à nouveau ses pensées? Les deux hommes s'étaient confrontés afin de parvenir à un arrangement, une alliance pour le bien de leur nation respective. Mais ainsi plier devant son ancien amant signifiait, pour l'Oshun, de piler sur son orgueil. Le sort de l'Empire, où de ce qu'il en restait, reposait désormais entre ces mains. Et c'est peut-être ce qui le troublait autant.

Dix longues années s’était écoulées depuis qu’ils s’étaient trouvés, l’un et l’autre. Dix longues années que Laurel se dévouait auprès de ce dernier. Sa famille louait une loyauté sans faille – ou presque – envers les Oshun depuis la grande guerre, et Laurel ne faisait pas exception à la règle. Sa dévotion, cependant, n’était dirigée qu’à l’égard de Cal. L’homme, l’ami. Pas le prince qu’il était ou même l’empereur qu’il était devenu, bien que les frontières restaient plutôt floues entre un et l’autre. Elle était d’autant plus redevable de la confiance qu’il lui accordait, et c’est avec le plus grand des respects qu’elle reçut l’annonce de l’anoblissement des siens. Il avait aussi eu son rôle à jouer dans ces fiançailles avec l’ainé Swanson, et Laurel ne pouvait que se résoudre à accepter cette promesse d’union qui la plaçait dans une position plus qu’avantageuse, ce qui n’avait rien de négligeable, mais qu’elle n’ait jamais cherché à s’élever d’avantage, se complaisant dans son rôle plutôt secondaire. Le regard de Cal erra jusqu’au sien, et elle laissa apparaitre un léger sourire sur ses lèvres, rassurant, invitant. Elle ne put s’empêcher de laisser un maigre éclat de rire se faire entendre, alors qu’il recassait à quel point cette facilité qu’elle avait à le déchiffrer le contrariait, parfois. – J’en suis désolée. – s’excusa-t-elle plutôt pour la forme, sachant que bien que cette habitude le dérangeait, elle ne pouvait rien y changer. Ça avait toujours été ainsi, entre eux deux. Un air grave se posa néanmoins sur ses traits, quand il admit qu’elle connaissait très bien ce qui le tracassait. Et il n’avait pas tort. – Peut-être que d’en discuter t’aiderait à y voir plus clair, Cal. – lui proposa-t-elle, la tête se penchant légèrement sur le côté, alors qu’elle replaçait une mèche de sa blonde chevelure derrière son oreille. – C’est toujours mieux que de t’enfermer dans ce mutisme qui ne t’apporte rien de bon. – Se rejouer en boucle les discussions qu’il avait eues avec Adonis, ou n’importe quel autre dignitaire d’Aksana, ne servirait qu’à le refrogner, et Laurel préférait éviter que son compagnon de voiture ne devienne du genre grognon. – Et tu sais que tu peux tout me dire. – Chose qu’il ne pouvait pas aisément faire avec d’autres, surtout en ce qui concernait sa relation avec le prince de la terre.