unbeing dead
isn't being alive.
(soundtrack)

L’aube à Dragondale est un spectre lumineux iridescent. Les quatre monts masquent l’astre de feu de toutes parts, ne laissant un passage qu’à de longs et élégants rayons venant fendre l’horizon, implacables. Il songe à l’aube maladive de Launondie, à ses reflets blancs sur les murs de pierre gelés par les nuits désertiques. Ici, pourtant si près, tout est différent. Il prend une longue inspiration et la retient, gonfle son ventre et son torse tandis qu’il ralentit son rythme cardiaque et trouve enfin l’équilibre dans la résignation. Il est accroupi, les bras en croix, sur le rebord du plus grand arc tendu entre le temple des Sept et le vide. Au-dessous de lui, plus de cent mètres de haut et la ville endormie. A perte de vue, les montagnes sacrées et leur couvre-chef enneigé. Ses yeux sont fermés et avec lenteur, il soulève l’une de ses jambes qu’il laisse en équilibre au-dessus de l’arc de pierre. Il ne tremble pas. Il sent le vent le traverser comme s’il n’était que matière épousant le vide. Un condensé d’éléments connus et simples à transpercer. Les nuits dans les régions du feu sont celles du désert : aussi glaciales que violentes. Le petit jour apporte une sécheresse épaisse, le soleil calcine sans prendre le temps de chamarrer. Il ne s’agit pas d’y résister. Ça n’a jamais été la question. Le natif de Dragondale apprend l'abnégation face à ce climat. Il doit mourir de froid et mourir de chaud. Il doit s’éprouver, parce que c’est ce que la terre de Dragondale, son air et ses rayons lui demandent. Lorsque le soleil se lève par-delà les montagnes et lance son aveuglant regard jusqu’au temple, baignant la ville de son souffle éternel, Harald se souvient. Sa naissance au cœur du palais aux murs suintant de chaleur. Il se rappelle le hurlement jeté dans la bouche de l’air. A peine respirable. Des mains brûlantes l’attrapant pour l’admirer, l’étouffant contre leur chair meurtrie. Ce dont il se souvient de sa naissance, c’est ça. D’un liquide amniotique à l’autre. Le ventre de Dragondale. Il était né pour renaitre.

— Je ne suis pas sûr que ce soit très réglo, de pratiquer la religion des éléments sur un temple des Sept. A moins qu’il ne s’agisse de provocation ? La voix grave et amusée qui cingle dans son dos ne réveille pas Harald Swanson de sa méditation. Un imperceptible sourire éclaire ses traits bénis par un soleil nouveau, tandis qu’il maintient sa position, et son équilibre. Regnar, lui, ne s’est pas risqué à s’avancer le long de l’arc, et se tient sur le balcon, ses mains agrippées au rebord pierreux. Soudain nonchalant tandis qu’il observe fixement la nuque de son cousin, Regnar s’appuie des coudes. — Une partie de moi a très envie de tout faire pour te déconcentrer. Une autre voudrait continuer de regarder, et apprendre. Mais serait-ce possible ? Mon cher cousin, la sagesse ne fait pas partie de la nation du feu – ça n’a jamais été notre fort. Quant à toi, si on me posait la question… Je nierais toute proximité entre elle et toi – ce que tu prendrais comme un compliment si tu étais raisonnable. La voix d’Harald s’élève depuis l’extrémité de l’arc, lointaine comme s’il s’était trouvé à des kilomètres au-dessus du temple. — On ne t’a jamais dit que le sage et le fou ne sont qu’une seule personne ? Regnar sourit. — Tout s’éclaire enfin. Je laisse donc le sage à ses envolées spirituelles, et j’attends le fou à l’entrée du désert de Firekiro à treize heures pétantes. Quand le soleil sera le plus cruel, quand chaque cristal de sable commencera à verser des larmes. Personne ne nous verra, personne ne nous entendra à l’exception des scorpions et des serpents. On verra bien, à ce moment-là, si Harald Swanson sait danser avec le feu. Le silence de son cousin valant toutes les approbations aux oreilles de Regnar, il s’écarte du rebord et s’éloigne, ses pas raisonnant contre les marches de l’escalier en colimaçon qui escalade le temple.

a plague o' both your houses !
they have made worms' meat of me : i have it,
and soundly too : your houses !
