Le monde changeait, Braelyn le sentait. Les attentas du festival et l'arrestation d'Adonis n'étaient pas les seuls indices qui parvenait à guider la jeune maître de la terre sur cette voix ; c'était comme un sentiment qui lui saisissait le coeur à chaque fois qu'elle y pensait, relativement étrange, qui ne la quittait que très rarement. Askana grondait contre ceux qui les gouvernaient. Il semblait que le silence dans lequel ils s'étaient tous réfugiés commençait à se briser, et que bientôt tout éclaterait. Le monde changeait. C'était là, partout autour d'elle. La colère commençait même à monter en son propre sein, à la faire doucement bouillir, plus encore depuis qu'elle avait appris l'arrestation d'Adonis. Le prince de pierre, ambassadeur d'une nation alliée, son ami, symbole à ses yeux d'une famille qu'elle suivrait sous tous les prétextes, pourrissait désormais dans une cellule du palais, loin de toute forme de lumière ou de vie. Braelyn n'avait que très rarement était saisie de cette envie viscérale de faire quelque chose. Elle mourrait d'envie de le sortir de cette situation qu'elle-même ne parvenait qu'à peine à supporter mais elle savait parfaitement qu'elle n'avait aucun moyen d'atteindre les cachots, même avec un nom comme le sien. Elle en était presque obsédée. Son esprit était sans cesse occupée à trouver un moyen d'au moins pouvoir lui parler, au moins une fois, juste une minute s'il fallait vraiment qu'on ne lui accorde pas plus de temps. Cette offense à Eartanera provoquait non sans surprise des discours animés à la tablée des Wheatdrop – le nom d'Adonis était sur toutes les lèvres. On le plaignait, on accusait la couronne, on priait les Sept pour qu'il soit bientôt libéré. C'était d'ailleurs alors qu'on venait tout juste de mentionner cette liberté que les mots de Balian firent lever les yeux de Braelyn de son assiette, qu'elle avait fixée. « Ce n'est pas ce traître de fil Harlaw qui le sortira de son trou, malheureusement. » Elle avait regardé son oncle quelques secondes, ses yeux sombres grands ouverts, si bien qu'on ne manqua pas de lui demander si tout allait bien. Elle n'eut qu'à laisser un léger oui pour que tous cessent de la regarder, et retourner à leur discussion – mais la jeune femme était trop préoccupée pour y prendre part.

Harlaw.  

Le nom de l'Eartanerien monopolisait désormais les pensées de Braelyn. Il avait déjà résonné au sein de la demeure des Wheatdrop, à la fois parce que cette famille était relativement proche des Wheatdrop, et parce que le fils en question était souvent mentionné en des termes peu élogieux. Il fallait dire que la pieuse et indépendante famille qu'ils étaient tous avait eu quelque mal à digérer le fait que Loras avait choisi de devenir la coqueluche des Oshun. Mais voilà sur ce quoi elle était désormais concentrée. Loras Harlaw travaillait au Palais des Flammes, l'arpentait en long et en large depuis des années. Elle espérait de tout son cœur qu'il est encore la moindre once d'affection envers sa nation et son peuple, et elle ne savait pas réellement pourquoi, mais elle y croyait dur comme fer. Elle sortit très vite de table, ce soir là, s'empressa d'écrire un message à son attention, prenait toutes les précautions nécessaires pour que ce bout de papier ne se retrouvent pas entre de mauvaises mains. Sa naïveté et sa si caractéristique dévotion aux liens du sang lui permettent de croire que la mention de sa sœur pourrait l'adoucir suffisamment et achever de le convaincre de la rencontrer à la capitale, dans le coin de cette auberge qu'elle trouvait si lugubre. Elle s'y rendrait quoiqu'il advienne, même sans savoir s'il l'y rejoindrait, décidant de ne pas attendre la moindre réponse de la part de l'homme.

Elle était déjà assise sur cette chaise de bois toute bancale depuis quelques longues dizaines de minutes quand on l'approcha et qu'on la reconnût. Darius était assis à une table un peu plus loin, ne la quittait pas du regard ; elle le savait prêt à agir dans la seconde si quoique ce soit venait à se passer. C'est avec un faible sourire et un doux hochement de tête qu'elle salue en retour Loras Harlaw, dont elle voyait les traits pour la toute première fois. Ou peut-être s'étaient-ils déjà trouvés au même endroit, alors qu'elle n'était encore qu'une enfant, mais il était clair que si de tels souvenirs existaient en la mémoire de Braelyn, ils étaient tout à fait inaccessible. Son sourire s'élargit quelque peu alors que le bronze parle à nouveau, et elle baisse un instant les yeux vers la table, avant de les planter dans ceux de son interlocuteur. Voyons, Loras. Me croyez-vous assez folle pour m'aventurer dans un tel endroit sans compagnie ? Le fait de me voir assise seule ne signifie pas que l'on ne veille pas sur moi. Elle fait suffisamment d'efforts pour ne pas adresser un regard à son adiutor, mais du coin du regard, elle le remarque se retenir de sourire de façon trop évidente, à sa droite. Elle regarde Harlaw s'asseoir en face d'elle, et elle retire ses mains de sur ses cuisses pour les croiser sur la surface boisée de la table. Voulez-vous boire quelque chose, mon cher ? Je vous invite, avec grand plaisir.