« T’es bête. » Et elle gloussait comme la terrible folle qu’elle était, alors qu’elle couvrait sa peau nue d’une minuscule robe d’un rouge extrêmement vif. Le froid s’était installé sur l’Empire d’Aksana depuis plusieurs mois déjà. Mais la Mormont n’en avait cure. Son inhumanité lui permettait de ne pas ressentir le froid alors même que sa peau se teintait d’une couleur bleue inquiétante. Et cela s’était encore plus renforcé depuis qu’elle avait perdu l’usage de ses terribles et terrifiants pouvoirs, qui faisaient d’elle une reine des esprits. Le silence s’étirait désormais autour d’elle, épais et infranchissable. Elle qui aimait tant le brouhaha confus crée par les pensées des esprits qui passaient à proximité d’elle. Désormais vulnérable, elle avait trouvé refuge au cœur du palais des flammes. Bien à l’abri entre les bras du puissant Cal Oshun. Elle n’était qu’une simple lambda, désormais. Mais une lambda qui discutait perpétuellement avec d’insaisissables voix dans sa tête. Cœur et Conscience. Ses deux nouveaux meilleurs amis. Il n’était pas rare de la voir rire avec elle-même au beau milieu des couloirs, alors qu’elle ne portait pas les mêmes chaussures. Lorsqu’elle en portait. Son maquillage n’avait plus rien de soigné. A ce moment précis, un seul de ses yeux aussi noirs que la nuit était orné de couleurs. Tandis que sa bouche était peinte de violet. Violet qui s’étalait sur sa joue droite. Ses mains tremblantes lui interdisaient désormais toute précieuse ou minutie. Elle n’était plus que d’une grossièreté et d’une maladresse insupportable. Elle qui savait autrefois transformer radicalement une âme, la modeler selon ses envies perverses, sans même laisser une trace. Démon. Monstre. Corbeau. Serpent. Sirène. Autant de qualificatifs qui la décrivaient à merveilles. Mais maintenant que le virus avait frappé, elle n’était plus qu’une ombre. Une ombre qui sursautait à la vue de son propre reflet. Une ombre perpétuellement apeurée de croiser un ennemi. Une ombre étrangement plus humaine, bien que toujours dévoyée et abandonnée à une certaine corruption. Feyre se terrait dans ses quartiers, gracieusement offerts par l’Empereur en personne. Obligée de payer pour s’offrir la compagnie d’inoffensifs petits humains. Mais les choses avaient pris un tour radicalement différent, depuis la nuit passée. Enfin, le cruel Graylin avait cédé à l’attirance sexuel qui le liait à l’inhumaine. A cette obsession qui ne cessait de le hanter depuis quelques temps. Il avait voulu la tuer mais s’en était avéré incapable. Alors il avait honoré son corps maigre et pâle, embrassé chaque parcelle de son corps. Une union charnelle emplie de passion et d’un désir qui avait trop longtemps patienté. « Je dois aller prendre une douche, mais je reviens très vite, promis ! » Feyre déposa un baiser bruyant sur les lèvres de Mance, avant de quitter la chambre du soldat. Guillerette comme elle ne l’avait pas été depuis un moment. Elle sautillait plus qu’elle ne marchait, balançant ses bras ornés de dizaines de bracelets qui cliquetaient à chacun de ses pas. Conversation prenante avec Cœur et Conscience sur les ébats qui avaient eu lieu cette nuit.

« Tu vois, je t’avais dit qu’il était fou de toi ! »
« Oui, tu avais raison Conscience. Et il me l’a prouvé cette nuit. »
« Quatre fois. »

Nouveaux gloussements incontrôlés. Les nobles de l’Empire s’écartaient sur son passage. Parce qu’il restait toujours, au fond de leur cœur, une pointe de crainte pour celle qui pouvait si aisément briser leur vie. Mais également parce qu’il craignait que sa folie puisse se montrer contagieuse. Et alors qu’elle pensait avoir atteint le summum de la joie, Feyre se retrouva face à ce qui était presque une apparition. Une ancienne réminiscence. Une silhouette qu’elle connaissait par cœur. Sa plus belle réussite. Sa poupée favorite. Son chef d’œuvre. L’accomplissement de ses talents malfaisants. « Amara ! » Et elle de se précipiter à sa rencontre pour la prendre dans ses bras. « Tu m’as tellement manqué ! »

« Feyre, qu’est-ce que tu fais ici ? » L’inhumaine tituba alors que son ancienne moitié la repoussa. Violemment. Rejet absolu. Définitif. Mais alors que ses pouvoirs s’étaient envolés en même temps que sa raison, l’orange ne s’en formalisa pas. Trop ahurie en permanence pour accorder une réelle importance à quoi que ce soit. Encore pire que d’ordinaire. La terrible avait toujours été profondément lunatique. Mais avec la perte de ses dons maléfiques, les choses s’étaient encore empirées. Toute rationalité, toute logique, avait quitté son corps maigre et pâle. Des voix imaginaires pour seule compagnie. Un dialogue avec des entités chimériques et imaginaires. Cœur et Conscience. Les deux seules choses qui lui restaient maintenant qu’elle n’était plus une menace. Aussi légère qu’une plume. Un simple coup était capable de la briser en deux. De casser ces os fragiles dissimulés derrière sa peau translucide, marbrée de tâches foncées. Absolument sans défenses sans ces tentacules invisibles capables de contrôler les esprits d’autrui. La reine des marionnettes était tombée de son piédestal. Si semblable à tous ces misérables humains, désormais. Elle méprisait son nouveau statut. Terriblement. Du moins, lorsque son cerveau était capable d’analyser correctement la situation. Parce que, la plupart du temps, Feyre évoluait dans un monde qui lui était propre. Où les lois naturelles n’avaient aucune prise. Et dans cette folie douce qui la berçait, rien n’avait plus d’importance. Ni sa fragilité. Ni sa vulnérabilité. Deux sensations délétères qui ne revenaient que lorsqu’elle réalisait l’ampleur de sa solitude. « Qu’est-ce que tu as fait à mon frère ? » Gloussement irrépressible alors que la cruelle agitait ses bras comme une enfant à qui l’on offrait le plus beau des cadeaux. Et ces dizaines de bracelets étincelants qui cliquetaient autour de ses poignets. « Ce que moi j’ai fait à ton frère ? » Elle ressemblait à une démente. Plus que d’ordinaire. Si tant est que ce fût possible. Et elle n’entendait pas la colère sourde dans la voix de la Graylin. Ni la flamme de haine dans ses yeux. Ou les accents irrités de sa voix d’ange. Parce que son esprit dévoyé de suborneuse se complaisait à imaginer qu’Amara était venue la retrouver. Elle et elle seule. A imaginer que la blonde avait vaincu sa fureur initiale pour renouer leur amour que rien ne pourrait jamais ébrécher. Les deux femmes étaient liées pour toujours. La Mormont en était persuadée. Et elle n’allait certainement pas se contredire elle-même. « Tu devrais plutôt demander ce que lui m’a fait. Toute la nuit. Un peu le même genre de choses que tu me faisais, autrefois. » Ricanements alors qu’elle reprenait sa danse lascive et totalement inappropriée. Parade nuptiale visant à reconquérir la déesse blonde. Posséder, en même temps, les deux Graylin était son rêve le plus profond. Son envie la plus viscérale. « Ça t’a manqué ? C’est pour ça que tu es là, n’est-ce pas ? »