lonely i, i'm so alone now. there'll be no rest for the wicked. there's no song for the choir. there's no hope for the weary if you let them win without a fight

Elle tremble la gamine. Ses mains sont serrées l'une contre l'autre mais cela ne suffit pas à faire cesser le frémissement de son corps. Ses prunelles scrutent l'obscurité déclinante avec appréhension. Elle se pose des centaines de questions la gamine. Une hantise qui a chassé Morphée de sa chambre cette nuit. Elle entend la voix d'Ariane lui susurrer à l'oreille ses promesses de la veille. Elle peut même discerner le souffle de l'innocent tué dans sa nuque. La justice. C'est une notion délicate qu'on lui a enseigné dès sa plus tendre enfance. Elle peut encore se rappeler des murmures de son père. Un bon dirigeant rend la justice, quoique cela lui en coûte. Elle ferme les yeux et chasse les larmes qui glissent sur sa peau de satin. Si seulement, papa. Si seulement tu avais fait un autre choix. Elle est perdue, Liza. Andrei n'est pas là pour lui tenir la main. Il n'est plus là. Il ne peut pas la supplier de renoncer à sa décision. Elle ne peut pas retourner en arrière, la gamine. Elle doit le faire pour Isaiah Griffith. Adonis. Ariane. Athalia. Isaak. Pour Tina. Pour le bien de sa famille et de son peuple. Pour elle, aussi. Elle ne peut pas se pardonner, Liza, mais elle doit avancer. Elle s'est laissée gagner par la dépression. La culpabilité masquée. Elle ne peut plus flancher, Liza. Elle n'en a pas le droit. Les aiguilles du temps s'écoulent vite, trop vite. Le soleil inonde sa chambre d'une lumière blanche apaisante. Ce n'est en rien salvateur. La princesse le sait, ce qu'elle va faire va détruire une partie de son coeur et de son âme. Son action est nécessaire mais elle va à l'encontre de beaucoup de ses principes. Seulement Liza veut éviter une guerre. Elle veut guérir même si la blessure sera toujours présente. Elle veut réparer une faute impardonnable. Les portes s'ouvrent sur Ace. Son adiutor n'a pas besoin d'énoncer un seul mot. Il se contente de lui tendre la main et de la soutenir, comme toujours. Le tissu noir de sa robe contraste avec sa peau si pâle. Elizaveta Valaeris est un deuil aujourd'hui. Elizaveta Valaeris rend la justice et elle condamne à mort un être cher à son coeur. La gamine s'avance avec le coeur serré. Elle imagine sans mal les servants remettre à son père une lettre écrite de sa main. Un piège tendu à son paternel. Une honteuse stratégie destinée à l'amener là où elle voulait. Et elle prie, la gamine. Elle supplie silencieusement son père de ne pas venir. Elle lui hurle de partir à tout jamais. De s'effacer dans les ténèbres. Elle l'aime, Liza. Il est son père. Il est celui qui lui a tout appris. Il a commis une faute. Une énorme faute. Elle l'aime toujours mais elle ne peut plus garder les yeux fermés. Liza s'arrête devant la grande porte en bois vernis. Elle sait mieux que quiconque ce qui l'attend derrière. La salle du trône déjà remplie par Ariane Griffith, ses gardes ainsi que les propres soldats de la nation de l'air. En ouvrant ces portes, Liza sait au fond d'elle-même qu'elle dit adieu à la princesse qu'elle a pu être. Elle va devenir la reine sans couronne. La dirigeante d'Aerinstin. Elle aurait préféré hériter du trône d'une autre façon. Ce n'est pourtant pas le moment pour hésiter. La main de son adiutor glisse dans la sienne tandis qu'ils repoussent à deux la grande porte. Liza retient son souffle et le monde entier s'arrête pendant quelques secondes. Toutes les têtes se tournent vers elle. La fille qui vend son père. La princesse qui devient reine. Son adiutor presse un peu plus ses doigts contre les siens et ils avancent. Ace relâche son emprise quand elle atteint le trône de marbre. C'est presque étrange de se tenir là, à la place de son père. Elle prend l'ampleur de sa trahison en prenant place dessus. Ariane se tient à sa droite tandis que les gardes se positionnent dans tout l'édifice. Ace se tient à sa gauche, dans son ombre. Il guette le moindre danger comme toujours. Le regard de Liza se pose en face d'elle et l'attente commence. Interminable.

