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I can still hear you saying, i would
never break the chain.

Le soleil torture. Il veille sur les esclaves des champs sans aucune pitié. Impossible d’échapper à son regard. Encore moins à ses brûlures. Les sueurs recouvrent la gamine à la tête rousse. Un minuscule point coloré au milieu des herbes hautes et du blé. Agenouillée au milieu des récoltes, Fiora se met à rêver. Où peut bien être sa mère ? Pourquoi l’a-t-elle abandonnée à cet enfer sur terre. Peut-être que de telles rêveries sont en réalité des effets de la déshydratation. Des mirages, des folies qui l’accablent pour le manque d’eau dont son petit corps réclame. Chaque mouvement est difficile et bientôt, la famine s’invite à la danse. L’estomac se tord et le monde se met à tourner. Je n’en peux plus, mes forces me glissent entre les doigts. Je vais m'effondrer. Mais les plaintes restent silencieuses. Son regard capte un instant les plantations. Elle peut déjà sentir le goût juteux du légume sur la langue. Une simple tomate, personne ne la remarquera. Alors Fiora la cueille et plutôt que la poser dans le panier comme elle devrait le faire, elle croque. Son estomac crie victoire mais c’est alors le poignet qui hurle douleur. On le sert. Fort… beaucoup trop fort. Quand elle lève les yeux, c’est le visage mauvais du propriétaire de terre qui la fixe. Il secoue, la force à relâcher le fruit défendu. « Désolée… désolée. J’avais faim. Je... » « Ce n’est pas à toi ! Rien ici est à toi et RIEN ne sera jamais à toi ! » Les rangées de champs défilent alors qu'on traîne son minuscule corps dans la poussière. Les autres ne font rien. Ils observent, la peur qui les fait trembler. Ou bien ainsi la faim et la soif qui les accablent tout comme elle. La gamine résiste mais le sol glisse sous ses pieds alors qu'elle tente férocement d'y rester accrochée. Crainte de la punition à venir. « Sale petite voleuse. » Les couloirs du somptueux manoir ne lui paraissent plus aussi majestueux à présent. La porte d'entrée se referme dans un fracas. La lèvre se fend, et plus jamais elle ne goûtera à ce qui ne lui appartient pas. Pas dans ces prairies-là, en tout cas.

we're not lovers, we're just strangers.
With the same damn hunger.

Tout au sein de cette nation est grâce, là où son pays natal n’est que fermeté rocailleuse. L’Air et la Terre qui s’entrechoquent dans un combat sans fin. Arrachée aux durs labeurs d’une enfance jamais entièrement vécue, la voilà projetée dans un autre monde telle une bête relâchée au milieu d’un musée aux fragiles statuettes de cristal en imaginant qu’elle ne briserait rien. L’enfant brusque parmi les oiseaux frivoles pour ne former qu’un tableau aux contrastes grotesques. Tout est trop calme, tout est trop paisible. Nettoyer les armes du maître pour ne pas perdre la tête au milieu de ce silence. Pour éviter que les démons ne viennent perturber les songes vagabonds. Et soudain, les portes du refuge s'ouvrent avec éclat. Sa moitié pénètre dans la pièce, tel une tempête aux vents violents. N'est-ce pas un miroir qu'elle admire à ce moment ? Irritation évidente sur les traits du Belikov, l'audiutor reste pourtant impassible alors que l'explosion de colère vient renverser tous les meubles des appartements privés du jeune homme. Parmi tous les maîtres aériens, c'est un soldat aux pulsions tout aussi volatiles qu'elle qui s'unit à son âme. Deux côtés d'une même pièce. Ironie. Putain d'ironie.

