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Nikolai bombait le torse avec fierté, alors qu’il attendait que son sort soit décidé. C’est avec les honneurs qu’il avait gradués de sa promotion, en tête de liste des audiutors d’exception, ceux que les maîtres s’arracheraient si seulement ils en avaient l’occasion. Mais cet honneur revenait à l’impératrice et son héritier, et le mêlé les scrutait du regard sans sourciller, même lorsque la femme à la tête de l’Empire plongea ses yeux  dans les siens, l’interpelant d’un ton complaisant. – Bodastrov. – Détournant son visage pour chercher celui de Svetlana dans la foule, il la repéra à quelques mètres de lui, et elle lui répondit de son air grimaçant, reflet de son intérêt pour ce qui se déroulait dans ce palace imposant, ce qui lui arracha un sourire amusé qu’il tenta de camoufler en s’avançant vers les dirigeants princiers, inclinant sa tête avec un semblant d’humilité, afin de pas provoquer le courroux de ces têtes décorées. L’eau coula sur son front dégagé, et il se laissa guider, tel qu’on lui avait enseigné, vers son maître attitré. S’il s’attendait à un jumelage à son égal, à faire équipe avec un guerrier ou un être de quelconque importance, c’est plutôt face à Lula, une noble de second niveau qu’il se retrouva, son désarroi trouvant place sur sa mine renfrognée. – Osanos, comme on se retrouve. – lui chuchota-il, dans un sarcasme affairant. Les rares échanges qu’ils avaient partagés, au cours des sept dernières années, n’avaient rien eu de charmant. Il la considérait comme une poupée fragile et sans fondement, une disgrâce pour ses propres talents, qu’il gaspillerait pour sa défense. Du gâchis à ses yeux. Il attrapa néanmoins sa main, comme le voulait la coutume, et dans un silence où seuls leurs regards noirs respectifs se parlaient, le mêlé entourant de ses bras puissants le corps fragile de la princesse des eaux, pour sceller cette union qu’il maudissait dès lors. Il eut presque un haut le cœur lorsqu’il ressentit les picotements sous le grain de sa peau, qu’il sentit cette énergie les envahir tous les deux, scellant à jamais leur existence dans un pacte que seule la mort pouvait détruite, arrachant la vie de l’un si l’autre tombait.


Le temps est aussi sombre que les visages qu’ils croisent dans les couloirs du quartier général de la résistance. L’orage gronde, là dehors, mais aussi dans le cœur même de cette famille de l’eau quil a appris à connaître, au fil des années. Des traites à la couronne, des parias, c’est ainsi qu’ils sont désormais étiquetés et il sent la colère au travers des larmes qui baignent leur regard. Car ils ont aussi perdu l’un des leurs, l’héritier même de leur maison. Et cette tristesse qui l’envahit n’est pas sienne, mais celle de l’être qui partage son âme, celle qui le maintien en vie. Il sent la détresse de Lula, elle s’imprègne dans le moindre recoin de son être, ça l’empêche même de dormir, cette douleur-là. Incapable de rester à fixer le toit au dessus de sa tête sans être capable de fermer les yeux de la nuit, il se balade dans les nombreux passages, ces méandres où ils se tairent. Ses pas l’amènent jusqu’aux appartements de sa maitresse, il entend les sanglots qui la secouent, de l’autre côté de la porte, il ressent sa peine, ses tourments, et il ne peut plus le supporter. Pénétrant sans y être inventé dans cet espace privé, un territoire qu’il n’a jamais osé franchir, il remarqua la belle, affaissée contre le mur qui lui ait opposé. Son cœur se sert à la vue de celle qu’il se doit de protéger, et son instinct le pousse à s’avancer jusqu’à elle, et à se poser à ses côtés. Elle ne remarque pas qu’il est là, où elle l’ignore, il ne peut le savoir. Mais quand d’un geste tendre, différent de tous ceux qu’il a pu poser à son égard pendant de nombreuses années, il l’enlace pour l’attirer tout contre lui, elle n’oppose aucune résistance, trouvant refuge dans ces bras étrangers, s’y accrochant comme un naufragé qui peine à surmonter la vague pour ne pas se noyer.



Elle pénétra dans sa chambre telle une furie, ses cheveux couleur ambre flottant dans son sillage, le regard ardent, brillant de rage. – Ne me dit pas que tu pars avec elle, Nikolai! – l’accusa-t-elle de sa voix haute perchée, dont les accents agressaient ses tympans. Il scrutait cette sœur, sa chair, son sang, et la fureur de son volcan qu’elle tentant de contenir sans y parvenir. Brulante, ardente, il sentit l’air qui l’entourait se charger d’une tension qu’elle seule provoquait. Il ne broncha toutefois pas, s’approchant d’elle d’un pied nonchalant jusqu’à lui faire face, la surplombant de par sa grandeur. – En quoi cette décision te regarde-t-elle ? – lui rétorqua-t-il, d’un ton arrogant. Jamais n’avait-il eu un mot à dire sur ses propres décisions à elle, alors depuis quand avait-elle le droit d’en faire autant. De le critiquer pour ce qu’il décidait de faire, ou, quand, comment et pourquoi. Ils n’avaient jamais été de ces gens-là. – Tu as pris ta décision, j’ai pris la mienne. – continua-t-il sur un ton moins condescendant, cette fois. – Vas-y, continue sur une voie que je ne cautionne pas. Fait comme tu l’entends, bats-toi pour ce que tu crois être la bonne cause… mais ne me critique pas quand je ne prends pas la même direction que toi. – Elle avait toujours été plus revendicatrice que lui, toujours à critiquer le monde dans lequel ils vivaient, la civilisation dans laquelle ils avaient été élevés. Ça la tuait que son sang le relègue au second degré, alors que tout comme lui, elle se plaisait sur un pied d’escale, s’affichant comme une mêlée sans que ce sang ne vienne entacher sa volonté de faire changer le monde, d’y laisser sa trace. Elle voulait se battre pour ses convictions, agir, être dans le feu de l’action. Tout ce que Nikolai ne voulait pas. – Un jour, tu regretteras cette décision. – lui cracha-t-elle au visage, de tout le venin qui l’habitait. – Tu es aveuglée par l’amour que tu lui portes, mais quand tu te rendras compte qu’elle se sert de toi, ne viens pas me voir pour pleurer. – Il sentit son poing se resserrer quand elle frappa là où ça fait mal, quand elle osa aborder ce sujet qu’elle savait si sensible. Jamais il n’aurait dû se confier à Svetlana au sujet des sentiments naissants qu’il avait pour Lula. Jamais. C’était un couteau à double tranchant, avec lequel elle venait de le poignarder, sans regret. S’éloignant d’elle pour finalement lui tourner le dos, mettant ainsi fin à leur entretien, il ne murmura que ces quelques mots. – Tu me manqueras, Svetlana. – Il n’entendit que le cri de rage qu’elle déploya, avant de quitter la pièce sans un mot de plus, laissant derrière elle son frère et les doutes qui s’infiltraient lentement dans son esprit.