(soundtrack)

La poigne du père est sans appel. Peut-être sa force est-elle due à la forme de l'homme, peut-être à la faiblesse de celui qu'il attrape par le col pour le plaquer violemment contre le mur, jusqu'à ce que sa main se transforme en poing et vienne presser avec férocité la gorge de sa victime. Les yeux d'Ernest Swanson, d'ordinaire gris et froids, sont devenus métalliques et féroces. Ses dents débordent sur le devant de ses lèvres, sa fureur de loup maintient à distance de lui et de sa proie tous ceux qui pourraient avoir l'idée d'intervenir. Les bras de Harald Swanson restent ballants. Il aurait sans doute la force de repousser son père. Sans doute pourrait-il le tuer, si seulement il en avait eu la volition. C'est ainsi depuis sa naissance : chaque assaut de son père le choque, le maintient dans une béatitude muette, stupide. Chacune de ces agressions dénuées d'amour le tétanise de peur et d'incompréhension. Face à cet homme, « personne ne pourra te sauver ». Personne n'interviendra jamais. Dieu tout puissant a levé la main sur toi et a enserré ta gorge. « Tu ne peux plus rien faire ». L'haleine de son père vient gifler ses narines, à quelques millimètres de sa bouche. — Déshonore-moi, et je te fais une promesse : ce ne sera pas une ordure des ces rues dont tu fais ton palais qui aura raison de toi. Le jour où tu ne me sers plus à rien, je te crève. Les trois derniers mots sonnent à ses oreilles comme les notes d'une sentence immuable. Pourtant, ce chant est bien connu. L'enfer, il y est depuis qu'il est né, et tout, partout, le ramène à lui. Lui. Laid, cruel, si différent de lui et pourtant, au fond de lui, il voudrait en être aimé. Certains prétendent qu'Ernest Swanson n'a jamais eu de cœur, d'âme humaine si ce n'est celle d'un démon dans le corps d'un homme. Petit, il s'acharnait à croire qu'il suffisait de mériter l'amour de son père pour l'obtenir. Peut-être était-ce une façon de dédouaner son père de ses péchés, et de s'en accuser lui-même. « Je ne mérite pas ton amour. Tue-moi comme tu le promets, et sois fier de l'avoir fait ». — Comment peux-tu... Comment oses-tu... Le premier né Swanson... Sa fureur est telle qu'il a envie de l'égorger sur-le-champ. « Si seulement tu osais, père. Si seulement l'un de nous osait. Nous libérer ». — Les rumeurs qui me sont parvenues... C'est cet adiutor de malheur... Sa haine se détache du fils pour se répercuter, comme un fantôme jaillit d'un corps pour se jeter dans un autre, sur l'adiutor absent. Les yeux fous de Swanson viennent pétrifier un garde présent dans la pièce. — Toi, rapporte l'adiutor. Le cœur de Harald bat si fort qu'il semble déchirer son poitrail, assourdir ses tympans, anéantir sa langue. Chaque pulsion le propulse un peu plus bas, dans un sous-sol sans fond dont il ignore tout. Le domaine Swanson a toujours été pour lui un labyrinthe peuplé de miroirs qui ne renvoient pas son reflet. Il n'y a que la mort et le déshonneur, ici. Et lui. — Je commencerais par le tuer lui, et je te regarderais mourir avec lui. Plus-une-nuit-dans-la-rue, je te préviens, je t'aurais prévenu, tu ne pourras pas dire... Elle ne pourra pas dire... Mais la mère s'est faite depuis longtemps à l'idée que son premier né n'était qu'un brouillon de perfection. Un courageux essai qui aurait pu être une réussite si seulement ils avaient été moins jeunes et mieux préparés. Elle continue pourtant d'être le bras invisible qui arrête son meurtre, le regard du dessus posé sur ses actes les plus ignobles, les moins pardonnables. On amène l'adiutor, tiré par les deux bras, jusqu'au centre de la pièce, comme un boucher apporte sa plus belle pièce pour la montrer à de potentiels acheteurs. — Peut-être que c'est lui que tu désires épouser, souffle le père d'un air mauvais, — puisqu'aucune femme décente n'a l'air de te convenir. Les yeux du fils ne se poseront pas sur le père. Jamais plus ils ne se poseront sur lui, parce que le papillon