L'obscurité faisait danser des ombres effrayantes sur les murs du palais dans lequel elle avait grandi. Les rideaux dansaient au gré du vent. Liza était chez elle et elle se sentait pourtant terriblement seule. Elle ne savait pas si elle allait venir. Ariane. Cette amie qui portait comme elle le même fardeau sur les épaules. Elle lui avait demandé de venir le plus rapidement possible à Volastar mais cela faisait des heures qu'elle patientait. Le soleil avait décliné au même rythme que son espoir. Peut-elle se doutait-elle déjà de ce que Liza s'apprêtait à lui avouer. Peut-être s'était-elle lassée du silence de son amie. Beaucoup de questions restées sans réponse. La jeune femme était bien plus effrayée que agacée par cette absence. Elle avait peur de perdre Ariane. Malgré tout ce qu'elle avait pu faire. Elle craignait de perdre tout le monde à cause de ses choix. Elle n'avait pas de sang sur les mains mais elle connaissait l'investigateur de ce meurtre. Elle était restée impassible quand elle avait appris la fin tragique du jeune Griffith. C'était à cet instant qu'elle avait compris à quel point elle avait eu tort de ne rien faire. Liza ne pouvait rien changer au passé, elle ne pouvait qu'en accepter les conséquences. Les yeux clos, un soupir las s'échappa de ses lèvres. Arianne ne viendrait pas. Elle en était presque certaine maintenant. Elle avait un mauvais pressentiment et son instinct ne la trompait jamais. Le coeur serré, elle se leva et posa son regard sur le paysage qui s'étendait au-délà de son balcon. Son peuple. Celui qu'elle amenait à la catastrophe si jamais une guerre venait à être déclarée entre les Valaeris et les Griffith. « Madame, votre invitée est arrivée. » Un murmure à peine perceptible. Un soulagement de courte durée. Son visage avait recouvert un air grave. Liza savait que tout allait changer avec cette rencontre. Tout. La belle se retourna pour faire face à Ariane. Elle n'avait pas l'impudence de prétendre que tout était comme avant. Tout avait basculé le jour où Isaiah avait trouvé la mort. « Merci d'être venue. » Liza esquissa un léger sourire qui mourut au coin de ses lèvres. « J'aurais aimé te voir dans d'autres circonstances. » Liza se rapprocha de son amie, les bras croisés. Elle réalisait à quel point ce qu'elle allait dire et faire était important. Elle ne pourrait pas revenir en arrière. « Ariane, ton frère n'est pas mort accidentellement. C'est mon père, Oleg Valaeris, qui a ordonné son assassinat. » C'était étrange de prononcer ces mots à haute voix. La vérité dévoilée. L'horreur avouée. Elle trahissait son père, Liza. Elle ne pouvait pas en faire autrement. Elle était furieuse d'avoir été ainsi manipulée mais cela n'excusait en rien son absence de réaction. Elle aurait dû protester contre son père. Elle aurait dû prévenir les Griffith. Mais elle ne l'avait pas fait. « Je ne te demande pas de le pardonner comme tu ne me pardonneras sûrement pas d'avoir été au courant. » Liza laissa ses bras retomber le long de son corps. « Je n'ai pas d'excuses pour ce qu'il a fait à ton frère, comme je n'en ai aucune pour ne pas avoir agi. » Liza ne demanderait jamais à Ariane de tout effacer. Elle ne pouvait tout simplement pas laisser passer la mort de son frère ainsi. Liza la comprenait parfaitement. Si elle venait un jour à apprendre l'assassinat de l'un des siens, elle ferait tout pour obtenir vengeance. « Tout ce que je peux faire c'est livrer Oleg Valaeris à la justice des Griffith. Je ne m'opposerais pas à sa condamnation. » C'était dur. Terriblement dur d'abandonner son père ainsi. Lui qui lui avait tout appris. Lui qu'elle aimait tendrement. Ces derniers temps, Liza ne pouvait tout simplement pas laisser Oleg conduire leur nation à la destruction. Liza n'acceptait pas le sort de Aerinstin après la guerre mais cela ne justifiait pas l'assassinat d'un innocent pour l'anéantissement des Zhirova et des maîtres de l'air. « Je sais que cela ne ramènera pas Isaiah à la vie. Je suis désolée, Ariane. » Elle était sincère, Liza. Elle n'osait pas demander sa compréhension et encore moins son pardon. Un tel crime n'avait aucune excuse, aucune légitimité.

