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Spoiler:

– I don't kill. –
Des mots si doucement prononcés, une avant-garde, une menace peut-être,
mais un fait avéré.
Asghari n'ôte rien, pas même la vie.
Quand le sang est chaud, elle n'enroule rien autour de ses doigts, elle trompe par les courbes, et les mots, mais n'arrache jamais rien. Elle n'est pas la faucheuse, elle n'est pas la Mort, elle est la vie, son incarnation, sa fidèle servante. – And why is that? Is Princess Riri too precious? –
Elle arque un sourcil la sale gamine, les lèvres pincées, les yeux en l'air. Princière, noble. Hypocrite. Menteuse. – As a matter of fact, yes. – Il s'approche d'elle, il l'observe, la tête penchée, intriguée,
peut-être même fascinée.
– Does it scare you? – Elle rit, d'un rire cristallin, d'un rire incertain. – Nothing scares me anymore. – Menteuse, menteuse, menteuse.

Elle a entendu un bruit. Ce bruit qu’elle entend presque tous les jours quand elle se balade la nuit dans les quartiers de Launondie. Le cri strident de la mort. Prête à faucher sa nouvelle proie, elle ne s’arrête devant rien. Asghari elle en est fascinée, elle l’a vu parfois, quand elle était là-bas, que ces hommes-là, la touchaient, la brûlaient. Elle aime l’intrigue qui s’échafaude autour de ce mythe. On meurt, on abandonne son dernier souffle et après quoi ? Après que vient-il ? Le paradis, les enfers ou rien des deux ? Un calme plat, un silence, un rien. Le néant. Et c’est ce néant-là qui l’effraie Asghari, parce qu’elle est trop jeune pour le connaître ce rien, elle est trop jeune pour le toucher, pour le frôler. Mais dans sa vie, dans cette vie de contorsionniste, de funambule, de voleuse, elle la provoque la Mort, elle la provoque sans crier gare, sans s’effacer. C’est lever le menton et lui dire : pas aujourd’hui. Mais le bruit cette fois-ci, ce cri, il vient de la chambre de maman. Maia. Elle toque timidement, elle ose pas entrer, pas quand la matriarche lui a toujours dit d’’attendre le signe, le signe qu’elle puisse aller la voir, l’embêter, la câliner. C’est sa mère, pas sa vraie mère, pas celle dont elle a hérité les traits de son visage, et pourtant à tous les niveaux, elle a repris sa mine farouche, sa malice et son arrogance. Asghari elle est le fruit d’une femme qui n’a jamais pu avoir d’enfant, elle en est son portrait craché ; son héritage. – Mama ? –  Qu’elle chuchote, alors qu’aucune réponse ne lui vient. Elle ose pousser la porte, elle ose entrer dans l’antre si bien cachée. Avec effroi, elle remarque la flaque de sang, elle entend la respiration saccadée. Et elle la voit au sol. – MAMA! – Elle se précipite vers la mère, vers l’espoir, vers la déesse. Alors qu’elle s’écrase au sol, elle remarque la présence de deux hommes. Maman serre la main d’Asghari avec rage. – Don’t touche the girl. Please, she has nothing to do with this. – L’homme baisse les yeux vers la gosse, qui ne baisse pas le regard, elle le maintient, n’hésite pas. – We do not kill children Maïa. Let this be a lesson for her. – Et d’un coup sec, la glace se glisse de sa main, pour venir s’enfoncer dans le ventre de maman. La gosse crie, s’égosille, s’étouffe dans ses pleurs et ses soupires, alors que la mère laisse entendre un dernier petit rire.