a appris à reconnaître la fleur du mal, piquante et empoisonnée, qu'on ne butine jamais. Soudain, l'air s'engouffre brutalement dans sa gorge et gonfle ses poumons. La main du père a libéré sa respiration – mais il a d'autres intentions. Un étouffement étrange auquel le fils n'est pas habitué. Une nouvelle manière de le tourmenter, de lui faire comprendre, de le convaincre. Sa place est ici. Un enfer vaut bien l'autre. — Frappe-le. Il n'a jamais eu besoin de fouet, jamais eu besoin d'armes pour frapper puis blesser. Sa langue est un éclair, le roc de sa voix un tonnerre assourdissant. Harald voudrait poser ses paumes contre ses oreilles et s'enfermer à l'intérieur de lui. Mais ça voudrait dire laisser Ernest s'occuper de Valrael. — Je t'ai donné un ordre. Frappe. Quant à toi, crache-t-il sur l'adiutor, forcé par les gardes de s'agenouiller à terre, — ose donc te défendre contre ton maitre. Ose faire appel à ton pouvoir pathétique, juste une fois... Harald éteint tombe contre le sol de pierre froide de l'atrium. Il n'a plus la force d'enrager que Valrael ne se soit pas enfui, caché, tué loin d'ici. Il croise le regard de l'ami, du frère, et ne peut retenir les images de naitre dans son esprit. Valrael et lui, courant sur les toits au-dessus de la ville et du monde, sa main rattrapant la sienne alors que son pied glisse contre une tuile noire. Valrael et lui jouant les mercenaires de haut rang devant les deux filles de l'auberge aux yeux rieurs et aux cheveux d'argent. L'adiutor sent l'émotion de son maitre, mais son esprit télépathe sent aussi la faim du père, la soif de vengeance et la pédagogie d'un raté. Alors il entre dans l'esprit du maitre sans qu'aucune barrière ne l'arrête. — Frappe, abruti. La voix de Valrael cingle le cerveau d'Harald avec la force d'une gifle. Il sait que Valrael a raison. C'est peut-être la seule et unique certitude qu'il possède. Son poing s'élève et s'abat sur la joue de l'adiutor, de l'enfant, de l'ami et du frère, tandis que sa tête rebondit contre le sol et que ses yeux se ferment sous le choc. Tous deux savent que le coup est trop doux et le temps compté. Valrael n'a pas l'intention de laisser Ernest Swanson punir son fils à cause de ce qu'il est. De ce qu'ils sont. Sa voix résonne dans l'esprit d'Harald, plus brutale et plus cruelle. — On t'a jamais appris à frapper, pauvre débile ? C'était un coup de poing ou une caresse, ce qui vient de se passer ? C'est peut-être vrai, au final, Papounet a raison. C'est moi que tu veux épouser ? La provocation n'a aucun effet. Autrefois, elle aurait fait rire. A présent elle ne fait que révéler l'absurdité de la scène, le non-être de leurs personnes. C'est pour ça, seulement pour ça, que le télépathe va plus loin. Les tentacules de son esprit enserrent le cerveau palpitant de son maitre, dos au père qui ne peut le voir, et l'étouffe lentement. — Swanson, murmure-t-il à son esprit, la mâchoire crispée par l'effort, — je te tue si tu ne me frappes pas. Dans la boite crânienne d'Harald, de moins en moins d'oxygène circule. Ses souvenir se déchirent et tombent en lambeaux, son souffle lui manque. C'est pour ça que le poing s'élève à nouveau et, plus fort, plus cruel, s'abat contre le visage de l'adiutor. Son nez se brise sous les phalanges du maitre, sa lèvre supérieure se fend. Les bruits des applaudissements d'Ernest ne parviennent ni à l'un, ni à l'autre, tandis que le sang de Valrael perle des mains d'Harald. Encore, le bras se redresse et puis se tend, le poing se referme et le coup s'abat alors que le muscle se gorge et se gonfle. De courage et de honte. L'arcade s'ouvre d'un coup sec et le sang en gicle comme un geyser. L'étau dans l'esprit de Harald se desserre soudain, et tandis que l'adiutor s'évanouit lentement dans la douleur et l'apaisement entremêlés, le maitre entend sa voix, faible, au fond de sa mémoire comme une mélodie oubliée avec le temps : — C'est ça. C'est bien, Harald.

