Ce bureau était désormais le sien. Cal s’y était vite habitué, et se l’était tout aussi rapidement approprié. Cependant, le fantôme de sa génitrice planait toujours dans cette pièce, telle une ombre qui menaçait de s’abattre sur lui s’il ne rendait pas justice à son règne. L’Oshun n’avait pourtant pas l’intention de le faire. Au contraire, même. Il voulait s’éloigner de cette image que Camilla avait instaurée. Il souhaitait créer une nouvelle ère pour sa famille. Désormais qu’il avait le pouvoir entre ses mains, il voulait prendre ses propres décisions, et ne plus avoir à regarder avec frustration celles de sa mère. Les choix de feu l’Impératrice avaient précipité le Royaume dans le chaos, qu’il devait désormais géré par lui-même. Un joli cadeau qu’elle lui avait laissé en perdant la vie. L’empereur l’avait détesté toute son existence, et il la détestait encore aujourd’hui, d’une haine brûlante. Héritier d’un royaume en perdition, il se devait de faire des choix qui lui coûtaient énormément pour garder sa couronne, pour conserver ce pouvoir auquel il avait aspiré depuis sa tendre enfance. Et il détestait ça, bien sûr. Ses propres grands-parents avaient porté la famille sur le trône, et désormais tout semblait partir en fumée, sous son règne à lui. Quelques semaines tout juste, mais ça avait suffi. Et la désagréable impression de ne plus pouvoir se fier à personne ne le quittait plus, alors que les trahisons s’accumulaient, que chacun semblait changer de camp à sa guise. Cal gardait sur son entourage un œil critique, acerbe, en particulier depuis le départ d’Isaure. Il n’aurait pas dû être surpris par cet acte, mais la douleur était tout de même présente. Trahi par son propre sang. C’était probablement sa punition divine pour la lâcheté dont il avait fait preuve, une décennie auparavant. L’ironie du sort et du destin. L’empereur fut sorti de ses pensées par la porte s’ouvrant brusquement, par la silhouette de son frère qui apparaissait dans l’encadrement. Cal posa la plume qu’il tenait dans sa main droite, son regard interrogateur détaillant Maven avec attention. Son cadet ressemblait à un gosse des rues, avec son t-shirt déchiré et la misère inscrite sur ses traits. Il ressemblait à un mercenaire, les jointures en sang, le visage abîmé par les coups qu’on lui avait porté. Le blond ne savait pas d’où il venait, ni ce qu’il avait fait pour arriver jusqu’ici. Il savait encore moins ce que son frère venait faire ici. Voilà des années qu’ils partageaient le même sang, mais aucune affection. Des années que Maven le haïssait de toute son âme. Des années qu’il suivait Isaure aveuglement, comme un chien fidèle. Et pourtant, elle n’avait pas hésité à l’abandonner ici, derrière elle. « J’imagine que je vais devoir me soucier de remplacer mes gardes, s’ils n’ont pas été capables de t’arrêter. » Maven était un combattant hors pair, Cal le savait. Il l’avait vu à l’œuvre auparavant. De grandes capacités, mais qu’il peinait à canaliser. C’était ça, sa plus grande faiblesse. Tête brûlé, il fonçait sans réfléchir et ça allait finir par lui coûter sa vie, si le blond ne changeait pas un peu. Le cadet ne prit pas la peine de répondre, il se rapprocha de l’ancien prince, son regard tourmenté plongé dans celui, plus calme, de son aîné. Et soudainement, il s’abaissa, posant les genoux à terre et courbant la nuque en signe de soumission. Cal l’observa, surpris. Il l’écouta, attentivement, sans l’interrompre. Il se délectait des paroles du prince, de cette allégeance nouvelle et inattendue. L’Oshun ne se souvenait pas d’avoir un jour eu le soutien de sa fratrie, mais c’était agréable. Il se désolait de l’obtenir en de telles conditions, après la trahison de la terrible princesse, mais peu importe. En prenant cette décision, Isaure avait poussé Maven jusqu’à lui, et pour ça, il la remerciait. L’empereur poussa son siège afin de se lever. Il s’approcha de son frère, s’abaissant quelque peu pour poser une main sur son épaule. « Je suis heureux de voir que tu as retrouvé la raison. » Il ne souriait pas. Le sérieux avait envahi ses traits et ne le quittait que très rarement, ces derniers temps. « Lève-toi, Maven. » Il se redressa lui-même, son regard toujours fixé sur son frère. « Tu n’es pas un simple mercenaire, ni le chien d’Isaure. Tu es un prince Oshun, ne l’oublie pas. » Cal comptait bien se démarquer d’Isaure, à sa façon. Jouer sur cette blessure encore ouverte, douloureuse, afin d’affirmer le soutien de son cadet à sa cause. Lui montrer qu’il pouvait le considérer, et pas seulement lui demander de faire le sale boulot. Il avait d’autres personnes pour ça. Il avait besoin de trouver en Maven un allié indéfectible. Une arme supplémentaire, pour montrer à tous que la famille Oshun était désormais soudée, envers et contre tous.