« Bonsoir. Veuillez me conduire voir Elizaveta, s’il vous plait. » Elle adressait un signe de la tête par politesse a l’une des employés des Valaeris, ainsi qu’un modeste sourire. Ariane était en retard, elle avait mis du temps à prendre une décision. Longuement, elle avait hésité, déchirée entre l’envie de revoir sa meilleure amie et l’envie de lui claquer la porte au nez. La Griffith s’était sentie trahie lorsqu’Adonis lui avait annoncé que les maitres de l’air étaient responsables de la mort de son petit frère. Comment sa meilleure amie avait-elle pu faire une chose pareille ? Lorsqu’elle avait reçu la lettre d’invitation de sa part, elle s’était méfiée. D’abord, elle avait pensé à un piège. Puis, elle s’était ravisée en se disant qu’elle voulait simplement lui parler. L’employée annonçait son arrivée et la laissait entrer dans la pièce où Elizaveta se trouvait. Ariane avançait jusqu’au milieu de la pièce, la tête haute, sans sourire. « Navrée pour ce retard, j’ai eu un imprévu. » Elle n’ajoutait rien de plus et attendait que la Valaeris daigne lui expliquer les raisons pour lesquelles elle l’avait fait venir. Lorsqu’elle la remerciait d’être venue, Ariane acquiesçait sans dire un mot. Elle n’était pas venue par plaisir, mais pour voir ce qu’elle avait a lui dire, pour voir si elle allait lui avouer ce que sa famille avait fait. En voyant le maigre sourire d’Elizaveta, le cœur d’Ariane se brisait. Elle savait pertinemment qu’elle ne pourrait jamais condamner son amie, même si elle le voulait. C’était au dessus de ses forces. « J’aurais aimé également. » Son ton est sec, presque froid. Elle regarde son amie s’approcher d’elle, croiser les bras sur sa poitrine et l’écoute. Ariane l’écoute avouer que son père est responsable le meurtre de son frère, qu’il a ordonné de tuer le Griffith. Chaque mot est plus douloureux que le précédent. Elle déglutit à la fin de chaque phrase et ne quitte pas son amie des yeux. Ses prunelles ambrées restent ancrées dans celle de son amie, elle est totalement crispée. Elizaveta était en train de trahir son père, sa chair, son sang, pour rétablir la vérité quant au meurtre de son frère.  Elle ne répond pas, elle la laisse parler. Les mots défilent et Ariane doit se concentrer pour écouter. Elle pense à un milliard de choses à la fois, elle ne sait pas comment réagir face à de tels aveux. Elle s’était attendue à ce que son amie lui cache la vérité, qu’elle soit obligée de lui tirer les verres du nez et la confronter à l’affreuse vérité.  « Je me demandais quand est-ce que tu finirais par me le dire. D’ailleurs, je dois avouer que je ne m’attendais pas à de tels aveux. » Ses mots sont clairs et nets, elle souhaite lui faire comprendre que la jeune femme ne lui apprend rien, qu’elle savait déjà toute la vérité en venant ici. Elle marque une pause, reprenant son souffle. « Alors tu étais au courant depuis le début ? Comment as-tu pu me parler, plaisanter avec moi, me réconforter lorsqu’il est mort, comme si de rien n’était ? » Elle sent la colère l’envahir, elle tente de la contenir. Ses poings se serrent, elle fait tout son possible pour canaliser ses émotions et rester la diplomate qu’elle a toujours été. Elle soupire un bon coup et tourne le dos à cette dernière. Elle s’avance vers l’une des fenêtres, regarder l’extérieur lui apportait un certain apaisement. « Quoiqu’il en soit, tu n’es pas responsable. Et si tu es prête à nous livrer Oleg, je ferais mon possible pour que tu sois épargnées. » Elle croise les bras sur sa poitrine, avant de continuer. « J’ai bien dit que je ferais mon possible, parce-que les Griffith sont rancuniers et Adonis m’a quelques propositions à ton sujet. » Dès qu’il avait mis Ariane au courant, il avait suggéré tout un tas de tortures inimaginables pour Elizaveta et Ariane s’était empréssée de l’en dissuader. D’une part parce-qu’elles étaient amies, mais aussi parce-que la mort était trop douce pour elle. Ses dernières paroles sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase, la cerise sur le gateau. Elle se retourne brusquement vers elle, le regard davantage triste que colérique. « Non, ça ne le ramènera pas. Rien ne pourra jamais le ramener, Elizaveta. » Elle prononce son prénom en entier, chose rare. D’ordinaire, elle l’appelle Liza. « Qu’attends-tu de moi ? Quel intérêt pour toi de me l’avouer maintenant ? » Sa voix se brise en disant ces derniers mots. Elle plante à nouveau ses prunelles ambrées dans celles d’une femme qu’elle pensait être son amie. « De la clémence ou de la pitié ? » Son pardon ou sa pitié pour éviter une exécution. Dur dilemme pour Ariane qui tenait vraiment à la maitre de l'air. Mais la vie était faite de choix et en l’occurance, elle allait bientôt devoir choisir entre pardonner son amie ou la condamner elle aussi.