C'est désagréable cette sensation qui parcourt tout son corps. Le malaise permanent qui lui éprend les tripes. Cette émotion vivace et pourtant silencieuse. Ce doux poison qui coule dans ses veines et qui empoisonne son coeur. Elle n'arrive pas à mettre de mots dessus, la belle reine. Solitude. Coeur brisé. Haine de soi. Trop de possibilités pour un mal être qu'elle dissimule avec un beau sourire. Les apparences sont trompeuses. Elle en joue bien trop souvent et elle se perd dans les méandres de ses jeux. Elle est seule, Elizaveta. Elle a trahi pour le bien de la nation. Elle a conclu un pacte pour Aerinstin. Pour la couronne. Elle est devenue la reine Elizaveta. Liza s'est perdue sous l'éclat de la couronne et les étoffes luxueuses de ses robes. Elle ne sait plus qui elle est. Reine. Femme. Soeur. Enfant. Le masque de la reine anéantit chaque parcelle de l'ancienne gamine. Il n'y a plus personne pour l'en empêcher. Papa est mort. Maman la déteste. Andrei s'éloigne. Sa silhouette se détourne de Neve. Il n'y a plus rien d'autre que le silence, le vide. Le néant. Elle ne peut qu'observer la couronne argentée qui gît entre ses mains, partagée entre l'envie de la faire imploser au sol et la peur de la perdre. Son adiutor est devenu une ombre. Une voix lointaine et une présence invisible. Perdue. Sans repère. Sans famille. Sans personne. Comme toujours, ses prunelles sont à la dérive. Ses iris observent le ciel étoilé qui règne en maître. Seule la lumière de la lune éclaire la pièce d'un éclat triste. Des pas résonnent. Des voix s'élèvent. Elle est loin, Liza. Elle a le coeur anesthésié. Les pensées léthargiques. Une coquille vide. La porte s'ouvre avec fracas, ne laissant qu'une poupée sans réaction. Elle l'a presque oublié, Maven. Après son départ du palais, elle n'a plus adressé le moindre mot au prince du feu. La honte d'avoir fait une telle déclaration. La faiblesse d'avoir fait comprendre à son fiancé toute l'ampleur de ses émotions naissantes. Trop de raisons qui ont poussé au silence.  « T’as rien à me dire ? » Elle réagit à peine, Liza. Leur ancienne complicité semble avoir laissé place à un gouffre sans fond. Leur moment d'égarement a cédé la place à l'incompréhension et la peur. Son regard reste fixé sur la voûte céleste. Sa seule confidente depuis son couronnement. La seule qui l'écoute sans juger. La seule qui est là. Stoïque, la Valaeris n'esquisse pas le moindre mouvement, ni la moindre réaction. Aucun rictus n'étire ses lèvres. Aucun froncement de sourcil ne vient atténuer son air placide. « Pas besoin de prendre tes grands airs de reine avec moi, Valaeris. Je sais ce que tu as fait. Ne te cache pas derrière ton masque de perfection, tu ne vaux pas mieux que tous les insectes que tu fréquentes. » Un soupir s'échappe de ses lèvres. C'est toujours le même refrain. Toujours les mêmes reproches. Elle est lasse, Liza. La belle est surtout blessée. Elle ne représente rien pour Maven. Elle y a cru, l'espace d'un instant. Elle ne veut plus jouer à ce jeu malsain. Ce jeu d'échec qui ne conduit qu'à la haine et au ressentiment. « Alors, tu dis rien ? J’suppose que c’est pas la honte qui te consume. » Elle est froide, Liza. Si froide. Sa peau se fait marbre. Son coeur se veut aussi dur que l'acier. De l'argent coule sous son épiderme. Elle n'est plus là. On a coupé les fils de la poupée. Elle a abandonné la gamine. Elle n'a pas supporté la distance avec sa famille. La solitude de la grande salle du trône froide. La guerre qui consume Aksana. Sa nation. Elle est devenue presque