Le crépuscule accueille à nouveau entre ses bras la silhouette encapuchonnée de Nurie. Son agilité devient seconde nature, ses pas lestes traversent des rues de plus en plus familières au cœur du dédale que représente Jhiu N'Guri. Comme toujours, l'espionne profite du couvert de la nuit et de ses ombres pour se faufiler en-dehors du Palais et se rendre où elle le souhaite. D'ordinaire, ce sont ses rapports qui la conduisent dans le quartier malfamé, terre de désolation en plein cœur de la capitale, unique no man's land où la guerre ne semble pas avoir d'impact. Mais ce soir, c'est une toute autre mission, cette fois personnelle, qui l'amène sur les pas d'une personne qu'elle cherche depuis des semaines. Merle pensait sans doute qu'elle ne laisserait aucune trace, mais c'était sans compter sur la détermination de Nurie, nourrie par un esprit de vengeance. Merle l'a trahie. Sans raison, sans explication, elle a révélé l'existence d'une mission à laquelle participait Maverick et l'a amené tout droit dans un piège. Elle ne l'aurait jamais cru possible si elle n'avait pas mis la main sur la lettre signée de l'écriture ronde et pleine qu'elle aurait reconnue entre mille. Même en fuite, elle continuait de semer le chaos partout où elle passait, laissant dans son sillage désespoir, amertume, mort. Et pourtant. Malgré la rage qui anime Nurie, le besoin de comprendre prend le dessus sur le reste, l'obligeant à chercher des explications à l'inexplicable, du rationnel à ce qui ne se justife pas, d'aucune façon. Des semaines passées à chercher où elle se trouvait, pour enfin lui donner rendez-vous dans une lettre. Elle n'a aucun moyen de savoir si Merle la rejoindra, aucun moyen de savoir si elle ne se dirige pas à son tour dans un piège tendu par l'amie devenue traîtresse. Nurie ne compte que sur leur amitié, ce qu'il peut bien en rester, et comme toujours elle déteste ne pas avoir la pleine maîtrise d'une situation et s'en remettre au hasard. Son poignard est coincé dans sa ceinture, comme toujours, voilà au moins une constante sur laquelle elle peut encore s'appuyer. Merle sait-elle qu'elle trouvera non pas l'amie, mais le monstre dénué d'émotions, à la fois double et contraire de la couturière, celui qui ne s'embarrasse pas d'empathie, qui ne comprend ni ne pardonne ? Partagée par deux sentiments contradictoires, elle est incapable d'anticiper ses propres réactions, incapable de savoir si elle trouvera ce soir ce qu'elle est venue chercher, incapable de savoir même ce qu'elle est venue chercher. Sans doute une fin, violente et douloureuse, d'une amitié de longue date. Nurie le réalise enfin : elle est seule, livrée à elle-même, ne peut faire confiance à personne car autoriser quelqu'un à entrer dans sa vie et s'approprier son affection est une personne de plus capable de l'utiliser contre elle.

La taverne se dessine à l'ombre d'une ancienne église, abandonnée depuis bien longtemps à en juger par l'amoncellement de lierre et de poussière. Elle n'y entre pourtant pas, se contente de la contourner par y rejoindre l'arrière-cour abritée des regards. Son cœur se serre lorsqu'elle découvre la silhouette de Merle. Elle est venue, songe-t-elle avec difficulté. Elle est venue, et Nurie ne peut plus reculer. Elle réalise alors qu'une partie d'elle avait espéré qu'elle ne viendrait pas, pour ne pas la forcer à se confronter si durement à la réalité. Sans savoir quelle part d'elle lui fait face, elle s'avance dans sa direction, résolument, le visage fermé masqué par l'obscurité. Ses bras s'enroulent autour du corps de son amie, la serrant contre elle, respirant le parfum familier de ses cheveux qui lui rappelle ses débuts dans la résistance. « Tu es venue » souffle-t-elle doucement. Elle la garde contre elle quelques secondes de plus, pour graver ce moment dans son esprit : l'entredeux, instant de grâce figé où tout s'oublie dans le néant, où positif et négatif s'annulent, ne laissant que le vide rassurant comblé par la chaleur de deux corps sans place pour l'esprit. Elle s'en imprègne autant qu'elle le peut, avant d'y mettre un terme brutal. D'un geste agile, elle glisse son poignard hors de sa ceinture et appuie sa pointe contre le dos de Merle. « Un seul geste et j'enfonce la lame dans ta colonne vertébrale. » Sa voix est dure, nourrie par la colère trop longtemps contenue. « Je pourrais te tuer sur le champ, trancher des muscles pour plonger la lame jusqu'au cœur et la faire ressortir de l'autre côté, te laisser te vider de ton sang et prolonger ton agonie jusqu'à ton dernier souffle. » Ses mots ont la précision meurtrière que Loras lui a apprise. Elle ne ment pas, elle serait capable de faire tout ça, et bien plus encore. Mais pas ce soir, pas tout de suite alors que tant de questions restent en suspend. « Pourquoi tu as fait ça ? » demande-t-elle alors. Sa voix tremble, enfin, seule démonstration d'émotion rappelant que la menace cache la douleur de la trahison.

