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(2163) Encore une nuit, encore une fête. Des préparatifs à n'en plus finir. La célébration d'une quelconque annonce. Une autre occasion de glaner les informations réclamées par Ernest. Assise face à la coiffeuse, Lycoris évite son reflet dans le miroir. Le regard éteint, elle laisse la camériste dompter son opulente chevelure de flammes. Ses mains blanches aux longs doigts volent autour de sa tête et créent une véritable oeuvre d'art. Son ouvrage terminé, la jeune femme exécute une petite révérence et recule d'un pas pour laisser sa maîtresse s'observer dans le miroir. Avec un soupir, Lycoris ne jette qu'un coup d'oeil à ses cheveux, avant d'adresser un sourire d'approbation à la domestique. Celle-ci rassemble ses brosses et quitte la chambre de la rousse. Au même moment, un jeune page passe la porte et patiente, dos au mur, que la noble daigne remarquer sa présence. D'un mouvement désinvolte, Lycoris se lève, déployant autour d'elle les métrages de tulle qui composent le jupon de sa robe, vaporeuse et imposante. Son pas aérien la mène jusqu'au garçon, engoncé dans sa livrée aux couleurs de la maison des Swanson. Celui-ci s’incline devant la princesse et s’empresse de délivrer son message. « Lord Swanson souhaite vous voir dès que vous serez prête, miss. » Elle lève un sourcil interrogateur, hésite à questionner le page mais se ravise à temps. Il ne sert à rien de demander plus d’explications. Comme à son habitude, le patriarche s’est sûrement montré laconique en lançant son ordre. « Je vous suis. » Avec une nouvelle inclinaison du buste, le page ouvre la porte devant elle et la précède dans l’immense galerie qui mène à ses appartements. Silencieuse, la jeune femme marche dans les pas du serviteur, prenant soin de rester impassible face aux domestiques qu’ils croisent en chemin. Pourtant, tous sont employés au palais des Swanson depuis plus de vingt ans. Elle a grandi entourée de cette famille élargie, un peu secrète, habituée aux écarts de la fillette. Rêveuse et joueuse, elle courait alors dans tous les couloirs, manquant parfois faire perdre l’équilibre aux serviteurs. Ses éclats de rire ont longtemps résonné sous les voûtes dorées du palais, amenant un peu de vie entre ces murs éteints. Accoutumés à la vivacité et la bonne humeur de la dernière-née des Swanson, c’est avec surprise qu’ils l’ont vue revenir au domaine familial, métamorphosée. Désormais mesurée et secrète, on n’a plus jamais vu Lycoris courir dans les couloirs. En suivant le page, elle ignore avec superbe ses compagnons de jeu d’autrefois. Arrivés devant les appartements d’Ernest, le domestique ouvre la double porte et laisse passer la noble. Celle-ci pénètre dans le vaste salon à la lumière tamisée, vaguement inquiète de la conversation à venir. Face aux imposantes baies vitrées donnant vue sur les jardins, pour l’instant plongés dans la pénombre de la nuit, Ernest patiente. Les bras croisés dans le dos, le patriarche observe sa nièce dans le reflet de la fenêtre. Le sourire mauvais qu’il affiche n’échappe pas à Lycoris et elle la fait frissonner. Pour masquer son trouble, elle plonge dans une révérence et attend l’ordre de se relever. « Je t’attendais. » Le ton froid la fige un instant mais elle se redresse précautionneusement. « Mon oncle. Vous vouliez me voir ? » Sans un mot, Ernest se retourne pour faire face à la jeune femme. Fidèle à lui-même, le patriarche affiche un regard sombre et une expression dure, implacable. Habillé pour la fête de ce soir, son habit bleu nuit fait ressortir le clair de ses yeux, deux billes de glace qui clouent sur place ses interlocuteurs. Lycoris ne fait pas exception et c’est avec appréhension qu’elle attend de connaître les raisons de sa présence. « Je veux te rappeler de tendre l’oreille ce soir. Il ne s’agit pas d’une fête anodine, malgré les aspects frivoles qu’on voulut lui donner les Oshun. » D’un hochement de tête, Lycoris acquiesce et se détend un peu. Il n’y a finalement rien d’extraordinaire à la convocation du patriarche. Un simple rappel de sa raison d’exister au sein du clan Swanson. « Je ne vous décevrais pas, mon oncle. » Si Ernest semble satisfait, il n’est visiblement pas prêt à la laisser partir. « Je dois te prévenir. Shade Osoryd sera également présent. » Cette fois, elle est sûre de voir s’étirer les lèvres d’Ernest en un sourire sadique. Il prend plaisir à lui faire cette annonce, car il sait qu’elle en sera perturbée. Si effectivement la nouvelle l’agite, elle n’en montre rien. Pourtant, Shade a été tellement important dans sa vie que la perspective de le revoir la rend immédiatement nerveuse. Si elle le sait, Ernest en est forcément conscient, lui aussi. Impassible face à son bourreau, Lycoris s’efforce de ne rien montrer. Mais Ernest lui assène un nouveau coup. « Tu as dû apprendre ses fiançailles avec une fille de l’air, n’est-ce pas ? J’en ai été heureux. » Cette fois, elle chancelle. Elle ignorait encore l’annonce du prochain mariage de Shade. Inévitablement, c’est un choc. Ensemble, ils ont caressé l’espoir de s’unir l’un à l’autre. Ils ont rêvé d’une vie à deux, libres de leurs contraintes familiales. Mais Ernest est venu fracasser leurs désirs, les sacrifiant sur l’autel de l’ambition des Swanson. Quelques années après, la blessure est toujours à vif. Il lui faut néanmoins jouer l’indifférence. « Ne vous en faites pas, mon oncle. Je n’ai pas pensé à lui depuis très longtemps. » Pieux mensonge, qui ne dupe personne. Le patriarche s’acharne encore un instant sur sa nièce. « Tu m’en vois ravi. Ne t’inquiètes pas, ton tour viendra bientôt. » Son allusion au mariage de Lycoris glace la jeune femme. Elle n’ignore pas que son union sera l’objet d’un âpre marchandage entre deux grandes familles du royaume et que personne ne prendra la peine de lui demander son avis. Elle n’est pas la seule dans ce cas, mais ce fait ne constitue pas une consolation. Avec résignation, elle s’incline néanmoins devant l’annonce du patriarche. « Je vous fais confiance, mon oncle. » Comme à son habitude, elle joue l’obéissance et la soumission. Mais les dernières minutes ont profondément ébranlé ses fondations et elle attend avec impatience l’autorisation de quitter la pièce. Non que le bal auquel elle doit se rendre l'enchante particulièrement. Mais la présence d'Ernest lui est devenue insupportable. « Avec votre permission, je vais me retirer. » Sa voix tremble légèrement et elle sait que le patriarche ne manquera pas de le remarquer. Avec une légère inclinaison de la tête, il l'autorise à partir. « Nous nous verrons à la fête, mon petit. » Son ton menaçant fait frissonner la jeune femme, mais elle sort des appartements la tête haute. Pour rien au monde elle ne laissera Ernest voir qu'il l'a blessée. Si elle a déjà été brisée il y a longtemps, elle s'est endurcie au fil des années. Mais la fêlure originelle est toujours présente et parfois, Ernest parvient à la rouvrir. Son passé n'est finalement qu'une vaste plaie béante, dont elle combat chaque jour l'infection.

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