Spoiler:

i. — c’est plus facile d’effacer.
c’est plus facile d’oublier, de raturer – de foutre un coup de marqueur sur ce qui doit être perdu dans les ténèbres.
noa qui de son regard a toujours tout observé ; triste spectateur d’une pièce aux couleurs froides et rigides.

il peut pas dire qu’il a été malheureux noa.
il peut pas dire qu’il était miséreux noa – il avait de quoi grandir et sourire ; des proches à aimer, des rêves à accomplir.
pourtant il y a eu toujours ce petit quelque chose qui coinçait ; comme un tableau jamais terminé – quelques nuances carmins qui manquaient pour donner un peu de couleur à univers plus fade qu’espéré.

noa il avait quelque chose de solaire.
noa quelque part c’était une lumière – quelque chose de doré, d’un peu saturé aussi ;
qui d’un sourire éclaté pouvait parvenir à ramener un peu de gaieté.
mais noa il a changé –
noa un peu bousillé aux éraflures charbon ; poudre de fusain sous son regard en trainées de suie,
la fatigue qui se lit sur son visage après avoir eu les ailes coupées.

noa n’aimait déjà pas l’académie ;
il a encore moins apprécié l’idée de devoir offrir sa vie
à une fille qui ne l’a jamais méritée.

c’est dans un dernier regard qui l’a quittée – pas un mot ni même un bout de parchemin oublié.
noa s’est effacé aussi soudainement qu’il est apparu dans la vie d’alyssa.
les sourires étaient rares autant que les éclats de rire ;
une vie un peu bousculée pour une femme qu’il a toujours peu considéré.

ça ne fonctionnait pas ;
rouages mal-huilés, fiertés mal-placées –
rien ne coïncidait.
alyssa était comme une plaie béante qui saignait sous sa carcasse,
qui dévoilait toute sa splendeur lors de la levée du jour grâce au tissu détrempé de sa propre essence.
alyssa c’était comme une bombe à retardement, avec un regard dynamite et le coeur qui crépite,
à tout embraser –
laisser les mots poison s’écouler hors de ses lèvres face à noa à l’âme inflammable comme de l’essence,
qui soudainement vient brûler le parquet les rideaux jusqu’à leurs peaux dénudées dans une odeur de chair brûlée qui vous intoxiquait lentement.

il n’avait pas de regrets noa –
quelque chose d’autre à trouver,
à s’accaparer –
volonté de prendre part à un quelque chose de grand, qui le dépasse avec des idées grandioses,
à refoutre un peu de paillettes dorées dans son regard un peu vitreux, voilé par un tissus opaque et impénétrable par la lassitude d’une vie jamais décidée.
entre eux ça avait été comme le craquement d’une allumette desséchée ;
flamme ardent qui s’éteint aussi vite qu’elle a été allumée et qui (jamais) ne pourra être ravivée, ne laissant que pour dernière trace de visible qu’un serpentin blanc de fumée.
c’est éphémère,
c’est sans importance,
c’est banal à en crever et noa il pouvait pas rester.

alors noa il s'est tiré.




ii. — il a trouvé adonis au détour d’un couloir,
le genou s’est ployé et il ne croyait qu’à un nouvel espoir ;
pas trouver en le leader quelque chose de plus que l’ardeur des dirigeants – ceux qui embrasent les foules de grands discours et brandissent leur épée en salut victorieux.
adonis est devenue étoile pour guider la comète perdue entre deux astéroïdes – enfant parti à la dérive dans un océan de néant
harponné soudainement par un guide inattendu
(et pourtant le bienvenu)
main tendue ;
le sourire de noa s’étire lentement et brille un peu plus.

mon épée est votre.