Les hommes sont partis. Asghari elle est là, couchée à côté du cadavre, les habits baignés de sang, les yeux enflés par les larmes. Elle ne sait pas depuis combien de temps elle est là, elle sait pas que des heures, des jours ont passé, alors qu’elle regarde le plafond, et qu’elle se pleure jusqu’à l’épuisement, pour dormir un peu. Asghari elle a perdu un ancrage, elle a perdu sa maman, la seule entité qui lui a jamais tendu la main ; qui lui appris les déboires de la vie, les terribles vérités. Asghari elle a tout perdu ce soir-là. Elle a perdu jusqu’à son identité, parce que sans maman, qui est-elle ? Que fait-elle ? Rien. Elle devient rien. Alors des fois, on l’entend murmurer. – Mama. – C’est doux, c’est calme, un appel à la mère, un appel à cette femme qui n’est plus. Le cadavre pue, les blessures sont béantes, et le sang séché, lui ne partira jamais du tapis, des habits, de l’esprit. Et puis enfin, on vient à son secours, on l’aide à se lever, à quitter la salle, sans se retourner. – Come on honey, you need to take a shower. – Asghari secoue la tête, elle sent le sanglot venir, s’exprimer de sa bouche pincée. – She’s dead. – L’inconnu la prend dans les bras, la serre très fort, et la cajole, comme maman l’avait autrefois ; – She is yes, but she's still there, she'll always be. – Asghari lève les yeux et acquiesce.
Elle se souvient de son visage, Youri Khodja. Asghari elle ne veut pas tuer, parce que ça lui fait peur, parce qu’elle hait la violence, parce qu’à la Mort, elle a dû lui donner sa seule chance au bonheur. Et pourtant, lui, lui crèvera, lui mourra, elle ne l'oubliera jamais, il en a fait un monstre, il en a fait une ombre.
Des jours sa peau sentait le sang de maman, des jours entiers, à se couvrir d’un cadavre froid, à pleurer, à crever intérieurement, lentement, doucement, cruellement.
Asghari elle a peur de beaucoup de choses ; la mort, le sang, le toucher.

La robe épouse les courbes, séductrice, amante d'un soir,
d'une nuit seulement, c'est dans les lits des inconnus, des âmes en peine qu'elle se réfugie la nuit.
Elle est en mal Asghari, de quoi? Elle ne sait pas. Peut-être d'une vie, d'excitation, d'un quelque chose de plus grand.
L'homme s'approche, caresse son bras, puis ses épaules, mais dans un réflexe intense, elle l'en empêche.
– Not there. – Un ordre. S'il s'approche, s'il recommence, Asghari elle lui brisera les os. Parce qu'elle a peur d'une seule chose, c'est la peau sur la sienne, à ces endroits-là qui ont été touché par la torture.
– Why? – Qu'il lui demande le mécréant. La curiosité est un vilain défaut;
– Because I'm in control; I always am, always will be. – Elle lui sourit,
rit presque, d'un rire charmeur, d'un rire si faux. – It makes things more exciting. –
Elle ment, elle ment comme elle respire. Parce que si on la touche là, ça la terrorise, la tétanise.

Le pas est clair, strident, fort dans les rues vides de la capitale. Asghari sourit, ce sourire froid, mortelle, presque fatale, alors qu’il n’est signe que d’une belle soirée. L’adrénaline s’apaise enfin dans ses veines, alors qu’elle entend sa bourse pleine de trésors retentit à chacun de ses pas. Ressortie victorieuse de son combat, Asghari n’aurait pas besoin de voler, de rester dans les rues et choper les poches des plus insouciants. Pourtant ça lui rappelle qui elle est ; ce qu’elle est et sera toujours. Un rat. Un ras des bas-fonds. Si elle joue à la princesse, si elle a appris à être précieuse, ça ne l’empêche pas une seule seconde de se souvenir de ces temps-là, où elle n’était rien. On lui a tout dérobé, alors elle vole aussi aux autres, en signe de contestation. Et puis elle offre à ses pigeons le plus de ses sourires en simple pardon, espérant parfois que c’est suffisant pour excuser ses méfaits. Les Sept l’ont probablement déjà damné à une vie en enfer, mais Asghari s’en fiche, elle n’en a rien à faire. Elle se fout de tout, mais surtout de rien. Elle voit devant elle, l’établissement qui sert de compétition aux Mères et un petit rire gracieux s’échappe de sa bouche, alors qu’elle se souvient de ses vols ce soir. Le bordel est un amas d’ivres, d’innocents, comme de dégueulasses à qui elle adore faire les poches. Elle se doute que Ace Kimora ne voit pas ses jeux d’un très bon œil, mais elle s’en fout, parce qu’elle