Folle idée que de jeter de l'huile sur le feu. Et pourtant... La voilà qui se lève, range les armes avant qu'un accident ne soit trop vite arrivé. La voilà qui approche du géant, attrapant fermement son bras qui s'apprête à renverser la table d'études. Il se défait trop facilement peut-être et le meuble se retrouve tout de même au sol, tous les papiers s'envolant dans un désordre sans nom. « Michail, regarde-moi. » La requête ignorée alors qu'il jète son dévolu sur le mur. Avant que le poing ne s'y enfonce, la fougueuse s'interpose. Elle l'attrape avant qu'il ne tombe. Fermement accrochée au buste du soldat, les doigts qui serrent la tunique et le regard planté dans le sien. « Regarde-moi. » Regarde-moi. Je sais... je sais que la vie fait mal. Mais je suis là. Pas besoin de connaître les raisons de cette soudaine fureur. Elle sait. Pour lui, et pour elle, une simple contrariété réveille le monstre endormi. Ils ressentent tout avec beaucoup trop de passion peut-être... Et parfois, la belle souhaite endormir ses pulsions, trouver une paix qui ne la trouve même pas quand elle ferme les yeux. Une paix gagnée uniquement avec lui. Sa moitié, non... son tout. Et elle s'accroche au Belikov. Elle reste plantée là, déterminée à apaiser le double tempétueux. Plutôt que des cris, c'est le silence qui tombe. Des lèvres qui se touchent, et d'autres passions qui s'éveillent.

Je suis là, regarde-moi.

Comment un lien invisible peut-il transcender la haine profonde que l'endiablée peut ressentir envers ces semblables ? Un mystère qui restera à jamais perdu dans l'intimité de cette chambre, et de cette époque à présent révolue.

there's a war in my mind and
my body is the battlefield.

Un corps ensanglanté, le visage défoncé et les derniers hoquets d'une respiration saccadée qui s'effacent. La lionne qui dévisage la carcasse, sa propre respiration erratique sous l'effet de l'adrénaline propagée dans l’organisme après avoir embrassé la violence de ses démons vengeurs. Il est mort, il est mort, il est mort. Il est enfin mort. Bon débarras. Il n’était pas la raison de sa présence sur le champ de bataille mais il devient fatalité. Un destin qui réunit la proie devenue prédatrice face au monstre ignoble qui avait joué de ses sentiments et de son esprit. Tout n’est plus qu’un grand trou noir l’ayant avalée. Les seuls témoins de ce qui vient de se passer, ce sont ses mains tremblantes et baignées du sang de ce soldat de la terre.

Un instant, le regard se lève et le spectacle qui se présente à elle n’est qu’un amas de corps. Des armures percées, des marres de sang - qu’il soit celui de maîtres ou de mêlés - ainsi que des fumées à l’horizon. Désolation et mort entourent la rebelle. Plus loin, des combats continuent de faire rage et bientôt, la réalité la rattrape violemment. La mission. Quand elle se retourne, elle croise le regard des derniers polluxiens en vie. Ceux avec qui elle aurait dû se battre. Ceux qu’elle aurait dû protéger plutôt que foncer dans la mêlée au moment d'apercevoir le visage du tortionnaire au milieu des armées. Plusieurs cadavres de leurs camarades sont étendus sur le sol. Quand elle les voit, elle comprend. C’est de sa faute. Les survivants l'observent avec déception et dégoût. Ils auraient dû savoir qu'on ne peut pas compter sur un coeur sauvage comme le sien. Le regard de la mêlée passe de ses frères d'armes au cadavre du maître qui l'a si longtemps tourmentée. Impossible de retourner en arrière, impossible de ranimer les morts. Et elle ne veut pas. Derrière les élans de regret, y'a le plaisir enivrant de savoir cet homme six pieds sous terre. Il est impossible à reconnaître, les coups de la rousse ayant défiguré chaque de ses traits autrefois si arrogants.

Pourtant, elle ne se sent pas libérée. Elle n'est pas heureuse, ni en paix. Elle est en colère. Elle ne peut pas le tuer deux fois, ni trois. C'est terminé, mais la colère est encore là. Impitoyable bourreau, et quand elle lève de nouveau les yeux vers ses alliés, ils lui tournent le dos et quittent le champ de bataille sans elle. Abandonnée. C'est peut-être mieux ainsi... mais ça fait mal. Savoir qu'elle n'est douée qu'à tout détruire, c'est la plus cruelle des réalisations.