et tout son coeur et toute son âme
si vous le permettez ;
noa vieux jouet cassé qui a besoin d’être rapiécé –
à y foutre un bout de scotch et essayer de tout recoller, lui redonner l’éclat d’avant
celui oublier dans les décombres de ses plumes arrachées.
liberté car ce choix est le sien ; servir ce auquel il tient et mourir s’il le faut pour changer la donne –
avoir l’impression de peser un peu plus dans la balance et il y a tout le palpitant qui se révolutionne,
à vouloir refaire le monde,
à vouloir repeindre les toiles immondes qu’on lui a toujours exposé.
à redevenir un enfant avant de brandir de nouveau l’épée –

noa, pour la première fois, a goûté le sang des soldats.
liqueur vermeille dangereuse et fascinante qui se répand sur les cadavres à ses pieds –
frisson de terreur qui remonte le long de son échine alors qu’il observe ce qu’il estime être une nécessité.

noa un peu criminel –

pas vraiment cruel,
juste utopiste qui a su croire en quelques rêves.

et la main s’est brisée ;
éclatée au détour d’un rocher, écrasé sous le poids d’une colère similaire,
dans un cri de douleur désespéré alors que son regard cherche l'ombre d'un ancien compagnon.

la guerre, ça n’a rien de beau, pas même sur le papier.
ça sent la mort à plein nez et ça bouffe le tripes ;
ça enlève quelque chose,
ça dévore de l’intérieur – c’est comme une tumeur qui arrive lentement à un stade avancé, jusqu’à rendre fou l’auteur des massacres causés.
il y a plus d’innocence, plus d’élégance –
que des tas de cadavres amoncelés en nouvel engrais pour les terres d’ocre et de feu ;
avec le gout de la terre sur la langue et l’impression d’avoir été brisé en deux.

et maintenant qu’il se tient devant ce miroir ;
noa il s’observe.
il regarde à quel point la lame a pu être enfoncée – constate qu’elle l’a tranchée du sommet de son crâne jusqu’à la pointe de ses pieds.
noa il sert plus à rien ;
multiples cicatrices en marbrures sur sa peau laiteuse désormais hâlée par l’effort – cachant les plus miséreuses.

il ne peut plus bouger sa main.

il fait tout noir, d’un coup ;
noa aurait il aurait envie d’appeler eva pour allumer la lumière, le rassurer un peu – la bougie qui se consume dans sa fin après avoir été soufflé par un coup du destin.

ses doigts bougent à peine.

noa qu’aurait voulu sauver les apparences, sourire pour la convenance – cacher où ça fait mal et s’dire que la prochaine fois il fera mieux ;
noa qu’aurait voulu être utile, un peu indélébile – pas le gars futile soldat qui s’efface au milieu des décombres et des corps oubliés.

non, aucun sourire narquois ne vient se peindre sur la commissure écorchée de ses lèvres.
c’est vide, un peu.
il y a juste le coeur qui se fracasse dans sa poitrine,
à s’dire qu’au moins la victoire laisse quelques notes sucrée sur le bout de sa langue.

– tu vas te rétablir, t’en fais pas. moi j’te le dis, c’est pas encore fini pour toi.

les mots rassurants résonnent dans la pièce mais aucun écho ne leur répond. noa se mue dans son silence, songeur.

– et puis on t’a accordé un plutôt bon poste, t’es pas à plaindre noa. t’sais que le roi te laisserait pas comme ça, tu comptes, toi aussi.
– je sais que je ne suis pas à plaindre.

il pivote lentement sur ses pieds, un peu incertain –
à écouter les bourdonnements sourds des ténèbres qui essayent de s’accrocher,
noa qu’a pas encore succombé.

— tu seras bien avec les jeunes, j’m’en fais pas.
— j’en sais rien. on verra bien.
— putain souris noa.

souris souris – joue la comédie ;
et puis dis quelque chose de noa, embellis la réalité, redore le blason bafoué, coup de neuf sur un coeur usé et malmené.
et souris noa, souris parce que c’est ce que tu as toujours fait,
mauvais pantin au palpitant d’encre et de chiffon.

cette fois accorde un arc faussement enjoué à son ami ;
la prochaine, seul le silence répondra à cette demande, quitte à y perdre un peu de vie.

— qu’est-ce que tu vas faire ? pour ta main, j’veux dire.
— j’vais apprendre à utiliser la gauche. je n’ai pas trop le choix, de toute façon.

premier pas sur le chemin de la rédemption.




iii. —  noa ne sourit plus.