a décidé de faire de sa vie un enfer. Pour quoi ? Aucune raison autre que son ennui, son besoin constant d’adrénaline. Obnubilée par sa victoire ce soir, elle sent trop tard une main s’accrocher à son épaule nue. La main l’envoie voler contre un mur, alors qu’Asghari ne réussit pas à oublier le contact sur sa peau ; ce contact non voulu. – There she is the Khodja whore. – Elle sent la nausée, elle sent la peur la paralyser. C’est toujours la même rengaine, ses membres immobiles, passifs, incapables de bouger ou de se défendre. Il pose ses deux mains sur ses épaules, puis sur sa cage thoracique, alors qu’elle sent son souffle perfide sur ses joues. Son cœur bat, bat à en exploser ses côtes, et pourtant, encore une fois, elle ne sait mobiliser aucune de ses techniques pour se détacher de l’ivre. – Tell your mothers i said hello. After they took my son away from me, the least I can do is rob them from their daughter. – Elle n’a même pas la foi de lui répondre, de lui dire non. Elle commence à transpirer, une goutte de sueur roulant le long de sa tempe. Son souffle se fait court, saccadé par la peur, elle sait qu’elle est en train de faire une crise de panique. Elle sait qu’elle est en train de s’effondrer, de tomber dans un trou, mais n’arrive pas à en sortir. – Let me go. – Qu’elle réussit à bégayer dans un ton bien moins confiant qu’à son habitude. Le simple fait de parler, le simple fait de dire, ça lui donne l’impression d’avoir combattu une décennie de batailles. Epuisée, fatiguée, elle sent la larme tomber le long de sa joue. Faible. Faible. Faible. Vulnérable, Asghari est une fleur qui ne demande qu’à être écrasée, elle le sait, le sent, et elle se déteste pour émaner cette impression. – I thought it’d be a lot more challenging to get you, but I guess you’re not a real Khodja, that’s why you’re so easy. – Elle lui aurait déjà craché à la figure, elle lui aurait déjà crevé les yeux s’il ne l’avait pas touché, s’il ne la tenait pas entre ses mains dégueulasses. – Sawyer, leave the girl. Now. – Elle regarde par-dessus l’épaule de son attaquant et voit l’une des hommes de main du Boudoir s’avancer vers la scène de crime. Il touche l’épaule du soi-disant Sawyer. Ses épaules se tendent, alors qu’il grogne, mais relâche la gosse. Elle reprend sa respiration, elle regarde le sol. Elle regarde sa silhouette cabossée, l’ombre qu’elle a toujours voulu fuir, mais qui lui colle à la peau. – I’ll kill him. – Qu’elle se chuchote, qu’elle se promet. La prochaine fois qu’elle le verra, elle lui expliquera pourquoi et comment elle a tout d’une khodja. Et quand le moment arrivera, elle lui coupera les mains, le laissant pourrir dans son sang, tel l’animal qu’il est. Elle se relève, regarde autour d’elle, la nausée l’attaque, s’empare de son esprit, mais elle continue. Et avant de partir, elle jette un regard par-dessus son épaule, bien consciente que la prochaine fois elle ne sera pas si chanceuse.
Bien consciente, que jamais, il n’y aura de prochaine fois.

Elle regarde la fille en face d'elle de manière dédaigneuse. Asghari elle a le secret des regards arrogants, de la mine acerbe, des crachas violents d'enfantilleries dont seule elle a le secret. Elle ne sait cacher la jalousie ou le dégoût. Ca reste ancré en elle, ce besoin insouciant de rendre sa vie tellement plus dramatique qu'elle n'est censée l'être. – You're a lucky one honey. Your adiutor is not only good looking but also a god in bed. – Asghari lève les yeux au ciel, les lèvres pincées. – You finally got laid? –  Elle marque une pause; – It's been two years, since you know... the last time, right? – Ca devient personnel, ça devient presque ridicule. – Sad though, that you couldn't find yourself a man on your own. – Qu'elle dit en faisant semblant d'examiner méticuleusement ses ongles.
Mais plutôt crever que de garder la bouche fermée; plutôt crever de dire que ça la dérange.
– Jealous much? – La fille penche la tête. – I asked you if it would bother you. – Asghari pousse une mèche de cheveux de son visage avec panache et vrille ses yeux sur le visage de l'impétueuse.
– No, not at all. Why would I be jealous when you're just a charity case? I mean honey, I'm his other half, why should i feel threatened? – La réalité dans tout ça, c'est qu'il lui résiste, encore et encore.