a duel of personalities,
that stretch all true realities.
(soundtrack)

L’homme qui entre sur le ring de combat, se plaçant au centre de la foule en liesse à l’excitation mauvaise, est d’une beauté à nulle autre pareille. Sa peau est dorée comme bercée par le feu, ses cheveux sont d’un noir de jais, son regard d’ambre jette aux badauds entassés autour de lui une œillade dont l’élégance et le charme étouffent le caractère hautain. Il y a dans son attitude provocante des allures de victoire assurée. Les femmes le badent, les yeux brillants et les doigts entrelacés, les hommes ne peuvent que remarquer l’aura de ce jeune mêlé au bracelet orange. Un maitre de bronze s’est rapproché, curieux et enveloppé d’une cape légère comme il sied d’en porter en automne à Launondie lorsqu’on a un goût marqué pour l’élégance. On voit à son air surpris qu’il est étranger, et que ses yeux détaillent le combattant mêlé qui attend son binôme avec la gourmandise du chercheur d’exotisme. Ça fait sourire Gurvan, qui fait tinter la bourse pleine de pièces accrochée à sa bretelle – tout près du cœur. — Tous les paris sont sur lui, gamin. T’en es ? Je peux te proposer une sacrée cote. Le jeune étranger se tourne vers le bookmaker, si étonné qu’on s’adresse à lui qu’il jette un œil dans son dos pour vérifier qu’un autre ne s’y trouve pas. Le sourire de Gurvan fait étinceler ses dents en or. — T’es pas d’ici, gamin, qui t’a dit de te rendre aux combats de Launondie ? Comme un enfant coupable pris sur le fait, le jeune homme hausse les épaules, une moue timide venant masquer sa gêne d’être ainsi questionné. Gurvan penche la tête de côté. — Bah, peu importe. Celui qui vient d’entrer dans l’arène, c’est Valrael, le télépathe. N’a jamais perdu un combat. Aussi charmeur que dangereux, ajoute-t-il en faisant claquer sa langue, ses yeux perçants observant le regard fasciné de l’étranger posé sur le mêlé. Sa curiosité piquée au vif, il se rapproche à petit pas du vieux parieur. — Personne ne l’a jamais vaincu, pas même un maitre ? Gurvan lève au ciel ses yeux translucides. Les étrangers étaient les seuls de Launondie à posséder cette naïveté si stupide qu’elle en était tendre et plaisante. — Aucun ne se risquerait à le tester. Son maitre, c’est Harald Swanson, l’aîné de la famille. Et crois-moi, petit, personne n’a envie de contrarier un Swanson. L’étranger hoche la tête en signe de compréhension. S’il ignore tout de Valrael le télépathe, il n’est pas sans connaître la famille Swanson. — De toute façon, rétorque-t-il en parlant très vite, — les meilleurs combattants sont les mêlés, non ? Les maitres ne sont pas très bons sur le ring, ils n’ont pas pour habitude d’utiliser leur élément à l’offensive, n’est-ce pas ? Gurvan hausse les épaules. — Non, quand ils le font, c’est sous couvert d’action militaire, comme les Osoryd, ou les Swanson. Le regard de l’étranger va du ring au vieil homme, du vieil homme au ring, désormais pris au jeu. Il observe avidement un mêlé escalader pour s'avancer jusqu’à Valrael et le défier d’un geste que la foule acclame. Un grognement semblable à un rire moqueur s’échappe de Gurvan. — Abruti, souffle-t-il entre ses dents. L’étranger se tourne vers lui. — Il n’a aucune chance ? — Pas la moindre, fils. Regarde les deux hommes là-bas, dit-il en pointant un index noueux en direction de deux jeunes mêlés absolument identiques. Tous deux sont grands et fins, les cheveux en bataille, les yeux brillants de malice et sourient tout en observant le ring. Leur bracelet est identique : jaune soleil. — Cyrrah et Nicanor, deux jumeaux qu’il vaut mieux ne pas provoquer. On raconte qu’ils ont été arrachés au sein de leur mère alors qu’ils étaient encore en âge de téter, pour être soumis à des expériences. Les dernières expérimentations légales qui ont eu lieu dans le royaume, à ma connaissance. On ignore s’ils ont été libérés ou s’ils ont réussi à s’enfuir – toujours