Elle ne sait pas combien de temps s'écoule avant que les pas lourds et assurés de son père se font entendre. Les portes se ferment derrière lui avec un bruit sourd. Il s'avance vers le trône et Liza essaie de rester impassible devant son air surpris. Il ne sait pas. Pas encore. Ses prunelles glissent vers Ariane Griffith, et alors, il comprend. Il saisit l'horreur de la situation. Lorsqu'il pose à nouveau son regard sur sa fille, il n'est rempli que de frustration et de colère. Oleg Valaeris n'est pas stupide. Il ne peut plus s'échapper. Il ne peut que confronter sa fille sur la décision qu'elle a pris. Un mot silencieux se forme sur ses lèvres. Pourquoi. Mais il est fier, Oleg. Trop fier pour élever la voix le premier. La trahison ne s'en fait que plus douloureuse pour Liza. Son esprit a quitté son corps. Son coeur s'est barricadé face à la douleur qui menace d'exploser. Il ne reste que la raison et le devoir. Les émotions n'ont pas leur place. Le silence dure. Il lui faut plusieurs minutes avant de trouver la force de parler. Elle a conscience du regard perçant d'Ariane à ses côtés. Elle attend de voir si elle va tenir parole. Elle attend de voir si elle peut essayer de pardonner son amie. « Oleg Valaeris, vous êtes accusés de meurtre sur la personne d'Isaiah Griffith. Vous êtes désormais remis aux autorités compétentes pour être jugé dans la nation de la terre. Ariane Griffith est ici pour s'assurer de cette arrestation.  » Sa voix se veut ferme. Liza se veut digne d'une bonne dirigeante mais tout en elle se brise, morceau par morceau. Tout éclate. Tout. Son petit monde en verre se fissure et tombe en cendres. Elle peut à peine affronter son regard peiné et suppliant. Elle peut à peine lui dire à quel point elle est désolée. Que si elle agit ainsi c'est pour sauver Aerinstin d'un conflit avec la nation de la terre. Qu'elle doit protéger les siens et leur peuple. Les souvenirs défilent sous ses yeux tandis que les gardes d'Eartanera s'emparent de son père. Une petite fille éclatant de rire entre les bras de son père. Le même père réconfortant sa fille après une chute. Les livres. Les leçons. La lueur de fierté dans son regard. Les rêves qu'il lui a transmis. Le futur qu'il lui a légué. La présence chaleureuse et forte auprès d'elle dans les moments les plus sombres. Les hivers passés auprès de lui avec sa fratrie. Le sourire amusé qui étire ses lèvres. L'amour d'Oleg pour Liza. Et son coeur se brise, encore une fois. Les larmes naissent au creux de ses prunelles tandis que sa voix s'élève de nouveau, moins forte et assurée. « Elle a en sa possession plusieurs preuves incriminantes. C'est pourquoi vous êtes dès à présent destitué de la régence de la nation de l'air. Un avocat a été engagé à Volastar pour assurer vos droits à une défense lors de votre procès. » Les lettres. C'est Liza qui les a remises à Ariane. Des manuscrits de son père faisant état d'une somme d'argent versée à un assassin. Les doigts de Liza cherchent une prise sur les accoudoirs du trône. L'avocat est futile. Tout le monde sait que Oleg Valaeris ne va pas écoper d'une peine de prison. La justice des Griffith n'est pas aussi douce. Tout le monde sait qu'il va être mis à mort pour son crime. Tout le monde le sait, et pourtant, Liza ne l'accepte pas. Ses yeux restent fixés sur son père qui proteste contre les menottes d'acier qu'on lui a glissé aux poignets. Les gardes restent imperturbables. Pardonne moi papa. « Ave Atque Vale » Au revoir et adieu. La foule se dissipe. Ariane la gratifie d'un hochement de tête d'approbation avant de suivre ses gardes. Liza reste de marbre jusqu'à ce qu'il ne reste plus que son adiutor. Et là, tout s'écroule. La princesse tombe à genoux et elle hurle. Elle crie sa douleur au monde entier. Parce qu'elle ne reverra jamais papa. Parce que Andrei n'était pas là. Parce que sa famille allait sûrement la détester pour ce qu'elle venait de faire. Elle hurle Liza. Elle pleure pour ce père qui devait tellement la haïr. Ce père qu'elle aimait tellement. Elle hurle parce qu'elle vient de livrer son sang aux ennemis. Les bras d'Ace ne suffisent pas à maîtriser l'ampleur de son chagrin. Elle reste prostrée pendant des heures. Le soleil décline quand elle émerge enfin de ce brouillard fait de haine de soi, de douleur et de culpabilité. La voix de son père semble la narguer. Un bon dirigeant rend la justice, quoique cela lui en coûte. Liza venait de perdre un père. Un roi. Un ami. Elle venait de tout perdre pour cette justice.