aussi impassible et glaciale que le trône de marbre blanc qui siège dans son palais. Elle n'est plus qu'un vulgaire robot. Un instrument du pouvoir qui n'écoute plus que la raison. Si elle doit tomber pour protéger sa nation, qu'il en soit ainsi. Tout ce qu'elle veut, c'est léguer un royaume en paix à Andrei. Elle cligne des yeux, la belle, comme soudainement consciente que Maven s'agite auprès d'elle. Elle est presque triste mais elle n'écoute plus la voix de ses émotions, étouffée par le creux qui s'est formé dans sa poitrine. « Pensez ce que vous voulez, prince Oshun. » C'est la glace qui entoure la reine. Le froid qui s'échappe de chacune de ses paroles. Elle est désabusée, Liza. Elle en a assez. Assez de croire à une quelconque alliance avec Maven. A un quelconque amour possible. Ils ne sont que les enfants de la politique. Les pantins de leurs héritages. Cadeau empoisonné de leur naissance. « Votre si basse estime de moi ne devrait plus être un fardeau. Après tout je peux m'arranger avec l'empereur pour cesser cette comédie. » Ses mots sont plats, presque dénaturés. Il n'y a aucune vie, aucune ardeur. Elle a préféré oublier. C'est préférable à la souffrance. Préférable à une vie malheureuse faite de duels et de disputes. Si elle doit lier son existence à celle d'un membre d'une bonne famille, autant le faire avec quelqu'un d'autre. « C'est ce que vous voulez depuis le début. » Elle aussi a eu le même souhait. La même haine a habité son être avant de faiblir. La même méfiance a protégé son coeur avant de tomber. La différence c'est qu'elle a arrêté le jeu, rien qu'un petit peu. Elle a espéré alors qu'il ne faisait que jouer. Elle a échoué. Il a gagné. Point final. Echec et mat. Maven n'a plus besoin de détruire sa nation, son monde. Aeristin est devenu allié des Oshun sans mariage. Il n'a plus besoin d'envoûter la jeune femme avec ses doux mensonges et sa mission de lui nuire. Elle hésite même à applaudir la performance. Les longues nuits passées dans la solitude rongent son esprit. Les doutes se multiplient depuis son couronnement. Je te comprends papa. Je te comprends maintenant. Il est trop tard. Trop tard pour les regrets et les pleurs. Trop tard pour la nostalgie du passé. Elizaveta est le monstre que ses actions ont créé.

« Quelle grande actrice tu fais, Elizaveta. Faire comme si de rien n’était. Pire, oser tout me remettre sur le dos. T’en as du culot. C’est pas très princier ça, comme attitude. » Elle grimace presque à l'insulte qu'il lui fait. Actrice. Une vérité qu'elle n'accepte pas mais un vérité tout de même. On lui a insufflé l'art du mensonge et de la manipulation dès son plus jeune âge. Elle a appris à attendrir les coeurs les plus durs et à détourner la méfiance d'un battement de cils. On l'a privé d'une enfance paisible pour en faire une intrigante, une future reine. Elle se demande parfois où est la limite entre le jeu et la vérité. Ce jeu dans lequel on l'a entraîné alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Liza ne détourne pas son regard de l'ombre menaçante du prince. Elle ne ressent ni honte, ni rage. Elle ne veut pas se concentrer sur de si infimes détails. « J’oubliais à quel point tu es amie avec mon frère, désormais. Mais, juste une chose, sait-il que tu t’envoyais son précieux Griffith ? » Ses doigts se resserrent autour du tissu de sa robe. Ses prunelles se durcissent à l'évocation de Adonis. Les dents serrées, la reine observe la silhouette de Maven sans vraiment la voir. Les souvenirs se mêlent, à la fois douloureux et lointains. Adonis