Et ça la rend malade.
– I don't care about him anyway. So do whatever you want. – Elle se lève tel l'ouragan qu'elle est, et lui tourne le dos, le menton toujours haut.

Le couloir est vide, sombre, trop silencieux. La maison est pourtant pleine, des gens qui respirent, s’abandonnent aux bras de Morphée, et pourtant Asghari, elle a les yeux grands ouverts. L’amère sensation de ne pouvoir fermer un œil sans revoir les cauchemars. Ces insomnies terribles qui l’empêchent d’étendre son esprit, de se détendre, de profiter de ce qu’elle ne sera jamais ; Alors elle marche. Elle sait pas où, ni vers quoi, un but sans objectif. Mais ses jambes savent et comme dans un automatisme agaçant, elles la mènent devant la porte de son autre moitié. Elle a envie de toquer, comme chaque soir, elle pose la main sur la porte, mais s’y refuse. Pourquoi ? Elle n’en sait rien. Elle s’ennuie, mais auprès de Milo, il y a tout sauf la monotonie d’une vie, il y a tout sauf le regard blasé, et les épaules lasses. Il y a tout, mais aussi rien. Un énorme néant de silence, de non-dits et surtout un jeu, un jeu qu’elle appréhende ; mais qu’elle a commencé. Essuyer les commentaires disgracieux d’une main, cracher sa remarque satirique en réponse. Elle sait pas lui montrer que derrière les yeux assassins se cachent une attache plus profonde, qui la terrorise de bon droit. Alors elle dépose la main sur le bois, la tête penchée, le regard pesant, le cœur qui bat. Mais avant de pouvoir faire le geste strident qu’elle ambitionne de faire depuis des jours, des semaines, des mois, quelqu’un sort. Ce quelqu’un n’est pas Milo. Aux vues de sa tenue, à ses yeux perdus, peut-être même apeurés, Asghari sait ce qu’elle est ; qui elle est. Quand elle voit la Khodja, elle penche la tête vers le bas, les yeux braqués au sol. Une peur qui lui prend l’estomac, parce qu’elle se reconnaît bien malgré elle, dans la posture de l’humaine. Baisser les yeux, ne jamais regarder les maîtres dans l’orbite de leurs iris, de peur de se faire punir, pire encore tuer. Il n’y a aucune pitié pour les esclaves, il n’y en a jamais eu. Et si Asghari ne supporte pas ce reflet d’une ancienne elle, bien oubliée, elle ne peut s’empêcher de faire la moue. Parce que la gosse ne lui a rien fait, ne lui a rien demandé, mais elle a touché à quelque chose qui ne lui appartient pas, mais qui revient de droit à Asghari. Elle se sait hypocrite, de vouloir mettre sa main enflammée sur la personne de son Mêlé, mais c’est un plaisir égoïste qu’elle s’octroie. Un plaisir qu’il lui refuse vaillamment, alors qu’elle grimace à chaque tentative, à chaque instant. C’est plus fort, c’est plus qu’un simple jeu d’attraction, mais ça a commencé là, à cette marge, cette limite qu’ils ont, sans vraiment s’en rendre compte, dépassé il y a bien des mois. – Look me in the eyes. – L’esclave répond sans sourcillement, vrillant son regard dans celui de la Khodja avec respect. Elle y voit la peur, elle y voit le tremblement, mais aussi du courage, l’envie d’être plus, sans en avoir la possibilité. – You should leave. – Qu’elle lui dit. – But before that, what’s your name ? – Qu’elle demande, alors qu’elle sait, qu’elle sait qu’aucun humain n’a de nom. Il est la propriété de quelqu’un, il n’est rien ; pas même une personne. – I don’t have a name. – Qu’elle rétorque, baissant les yeux à son propre commentaire, probablement honteuse à l’idée de s’abandonner davantage. – I know you have one. – Elle penche la tête, lève son menton en s’aidant de deux doigts, et regarde dans ses yeux. – Laia. – Qu’elle lui dit timidement. – Asghari. – Que la gosse lui répond. – Your master must be waiting. – L’esclave hoche brutalement de la tête, le cœur qui bat, alors que Asghari peut le sentir sous ses doigts. Elle les retire délicatement, pour éviter d’effrayer l’humaine, avant de se pousser de son chemin. – You should defend yourself, you should leave, break these chains but for now go, go before your master gets mad. – Briser les chaînes, qu’elle, ne réussira jamais à briser. Parce que si Asghari est libre, elle est l’esclave d’une seule et même chose ; ses peurs. L’esclave part sans se retourner, alors qu’Asghari voit la porte de Milo entrouverte. Son cœur bat, ses mains sont jointes. Elle s’autorise un regard à l’intérieur de son antre, sans passer le pas. Elle se sent idiote, trop stupide, tournant le dos, elle ne cherche pas même à cacher le rose sur ses joues.
