Depuis la fin de la guerre, jamais Aksana n'a connu de tels changements. Les nouvelles sont arrivées les unes après les autres, l'annonce de couronnements à travers le royaume a alimenté les dernières discussions, et celui de l'héritière des Valaeris ferme la marche. Asha, appuyée contre un mur dans l'immense salle du palais, ne peut s'empêcher de penser à tous les sacrifices qui ont été faits pour en arriver là. Inévitablement elle est rattrapée par l'attaque contre la ligue, et la honte de ne pas avoir été présente, de ne pas avoir su défendre les innocents qui ont perdu la vie par la faute de la résistance. Elle n'a pas besoin d'être devin pour savoir que les alliances et stratégies mènent tout droit vers la plus grande guerre qu'Aksana ait jamais connu, et si elle applaudit la place récupérée par les Valaeris dans la hiérarchie impériale, elle se montre mesurée, vigilante, dans son enthousiasme. Ils sont plus que jamais une cible, sans doute plus facile à atteindre que l'empereur malgré l'armée qui les défend. La relation avec Eartanera n'a jamais été si précaire, un fils pour un père, une vie pour une autre, mais tous savent qu'ils n'en resteront pas là. Le roi autoproclamé souhaite faire couler le sang, prendre le pouvoir du Feu et imposer son règne sur tout l'Empire. Les têtes tomberont, et celles des Valaeris seront sans doute en tête de liste. Le regard d'Asha se pose sur Andrei, assis à la droite de sa sœur, tout juste sorti du coma et en convalescence malgré les apparences qu'il renvoie à la foule. Tout n'est qu'image, pour laisser croire à une démonstration de force. La voix d'Elizaveta est assurée lorsqu'elle expose ses premiers décrets royaux. L'apprentissage de la magie pour tous les Maîtres. L'armée de l'air. Les murmures s'élèvent dans la foule, se font plus animés, tout le monde a son mot à dire sur le sujet. Asha reste pourtant silencieuse et finit par joindre ses applaudissements à ceux des habitants de Volastar, en même temps que sa voix. « Longue vie à la Reine Elizaveta Valaeris. » Et pourtant, elle n'a jamais risqué d'être plus courte qu'aujourd'hui, et les mines graves des Valaeris laissent à penser qu'ils le savent, eux aussi.

Il se tient à ses côtés, fidèle confident des temps enfantins, et scande avec les autres son nom glorieux, malgré son coeur qui se serre en sa poitrine. Liza est magnifique, comme elle l'a toujours été, et la couronne sur sa tête représente tous ces rêves qu'elle lui racontait lorsqu'ils n'étaient encore que des gamins innocents. Elle déclame des mots que tous applaudissent, et un sourire se colle au visage du nouveau prince. C'est ce qu'on attend de lui désormais : qu'il se tienne près de sa soeur et souveraine, qu'il sourisse et supporte chacune de ses décisions. Mais comment soutenir cette soeur qui l'a déçue dès son premier acte en tant que régente ? La foule a les yeux rivés sur le couple qu'ils forment, d'or et de gloire qu'ils sont. Le prince se penche auprès d'elle, « Te voilà là où tu l'as toujours rêvé. » souffle-t-il au creux de son oreille, regard et voix mielleux à souhait. « Dommage que Papa ne soit pas là pour voir cela. » continue-t-il de la même voix, versant son venin de déception sur l'épaule de la reine. Son sourire, pourtant, ne s'efface pas. Aux yeux de tous, il est le parfait frère pour cette reine qui s'apprête à faire ses débuts dans la cour des grands.

Dans la vie, une bonne nouvelle est toujours accompagnée d'une mauvaise, c'était un fait en lequel Galya croyait fermement. Le sacrifice qu'a fait Elizaveta Valaeris en débarrassant l'univers de la pourriture qu'était Oleg a été amplement récompensé par l'univers : quoi de mieux que de faire le deuil de son père avec une couronne d'argent sur la tête ? En même temps, ce cadeau était certainement empoisonné, puisqu'encore une fois, une bonne nouvelle est toujours accompagnée d'une mauvaise. Alors même si elle n'était pas particulièrement emballée à l'idée de devoir s'incliner devant la nouvelle reine, Galya se réconfortait en se disant que c'était toujours mieux que si c'était Oleg qui avait récupéré le trône. Et puis, elle n'avait rien à lui envier, sa nièce était sur le point de sceller son avenir pour toujours en régnant sur une nation qui s'apprêtait à entrer en guerre, quelque chose lui disait que l'idée ne lui plaisait plus autant maintenant qu'elle était sur les devants de la scène. Si Galya ne la connaissait pas mieux que ça, elle aurait juré que les récents évènements ne pouvaient être que le résultat d'un plan minutieusement concocté. Sauf qu'elle la connaissait justement, presque aussi bien que si elle était son enfant et elle savait donc que la décision qu'elle avait prise de livrer son père à la nation de la terre ne relevait pas de son génie, mais d'un stupide sens moral. Comme si on pouvait prétendre que quelconque justice pouvait être rendue dans ce monde. Enfin, elle pouvait se réjouir d'au moins une chose : en ce vingt-deux septembre 2164 (date qui restera gravée pour toujours dans le top cinq de ses dates préférées), alors qu'Elizaveta se préparait à porter une couronne fraîchement déterrée sur sa belle petite tête blonde, agonisait quelque part Oleg Valaeris sur les terres d'Eartanera. Le prix que Galya devait payer pour cette bonne nouvelle était qu'elle ne pouvait pas assister à son exécution, c'était désolant mais elle se contentera d'imaginer les détails sanglants de sa mort, de se les repasser chaque nuit avant d'aller dormir pour être sûre et certaine de faire de beaux rêves. Cette pensée lui redonna le sourire. Le monde tombait en ruines autour d'elle, son avenir s'effritait au fil des minutes qui défilaient, plus rien n'allait, son mari n'était pas présent à ses côtés mais il y avait toujours de la lumière au bout du tunnel (même quand le tunnel est si long qu'on a l'impression qu'il ne prendra jamais fin) : un des hommes les plus méprisables qu'elle ait eu la malchance de connaître était sur le point de passer l'arme à gauche (peut-être même qu'en ce moment même, c'était déjà fait) après avoir été humilié devant le monde entier par sa propre fille. Rien que pour ça, aujourd'hui était une belle journée, peu importe les temps durs qui se profilaient à l'horizon.