est-il qu’ils sont redoutables au combat. Les gardes du royaume les connaissent bien, ils sont surveillés mais honnêtement, je ne suis pas sûr que le gouvernement soit au courant de dix pour cent de leurs magouilles. Impressionné, le maitre de bronze laisse ses prunelles dévorer les deux jeunes hommes. — Rozan doit forcément se trouver quelque part, grogne soudain Gurvan, faisant sursauter l’étranger tandis qu’il furette sur les hauteurs qui entourent l’arène. — Allons, vermine, où te caches-tu… Tu ne raterais un combat de Valrael pour rien au monde… Surpris, le jeune maitre suit le regard de Gurvan dans la foule à la recherche de l’inconnu, quand d’un aboiement semblable à un coup de tonnerre, le bookmaker brandit le bras. — Ici. Son doigt désigne l'un des renfoncements creusés dans le mur autour d’une fenêtre condamnée par deux planches en bois clouées l’une par-dessus l’autre. Perché sur le rebord à la manière d’un oiseau, un homme au dos rond, à la nuque recourbée, rive son regard sur les combattants. — Rozan, affirme Gurvan dans son sourire torve. L’étranger n’a pas l’air de comprendre. — Je vous demande pardon? — Rozan, c’est son nom, bougre d’idiot, aboie-t-il. — C’est un vert, de la pire espèce. On les dit intelligents, moi je dis qu’il est complètement fou. Gamin, tu as devant toi – ou plutôt, au-dessus de toi – le plus grand menteur du royaume. Jamais vu un rascal possédant un tel don d’embobiner son monde. Il ment comme il respire, se tire de toutes les situations : un soir, tu entendras dire qu’il a été embarqué pour la taule, deux heures plus tard, tu le trouveras au pub, libre comme un oiseau. Un maitre d’argent avait proposé de le faire entrer au département des sciences. Crois-tu que cette racaille aurait accepté ? Un sourire contrit se dessine sur le visage de l’étranger. — Vous n’avez pas l’air de beaucoup l’apprécier. Les yeux fous, Gurvan lui jette un regard enflammé. — Le mot est faible, gamin. Rozan me doit de l’or, et pas qu’un peu. Il m’a roulé tant que de fois que je ne les compte plus. Rares sont les bookmakers et les revendeurs de la capitale qui le portent dans leur cœur. Il finira assassiné, n’en doute pas. Le sourire de l’étranger s’efface de son visage, tandis qu’il quitte du regard l’homme-oiseau au bracelet vert. Lorsqu’il reporte son attention sur le ring, il réalise dans un cri de surprise que l’homme venu défier Valrael est à présent à terre et se tient la tête entre les mains. — Oh, c’est pas terminé, si c’est la question que tu te poses. Valrael ne compte pas en finir aussi facilement. La foule semble du même avis, et les badauds s'agitent en tous sens, hurlant leurs directives aux combattants, encourageant l'un, glorifiant l'autre, les insultant parfois, plus pour le goût du spectacle que par réelle animosité. Gurvan ne perd pas une miette de ce spectacle, pas plus que le jeune maitre de bronze. — Le bleu qui s’avance vers Valrael pour lui murmurer quelque chose, c’est Arwed. Sa maitresse est une grande dame, très riche. Il passe la majeure partie de son temps à se prélasser dans les palais, l’autre dans la rue. L’homme en question est d’une élégance rare, son visage est neutre, l’air posé comme si aucune expression ne le traversait. Il semble plus noble que la plupart des maitres, son maintien est droit et élégant et on dirait qu’il ne pèse pas plus lourd qu’une plume. A son poignet, saphir étincelant, scintille un fin bracelet bleu. — Dommage que Regnar et Harald ne soient pas là. Tu les aurais vus au complet. Le jeune homme se tourne à nouveau vers le vieux, son esprit à présent tout occupé par les personnalités que le launondien a dépeintes pour lui. — Qui donc ? — Les sept, garçon. C’est comme ça que les appellent les rares qui connaissent le lien qui les unit. Inséparables, tous d’horizons plus éloignés qu’on ne saurait le dire et pourtant… à eux sept, comme des dieux païens, ils règnent sur leur monde.