Ce n’est rien, ça ne sera jamais rien.
Si ses peurs sont son bourreau, alors ses mensonges seront sa pénitence.

Elle marche dans les rues, ses pas galopant dans son ombre.
La silhouette fine, presque invisible, elle s'approche d'un homme, sa proie, sa cible.
Il est comme ces Autres, des ignorants, des naïfs, des innocents.
Qui croient, croient la connaître elle, l'âme en détresse, la demoiselle en besoin d'aide. Elle répète le même sketch tous les jours.
Un battement de cils, un sourire, une larme sur la joue. Et puis, le porte-monnais disparaît, s'écrase dans sa poche.
– Excuse-me sir, could you maybe help me? I'm in need of assistance, I think I'm lost? – Elle marque une pause. – And I'm very scared. – Il s'approche d'elle et lui sourit. – Don't worry love, I can help. Where are you going? – Qu'il lui demande. Elle se retrouve à quelques centimètres de lui, et sans l'hésitation d'une seconde, plonge sa main dans son manteau et y vole tout ce dont elle a besoin, sans même qu'il s'en rende compte. – Near the palace please. – Alors qu'elle lui vide les poches, il lui montre où se rendre, et lui propose même de l'accompagner. Elle secoue la tête. – Thank you very much. But I'll manage. – Et elle s'en va dans l'ombre, sans se retourner, sans ressentir un seul remord. Poupée cassée, poupée malmenée, mais Asghari n'a rien de l'innocente qu'elle aime dépeindre.

Elle rumine la gamine, à se questionner, à se forger dans la tête ce qu’elle a toujours su : elle est faible. Ils ne savent pas ces gens-là, ce qui se trame dans sa tête, dans son corps, dans son âme. C’est une autoroute interminable, un cœur qui bat, qui lâche pas. Une terrible rengaine, une foutue chanson qui reste coincée dans la tête. Ca se répète, ça se faufile dans les pensées, pour jamais disparaître. – How did he find out ? – Que sa mère lui demande, pensive, fascinante et pourtant contrariée. Un Kimora détient une information sur sa fille, et pas n’importe lequel. Le Trou n’a jamais été dans leurs mains, les Khodja, à qui appartient la moitié de la ville, ont toujours vu cet établissement comme une insulte à leur pouvoir. Il fallait bien qu’un jour une certaine compétition s’installe au sein des pavés de la capitale, mais les Mères le voient toujours d’un très mauvais œil. Asghari hausse les épaules, elle s’énerve à ne pas savoir, à ne pouvoir rien faire. Elle l’a provoqué la sale gosse, elle a fait exprès, qu’il la voit voler, qu’il la voit entrer dans le bordel. C’est un jeu, un jeu par lequel elle subit à présent une violente défaite. Il sait. Et ça la rend malade. Parce que Asghari elle cache si bien ses peurs, ses émotions, les aléas de sa vie, elle sait si bien jouer avec l’information qu’elle en a peut-être perdu le nord. Elle a peut-être été trop arrogante, trop sûre d’elle et la confiance l’a démoli. Elle s’est promise, que jamais personne ne saurait, que jamais personne ne découvrirait ce secret qu’elle cache lourdement ; qu’on ne peut pas la toucher sans qu’elle se crispe, sans qu’elle se tétanise, se paralyse. Mais Ace Kimora sait. Il joue de l’information, il joue du secret pour ses propres intérêts, elle a terni son nom, et il a terni sa fierté. – I don’t know. But he does and it bugs me. – Qu’elle rumine. Sa Mère, se tourne vers elle, et dépose ses mains sur les petites joues de sa fille. – He’s no one, he’s nothing, don’t worry he will do nothing if he values his life. –  Asghari sourit. Maman a toujours les mots, maman a toujours le conseil ou l’arme parfait pour détrôner ce qui n’aurait jamais dû être. Elle a une force qui lui rappelle Maïa, c’est peut-être pour ça, qu’elle a troqué son ancienne vie, son ancienne mère pour celle-ci. Pour s’affronter, affronter ses démons, affronter Youri, affronter la vie. – You’re right. I shall make him pay for his arrogance. – Maman rit, elle rit de ce rire cristallin qu’Asghari connaît si bien. – I don't doubt a second, that you will! –  La gosse serre une dernière fois la main de maman, et s’en va, lui tournant le dos, à la recherche de sa future proie.


