L'esprit aiguisé qu'il venait à peine de retrouver fonctionnait déjà à vive allure, engrenages qui tournaient sans cesse alors que tout, absolument tout, se mélangeait à l'intérieur de son crâne. Beaucoup de chemins qui se présentaient devant lui, une décision qui s'imposait, une perspective qui semblait s'effacer à mesure que les mots de Raya lui revenaient. Assis sur le rebord de son lit, il a les yeux rivés sur le sac qu’il avait commencé à remplir, sans savoir où est-ce qu’il l’emmènerait. Jamais de sa vie Salazar Dragomir n’avait été aussi indécis. La vie avait toujours été simple, pour lui ; c’était sa vie, ses intérêts et ses souhaits au-dessus de ceux des autres. Il n’avait jamais eu à se soucier de quique ce soit, âme seule au milieu de tous ces gens dont il n’avait cure. Et voilà ce qu’il gagnait, à se laisser s’adoucir pour la seule personne dont il se préoccupait. Se faire abandonner, se sentir comme le dernier des cons, et ne plus savoir quoi choisir. Des heures qu’il était là, à secouer sa jambe droite tant l’impatience le gagner, à passer sa main derrière sa nuque tant il était nerveux. Sa mâchoire ne parvenait pas à se desserrer, et à chaque fois qu’il s’aventurait à fermer les yeux, il n’arrivait à voir rien d’autre que cette paire d’ambres sylvestres, dont il connaissait les nuances par cœur, et qu’il avait peur de ne plus jamais pouvoir revoir.

Disparue, évaporée, les adjectifs n’avaient pas manqué pour parler de Diana Osanos ces derniers jours. Elle n’avait prévenu personne – même pas lui. Egoïstement, il était vexé. Tellement vexé.  Combien de temps s’était écoulé depuis le jour où elle lui avait assuré qu’elle ne voyait plus sa vie sans lui ? Il avait envie de rire, d’un rire jaune et amer, à chaque fois qu’il pensait à tout ce qu’elle avait dit, et à tout ce qu’elle n’avait pas fait. Et il s’en voulait de lui en vouloir, parce que malgré tout, il n’avait pas la moindre envie de la retirer du piédestal sur lequel il l’avait si volontiers installée. Diana était tout, Diana était vie – et Diana était partie, sans laisser le moindre indice sur la direction qu’elle avait prise, laissant derrière elle ses partisans décontenancés, et un Lazar meurtri. Un Lazar perdu, assis penaud sur son lit, qui a presque envie de crier tant il ne sait se décider. Tout était tellement plus simple, quand il ne ressentait rien. Il avait fallu que ce soit elle qui soit la cause de tout ce bordel. Elle, pour qui il avait vécu pendant toutes ses années. Il lâche un lourd soupir avant de passer une main sur son visage, épuisé par tous les derniers évènements. Et ce cerveau qui n’arrêtait pas de réfléchir. Il met encore une heure ou deux avant de finalement se lever, balancer quelques derniers vêtements à l’intérieur de son sac, d’en fermer les sangles, et de le laisser sur le sol avant de quitter la pièce.

Il ne met pas aussi longtemps qu’il ne l’aurait cru pour rejoindre le lieu où il devrait retrouver Naerys. Il était à ça, ça, de la suivre elle et de commencer à se battre pour une cause qui le concernait directement. Il était à ça de commencer à vivre pour lui, après toutes ces années à penser à l’autre vie liée à la sienne. Toutes ses convictions tombaient à l’eau, toute son assurance était réduite à rien, et il allait devoir faire un trait sur l’avenir radieux qu’il avait cru pouvoir toucher du doigt. La bleue est là, adossée contre un mur. Elle l’attend, clairement, et il a peu hâte de savoir quelle sera sa réaction quand il devra lui annoncer qu’il la laissait tomber. Pour l’instant. Il prendrait bien garde à le préciser comme il se doit. Il n’attend pas d’être totalement arrivé à sa hauteur pour prononcer ses premiers mots. Changement de programme. Il continue de marcher vers elle, les yeux rivés sur son visage déformé par la confusion. Je ne viens pas. Pas tout de suite. Il finit par s’arrêter juste devant elle, sans pouvoir s’empêcher de s’arrêter sur le bracelet qui ornait son poignet. Il fait tourner sa bague autour de son majeur dans un geste nerveux, et verrouille leurs deux regards. J’ai quelques détails à régler.