n'est plus qu'un fantôme de son passé. Un ancien ami. Un vestige d'une vie qu'elle regrettait parfois. Un détail attire son attention et éloigne la nostalgie amère. Le sourire carnassier qui étire les lippes de son fiancé la fait frémir. Quelque chose se brise. Comme ça. Un rêve. Une illusion. La naïve idée d'avoir percé l'armure de Maven et d'avoir vu son véritable visage. Elle en rirait presque la divine. Elle se déteste d'avoir été si candide. C'est le visage qu'il montre à cet instant qui est le sien. Pas celui de l'homme tendre et attentionné qu'il avait été avec elle. Maven Oshun est jaloux, violent et mesquin. Liza a presque du mal à le croire après ces dernières semaines. Il doit être un très bon joueur pour avoir su la manipuler ainsi. « J’savais pas que les reines s’amusaient à s’envoyer tout le royaume. Dommage pour toi, salope, les masques finissent toujours par tomber. » Crac. Les secondes ralentissent. L'air se fait plus pesant. Liza a à peine conscience de son geste. Elle lui fait face, à bout de souffle, la main encore suspendue dans les airs. Elle en oublie la douleur qui émane de ses jointures. Seule l'image de sa joue rougie lui importe. Elle est blessée mais elle refuse de lui montrer. Elle s'est peut-être trahie en régissant ainsi mais elle s'en fout. Il n'y a pas de colère dans sa voix, juste de l'amertume. « T'es vraiment con, Maven. » Plus de vouvoiement, plus de distance. Liza n'esquisse pas un seul mouvement de recul. Elle n'a pas peur de sa fureur, ni de sa jalousie mal placée. Ses pupilles sont fixées sur le visage défiguré par la rage du Oshun. « Tu oses m'insulter ainsi pour une vieille histoire sans importance alors que tu fréquentes toujours ta Osanos. » Le dégoût s'insinue sur son visage tandis que sa main disparaît dans les pans de sa robe. Elle est lasse, Liza. Lasse de devoir se battre encore et toujours contre Maven. De livrer des batailles pour des accusations qui ne sont pas fondées. « La différence avec Adonis c'est qu'il ne s'agissait pas d'amour. Peux-tu en dire autant avec Merle ? » Elizaveta n'est pas idiote. Elle sait tout de sa relation passée avec la Osanos. Elle a accepté l'idée qu'il l'avait aimé avant elle et que la Valaeris ne représentait qu'une union arrangée. C'est sans doute cruel de l'entendre de sa propre bouche. « Je suis peut-être le Monstre mais c’est toi la grande méchante de l’histoire. » Elle n'a plus la force, Liza. Elle n'en peut tout simplement plus. Les mots se forment déjà sur ses lèvres mais c'est la lassitude qui les emporte. Un soupir s'échappe de ses lippes tandis qu'elle s'éloigne. Une défaite. Un aveu silencieux. Qu'il pense ce qu'il veut. La belle s'approche du balcon illuminé par la lumière céleste. Les yeux perdus dans les étoiles, la jeune femme repense à son enfance bercée par l'observation des astres. Ce temps où elle était proche d'Andrei. « Va-t-en. » Ce n'est pas une injonction, ni une supplication. Elle n'a plus rien à lui dire ni à lui donner. Il a tout pris. Sa rage, son espoir et ses forces. Tout. Elle ne lui demande que la paix, le silence et l'oubli. La divine l'espère mais elle sait qu'il n'accédera pas à sa demande. Suis-moi je te fuis. Fuis-moi, je te suis. « Va-t-en, Maven. » Un point final qu'elle murmure. Une fin inespérée qui n'est pas encore accordée. L'épilogue d'un chapitre. D'un peut-être. D'une histoire qui n'aurait pas dû être. La conclusion d'une idylle impossible. Il n'y a pas de retour possible. Plus après cet instant. Pas de futur envisageable. Juste un dénouement présent.