La colère elle est là, elle arpente les murs de cette vieille bâtisse, de ce château vide. Triste. Frustrant.
Et il serre la lettre dans sa main, la déchire de toute part, un goût amer déposé sur les lèvres. Adonis a été incarcéré par ce lâche de prince, ce futur empereur frauduleux. Et il se lève brusquement, et il casse les objets délicatement posés sur sa table de chevet. Ce lit vide, une énième fois, un coup de trop. Il sort en rage de sa chambre, de ses appartements attendant impatiemment que ses affaires soient montées dans leur voiture.
Eros quitte enfin ce palais narquois pour rejoindre celui à qui il a depuis la nuit des temps, promis sa loyauté. Un frère, un même sang, deux cœurs qui battent à l’unisson et alors que l’autre moitié souffre, le gamin ne peut s’empêcher de rager silencieusement. Ses entrailles brûlent, brûlent de faire du mal à quiconque oserait toucher un cheveu sur la tête de son cadet.
Adonis est l’élu, il est le futur roi de sa nation, celui qui la développera, celui qui lui rendra la panache d’antan. Et son cœur bat, ce palpitant qui explose dans la cage thoracique à la recherche d’un but qui ne fait aucun sens. On lui dit qu’il est fou Eros, de supporter un frère qui n’a aucun droit sur la couronne. Mais il y croit dur comme fer, il y croit comme si sa vie en dépendait. Et rien n’a jamais fait plus de sens, rien n’a jamais contré cette idée que dans quelques années, Adonis serait roi.
La nuit tombée, le cheval qui galope à ne plus pouvoir, tuant sa dernière énergie alors que ses sabots frappent enfin les pavés de la capitale. Il descend dans sa rage entière, pleine, alors qu’il lance les rênes du Pégase dans les mains d’un inconnu.
Il est aveuglé Eros, il ne voit rien, que du rouge, une couleur vermeille qui n’estompe rien de cette colère, cette colère froide qui ronronne dans son ventre. Il a besoin d’exploser, de relâcher tout ce qu’il a entretenu dans l’âme. Il n’a personne à qui confesser, il n’a personne, pas même une épaule pour pleurer. Pas même un frère libre, pas même une femme à aimer. Eros il est noyé dans sa solitude et à l’idée de perdre la seule chose qui n’aura jamais compté, il tremble de la tête au pied.
Les regards le suivent, de ces gens-là qui savent, qui savent pourquoi le cadet a été enfermé. Les Griffith, des parias, des nobles qui se vantent d’un sang argent que l’on chuchote immérité.
Et il leur lance des maléfices, de ses yeux qui ne savent de toute façon envoyer que des éclairs. Eros c’est le démon angélique, c’est la voix des Dieux qui les emportent en enfer. Leurs chuchots malfaiteurs qui le rendent extatique, extatique à l’idée de pouvoir brûler, estropier toutes leurs valeurs et leurs préjudices.
Les cachots ne sont plus loin et pourtant le souffle se fait court. Il a peur de voir ce qu’il y verra. Un frère tombé, un frère au cœur brisé, à la notion du temps qui s’est arrêtée, à l’espoir qui semble être bafoué. Mais l’espoir ne meurt pas, ne mourra jamais, pas tant qu’Eros respire encore, pas tant qu’il n’a pas eu la chance de donner son dernier mot.
Le pas actif, il arrive devant le geôlier. Sans gêne il trace sa route ignorant ses commentaires et ses exclamations. Rien ne compte, pas son avis ni ses protestations. Et alors qu’il arrive enfin devant la cage, il pose ses yeux sur l’ombre qu’est son frère.
« Eros. » Et alors que le frère tend la main, Eros ne peut s‘empêcher de la serrer si fort en retour. Ils vont s’en sortir, ils vont s’échapper, ils vont trouver la sortie. Rien d’autre ne fait sens. Il soutient son regard, ce regard inanimé, presque léthargique.
Et Eros il ressent la colère et la compassion. Il ressent la peine et la frustration. Toutes ces émotions qui s’abattent sur lui, telle une épée qui vient lui arracher un membre. « Je suis désolé, j’ai échoué, je crois. »
Le gosse secoue la tête, désapprouvant tout ce que son frère émane ; la défaite. Ils sont si loin de l’échec, à des années-lumière de celui-ci. « Ne dis pas ça. Si tu avais échoué, les Dieux me l’auraient dit. Tu es toujours un futur roi à leurs yeux et aux miens. » Il marque une pause et serre davantage la main du cadet. « Il pense avoir gagné la guerre, mais ce n’est qu’une simple bataille Adonis. Il croit avoir les cartes en main, quand le temps sera venu, nous lui prouverons le contraire. »
Il tient son regard, alors qu’il ne doute pas une seule seconde de ses propos. « Ta place est sur le trône de notre nation, et pas dans un cachot et s’il faut que je meurs pour leur prouver, alors j’irais jusqu’en enfer pour le faire. » Et il hoche la tête. « Comment te traitent-ils ? Tu vas bien, tu n'as pas été blessé, ni Aléa? Je te jure que s'ils ont touché un cheveu sur ta tête, je leur ferais bouffer leur arrogance. » Ces mécréants qui ne savent pas reconnaître un roi quand il est à quelques mètres d'eux.