– je pensais que je te trouverais ici.

c’est un regard ; une écorchure brisée qui se dilue dans un soupir lassé.
noa pas bien vaillant, qui tangue à la moindre brise de vent ;
et pourtant ce qu’elle a fait eva ça a explosé comme une bombe à son visage, kamikaze en extase qui,
subitement, emporte noa avec elle –
ça cause comme un tremblement de terre, l’onde de choc qui se ressent dans la moindre de ses artères – secousse qui redescend jusqu’au bout de ses doigts.

noa un peu ternis,
qu’observe son reflet dans les yeux miroirs d’une soeur effilochée,
à y percevoir les traits de son visage à peine esquissés, sa silhouette gribouillée, raturée.

– pourquoi ? pourquoi l’as tu fait, eva ?

est-ce que tu te sens mieux,
est-ce que ta vie est plus facile, eva ?
question de quatre mots comme crachés, dégueulés à même le sol pavé –
quatre mots qui arrachent toute la surface de la gorge ; à y laisser quelques dents, sa langue et un morceau de son âme aussi.
et pourtant ils sonnent plats, neutres,
dépourvus de vibration,
pour masquer l’ouragan qui l’a ravagé entre deux nations.

– si t'es venu pour avoir des excuses, tu n’en auras pas.

l’impression de se heurter à une pierre, à un rocher ou à toute une falaise,
qu’il est trop difficile de se relever cette fois ;
à avoir plus que les genoux et les paumes éraflées,
le visage face contre terre à ne même plus pouvoir bouger.

– je sais, je ne suis pas venu pour ça.

(et puis tu sais, eva, ça fait déjà bien longtemps qu’il ne vient plus)

– j’suis venu pour essayer de comprendre pourquoi tu aurais fait quelque chose de si terrible, de si horrible. t’as perdu la tête ?

il s’irrite un peu – le ton qui se hausse légèrement ;
à vivre la nouvelle comme une rechute qui le happe, qui le tacle,
quelque chose de pas vraiment senti
(ou alors il a préféré faire comme si –)
noa bel aveugle ;
qui se confond dans son mensonge.

– peut être oui. peut-être que je l’ai juste fait parce que j’étais fatigué d’eux, d’ida, de cette putain de vie. je ne le regrette pas. je ne le regrette juste pas.

il écoute noa,
il voudrait comprendre.
(il le fait, un peu.)
pourtant la plaie cauchemardesque continue de s’étendre.


– tu l’as blessée. et tu m’as blessé. j’aurai aimé que tu ne sois pas si égoïste, j’aurai aimé que tu sois venue me parler. j’espérais que tu sois toujours ma soeur. j’ai juste espéré mais rien de tout ça n’est arrivé.

et c’est encore plus dur de se l’avouer ;
de poser le doigt où ça fait mal,
de faire apparaître les ecchymoses de noa qui avait jusqu’alors encore une âme d’enfant.

– comment est-ce que je peux te regarder dans les yeux et ne pas te détester eva ?

(c’est déjà un peu le cas, tu sais)

– comment ? c’était quoi ton plan, c’est quoi ton plan ?

(mais il n’y arrive pas vraiment, tu sais)

noa il est perdu, complètement paumé, à la ramassée.

– je n’ai pas de plan. et ça n’a plus d’importance. souhaiter et espérer c’est pour les faibles.

il ne dit rien.
il écoute, seulement.

– saches juste que je regrette t’avoir blessé, que tu n’aurais pas du être impliqué mais je suppose qu’on ne peut pas toujours avoir ce qu’on veut.

et noa voudrait lui hurler qu’il ne pouvait qu’être impliqué puisqu’il s’agit de leurs parents,
que tout ce qu’elle raconte n’est qu’un ramassis de conneries ;
et noa il voudrait crier, supplier, s’énerver, dire quelque chose au moins –
mais il se tait.

– je t’aime noa, prends soin de toi.

et noa il aurait souhaité lui dire que lui aussi, il l’aime ;
mais espérer, et souhaiter,
c’est pour les faibles.