« Madem- Tu peux m’appeler Eurus, Moïera. Votre présence est- Expressément sollicitée par Braam ? J’ai bien reçu la requête, merci. » Les perles azur rencontrèrent une ième fois le plafond de la bâtisse tandis que les lèvres pleines maugréaient des plaintes dans une barbe inexistante. Il s’agissait de la quatrième personne à lui communiquer cette requête en l’espace d’une demi-heure. Elle refusait de croiser le regard moqueur de Jae qui contrairement aux autres résidents s’amusait de leurs disputes, eux, préférant éviter les répercussions ardentes de ses êtres qui s’improvisaient si hâtivement grondants et destructeurs. Son irritation grossissante s’abattait et retentissait sur le marbre d’ivoire, matérialisée par le biais d’une séquence de pas exagérément sonores et rapides en délaissant sa partenaire. L’hémoglobine s’échauffait rien qu’à la perspective de recevoir un nouveau sermon de son frère. On la connaissait Eurus, celle qui se rebellait contre le monde, qui piétinait les convenances et l’autorité, qui n’avait peur de rien ni de personne. Mais seuls les sept savaient à quel point confronter Braam lui était pénible.  

Habitude éreintante, blessante et délibérément masochiste car jamais elle ne cessait de justifier ses élans d’essayer maladroitement de le rallier à sa cause et de défendre des principes qu’elle jugeait vertueux ; réaction principalement responsable de l’enveniment des diverses altercations. Et si avec le reste du monde, les critiques lui glissaient sur la peau, elle devait avouer que celles de Braam lacéraient sa confiance avec plus de force que le plus robuste des fouets. Et le pire, c’était cette rancœur qu’elle était incapable d’entretenir plus d’une journée, qui s’évaporait sous la douceur de quelques gestes affectifs. Conséquence agaçante de son amour déraisonné qui indignait sa quotidienne ténacité. Les quelques torches enflammées qui décoraient la demeure en l’honneur de leur élément crépitaient avec vigueur, dénonçant inconsciemment la légère appréhension qui se dissimulait sous sa moue mécontente.

« Je ne m’excuserai pas. » protesta la fille du feu en s’élançant fougueusement dans le bureau du général. Les portes se refermèrent dans un tonnerre fracassant, l’écho accentuant la teneur de son entrée théâtrale. Sur le moment, Eurus ne se souciait guère d’interrompre un échange important ou de retrouver son frère dans une position compromettante, tant elle s’estimait prioritaire lorsque ses ainés entraient dans l’équation.

La rencontre entre ses orbes océans et leurs semblables, possession du trentenaire dans lesquelles elle s’imaginait déjà voir danser des flammes, activa machinalement la prise de parole. « S’il s’agit de l’interaction avec le noble au marché, je lui ai juste donné un cocard et c’était justifié ! » Elle espérait avoir visé juste parce que si elle avouait par mégarde qu’il ne s’agissait pas de sa première intervention publique postérieure aux évènements du Festival, elle était persuadée que Braam prendrait la décision de la restreindre dans ses appartements jusqu’à perpétuité. Elle le comprenait, la donne avait changé. La frayeur s’était incrustée par l’âtre des foyers et avait contaminé de ses griffes vénéneuses les fondations mères de l’élite dorée. Les violeurs de sérénité avaient insufflé dans les cervelles de la foule une paranoïa contagieuse. Les fouilles retournaient familles et habitations depuis l’espace de quelques jours à la recherche des individus perturbateurs, et elle était plus que consciente d’agir de façon risquée, définitivement stupide même, mais rien au monde n’aurait su entraver le poing d’Eurus lorsqu’elle était témoin d’une quelconque injustice. Rester stoïque face à la propagande des partisans de la couronne, accepter de les voir écraser de leurs sabots les miséreux, était une tâche à laquelle, elle ne pouvait abdiquer. Peu importait les conséquences.