⎨you've been telling me some lies, I be thinking it's the truth
but I see it in your eyes, the things that you do⎬

Jamais l'oiseau n'aurait pensé lire ces mots ; mots qu'elle avait relus encore et encore pour s'imprégner de leur sens et ne pas se méprendre sur la réalité qu'ils dissimulaient. Nurie lui avait écris, Nurie lui avait donné rendez-vous. Merle fut tout d'abord confuse quant à cette démarche, elle qui pensait être fantôme, vaguant dans les rues sans qu'elle ne soit capable d'être vue ; elle s'était bien méprise. Mais elle devait bien l'avouer, si il existait une personne capable de la retrouver il s'agissait de Nurie, la seule et l'unique. Les allées de Jhiu N'guri semblaient désertes, si bien que Merle filait dans ces dernières sans grande difficulté, ne peinant même pas à cacher son identité. C'était rare, de tels moments de calme étaient rares et la maître de l'eau en profitait du mieux qu'elle pouvait. Son pantalon était sali, au même titre que sa peau était corrompue et ses cheveux en désordre ; jamais Merle n'aurait pensé revêtir un tel accoutrement, la princesse déchue qui ne rêvait que de grandeur et de noblesse semblait si basse, si pathétique qu'elle aurait été incapable de se reconnaître. Sa tête baissée laissait ses cheveux couvrir son épiderme teinté de noir, ses yeux sombres scrutaient chaque parcelle de tout ce qui l'entourait ; bien qu'elle savait qu'elle était seule, elle ne pouvait empêcher sa paranoïa d'envahir sa tête. La taverne semblait se distinguer de tout ce qui pouvait se trouver autour d'elle, sûrement parce qu'il agissait de l'objet suscitant la convoitise de Merle. Ses prunelles se déposèrent sur la face avant de la bâtisse, tout semblait clos, les lumières n'étaient plus et les volets étaient complètement fermés. L'oiseau se dirigea alors silencieusement vers l'arrière du bâtiment, son pas frôlant le sol et ses doigts caressant la pierre rugueuse. Merle était seule et n'avait plus qu'à attendre Nurie, son ancienne alliée, son ancienne amie.

L'attente lui parue longue, interminable alors qu'il aurait réellement s'agit de quelques minutes, d'une vingtaine environs, pas plus. Ce furent des pas, certes légers et discrets mais pas inaudibles, qui la sortirent de ses pensées. Lorsque Merle vint poser ses pupilles sur la silhouette qu'elle ne connaissait que trop bien, elle ne put empêcher son coeur de fortement se serrer dans sa poitrine, une douleur s'empara de tout son être. Merle ne savait pas quoi faire, Merle ne savait pas comment réagir, si bien qu'elle resta parfaitement immobile face à ce spectacle dont elle restait simple spectatrice, impuissante. Nurie s'approcha vers elle d'un pas décidé mais l'Osanos ne bougea pas d'un poil, Nurie aurait pu avoir envie de la tuer, Merle se serait laissée faire, incapable de faire le moindre mouvement. Mais au contraire, ce fut des bras chaleureux et familiers qui s'enroulèrent autour de sa frêle silhouette et Merle ne pu s'empêcher de ne pas rendre cette étreinte surprenante, ainsi, elle serra également la maître de l'eau dans ses bras, étonnant. « Tu es venue » sa voix lui paru calme et sereine, son ton était doux. Merle restait encore silencieuse ; elle ne comprenait que très peu la situation qui s'offrait à elle, elle aurait aimé être capable de s'exprimer, de mettre des mots sur tout ce qu'il se passait, mais elle en était complètement incapable. Mais l'étreinte fut de courte durée, si bien que dans un mouvement aussi rapide que discret, Nurie vint placer la pointe d'une dague pointue contre l'échine de Merle. Une couche de vêtement séparait son épiderme de l'épine et pourtant, elle pouvait sentir la douleur aiguë presser contre son dos. Un rictus étira ses lèvres, c'était étonnant et pourtant sincère. « Un seul geste et j'enfonce la lame dans ta colonne vertébrale. » voici la Nurie que Merle connaissait si bien, l'oiseau scrutait ses lèvres, modelant gracieusement chaque mots s'échappant de ses lippes ; ses prunelles vacillèrent de sa bouche à son regard, défiant toute action spontanée. « Je pourrais te tuer sur le champ, trancher des muscles pour plonger la lame jusqu'au cœur et la faire ressortir de l'autre côté, te laisser te vider de ton sang et prolonger ton agonie jusqu'à ton dernier souffle. » Merle ne tremblait pas, elle ne faillissait pas, ses yeux refusaient de lâcher le visage de son ancienne amie et, d'un geste brutal, elle vint saisir le bras de Nurie, renforçant la pression qu'elle exerçait déjà sur sa peau, c'était douloureux et pourtant Merle restait de marbre. « Je t'en prie. Vas-y. Fais toi plaisir, je sais que tu n'attends que ça. » ses prunelles scrutaient désormais celles de Nurie, la défiance avait pris la possession entière de son regard si bien que le rictus provocateur ornant ses lèvres ne s'était pas éteint, il était là, encore et toujours. « Pourquoi tu as fait ça ? » Merle soupira, énième soupire s'emparant de ses lèvres. De nombreuses fois, on lui avait demandé de justifier ses actions et c'était quelque chose qui avait le don de la rendre hors d'elle. Jamais l'on avait confronté Lula, Diana ou même Johann à leurs actions, jamais on leur avait demandé de rendre des comptes et pourtant, Merle devait se justifier, constamment, et tout ça parce que ses actions n'allaient pas dans la même direction que son patronyme ; elle se disait victime d'une injustice et elle n'avait aucun de s'en détacher. Ses traits se tirèrent. « À ton avis ? J'ai fais ça pour survivre Nurie, c'est ce que j'ai toujours fais et ce que je ferais toujours, parce que je ne peux pas faire autrement, je pensais que tu étais déjà au courant de tout cela. Je pensais que tu me comprenais, mais apparemment je me trompais. » Merle lâcha le bras de son ancienne amie mais son regard ne se détacha pas pour autant, elle était incapable de la lâcher du regard.