Les sourcils du serpent se froncent à la simple réponse de sa cadette. Bien. Quoi, c'était tout ? Allait-elle vraiment repartir sans même essayer de le convaincre de la suivre comme il était originellement prévu ? Lui, qui avait eu si peur de sa réaction, est sincèrement surpris et décontenancé face à un tel manque d’indignation de la part de Naerys. Elle passe devant lui comme s’il n’existait pas, et il penche la tête sur le côté avant de se retourner, les yeux rivés sur son dos qui s’éloignait. Il ne dit rien. Rien du tout. Apparemment, elle n’avait pas la moindre envie de discuter – et si ça l’arrangeait parfaitement, ça n’en était pas moins étrange. Il la regarde alors qu’elle reserre sa queue de cheval au sommet de son crâne, les sourcils toujours froncés. Son don n’a pas encore retrouvé suffisamment de puissance pour qu’il puisse déduire quoique ce soit de cette sœur qu’il ne connaissait que si peu, finalement. La confusion, cependant, s’évapore immédiatement alors qu’elle se retourne, et qu’elle revient sur ses dires. Il lâche un léger rire, sans détacher son regard de sur sa silhouette, qui de nouveau le rejoignait. C’est bien ce qui me semblait. Ce n’était pas son genre, d’être aussi peu têtu. Il ne baisse qu’à peine les yeux vers le doigt accusateur qu’elle pointe vers lui, et un sourire orne toujours ses lèvres quand elle continue. Il lève les yeux au ciel quand elle se plaint de sa chaloupe et de ceux qui lui avaient porté compagnie. Avait-elle donc des standards si élevés, mêlée de la rue qu’elle était, si peu habituée au luxe dont ils avaient été privés ? Son sourire s’efface, cependant, très vite, alors qu’elle l’assassine de question auxquelles il ne trouve qu’une seule réponse, sans même avoir besoin de réfléchir. Qu'est-ce qu'il y a de plus important, que de rejoindre ta famille ? Diana. Qu'est-ce qu'il y a de plus important que de te battre pour une cause, que tu m'as toi-même vendu ? Diana. Il s’en voulait, Salazar. Lui-même avait du mal à croire que même ses sœurs, derniers vestiges de sa famille qu’il avait passé sa vie a essayé de retrouver, ne pouvaient concurrencer avec la place que la naïade occupait. Que même son ambition maladive ne saurait le faire tourner le dos à tout ce qu’elle était. Il ne répond rien. Car elle a sûrement compris. Il fait claquer sa langue sur son palais quand elle fait craquer les os de sa mâchoire. Arrête de faire ça, tu vas te faire mal. Il reçoit les mots qu’elle prononce ensuite comme des gifles, des gifles sèches qui claquent sur ses joues. Il sert les dents quand elle parle d’abandon, parce qu’il savait pertinemment que c’était bien de cela qu’il s’agissait. Encore une fois. Mais n’était-il pas sur le point de faire de même, après tout ? Si elle n’avait pas disparu, il serait déjà en route pour Stratos comme il en avait été convenu. Il ne savait pas toujours pas s’il lui en aurait parlé ou pas. La tentation de partir sans rien lui dire avait été tentante, mais il n’était plus sûr de rien ; c’était précisément ce qu’elle avait fait, et son cœur meurtri ne cessait de lui souffler que lui,  au moins, aurait daigné le lui faire savoir. Peut-être. Il n’en avait plus l’occasion, de toute façon. Il soupire, et ses épaules s’abaissent. Il tourne la tête vers la droite, évitant le regard de sa sœur, qu’il croyait soudainement capable de lire en lui comme dans un livre ouvert. Il détestait ça. Il détestait qu’on le connaisse. Il ne répondrait pas à sa question, parce qu’ils avaient beau ne pas se connaître depuis des années, le temps qu’on leur avait attribué avait été suffisant à Naerys pour comprendre que Salazar Dragomir ne divisait le monde qu’en deux catégories ; Diana, et les autres. Et elle se doutait probablement, désormais, que peu réussissaient à passer avant la première dans la liste de ses priorités. Il se contente de la regarder à nouveau, laissant le silence les entourer pendant une secondes. Certains veulent absolument la retrouver. C’est leur reine, quoiqu’il arrive. J’ai promis mon aide pendant une semaine. Ils ne la trouveraient jamais. Au fond de lui, Lazar le savait. Si elle voulait rester cachée, personne n’arriverait à la trouver. Personne. Huit petits jours, c’est tout. Et après, je suis tout à toi. A vous. A Pollux d’abord, aux Dragomir ensuite.