Elle se balade la nuit, dans les vieilles rues d’une capitale qui saigne, qui suinte de mauvaises herbes, d’une criminalité hors du commun. Mais de par son nom, de par le tatouage qui siège sur son bras, les corbeaux, elle se mouve sans avoir à se soucier de la conséquence de son affront. A quelques pas du Trou, un sourire froid se forge sur ses lèvres, alors que son pas se fait plus confiant, plus grandiose qu’auparavant. Personne ne provoque une Khodja, encore moins quelqu’un qui n’est rien. Elle a combattu la faim, la soif, la torture, la mort et la séparation, Ace Kimora n’est, ne sera jamais rien. Pas un point dans ses plans ou ses ambitions. A présent ils sont égaux, des Argents qui n’en n’ont jamais vraiment été. Et pourtant c’est dans l’or et l’argent qu’ils se plongent, et qu’ils se noient. Asghari est prête à se noyer, à laisser l’eau défaire ses poumons, si avant ça elle arrive à crever ses démons, les obstacles ; des obstacles qui prennent sa forme à lui. Elle croise un homme qu’elle reconnaît vaguement, un employé du Trou. – Hey you ! – Qu’elle lui dit en lui lançant un caillou dans le dos. L’homme se retourne avec vivacité et la fusille du regard. – Look at what we have here. The Khodja whore. – Elle rit, si faussement, si hypocritement. Il s’approche. – Without your family around you, you look a lot smaller. Ain’t scared something could happen to you? – Elle pouffe une seconde fois, s’avançant à son tour. – I didn’t want to resolve this in violence. But you calling me a whore was very rude. – Il sourit et essaye de la cloisonner contre le mur de l’allée. Mais Asghari est plus rapide et l’évite facilement, trop facilement en contornionant son corps. Poupée disloquée, elle lui donne à la volée un coup dans le tibia avec son coude. Elle l’entend grogner et tenter de l’attraper. Il réussit à la pousser et lui faire perdre l’équilibre pendant quelques secondes, juste assez pour qu’elle le tourne à son avantage. De sa main droite elle lui tape la tempe gauche, puis attrape son nez de sa main gauche, et le tourne violemment pour le lui casser. Du sang éclabousse son habit, et dans le nuit noire, seul le cri du dégueulasse retentit. – Look at what you made me do. My beautiful dress is  ruined. – Elle lève les yeux au ciel. Elle a horreur de ça, de cette odeur, de cette couleur, de cette tâche. Des Flashs lui reviennent de l’enfance, de maman dans ses bras. Mais Asghari lève le menton. Il est temps qu’elle démonte ces rêves, ces cauchemars. – Bitch you broke my nose. – Elle soupire, s'approche de sa figure agenouillée, et le prend par les cheveux.  – You can tell your boss that he can kiss my grandiose ass. And tell my "secrets" to whomever he wants. –  Elle marque une pause, penche la tête sur le côté, telle une poupée démantelée. – But if he actually cares about his business or his life he should stop. –  Elle lui donne un dernier coup de pied dans les parties intimes. – Nobody crosses a Khodja without tasting the bittersweet consequences. – Elle lui fait un clin d’œil, tout sourire, lui tourne le dos et s’en va avant de, dramatiquement, se retourner une dernière fois. – I don’t normally kill people, but I might make an exception out of him. – Et elle part, disparaissant dans l’ombre des rues.

Faire face aux démons,
Ne plus courber l’échine.