La nuit était tombée depuis bien longtemps, la reine Lune ayant repris sa place souveraine au cœur de la voute céleste. Mais le prince Oshun était aveugle à tout cela. A toute la beauté de Firekiko qui étincelait autour de lui. Parce qu’il ne songeait qu’à la peine, au chagrin, au désespoir. A tout ce qui avait explosé en lui à la mort d’Isaure. A tout ce qui le consumait de l’intérieur, qui le détruisait à petit feu, qui menaçait de le submerger. Et de l’anéantir. Le regard dans le vague, les yeux voilés de larmes. Il ne sentait plus son cœur, le fils du feu. Pas plus que son âme. Ni que le monde qui s’étalait autour de lui. Il était uniquement focalisé sur la douleur insoutenable qui hurlait à l’intérieur de lui. La disparition de la grande Déesse de son existence, véritable lumière au milieu des ténèbres qui l’entouraient. Il était perdu, le gamin. Complètement perdu. Sans repères, désormais. Cal, brisé. Wanda, disparue. Isaure, morte. Merle, menteuse. Que lui restait-il, à lui ? Flambeau d’une dynastie qui tombait en ruines. Reste d’une famille défaite, en proie à des tourments insoupçonnables. Aveugle à tout sauf à ce qui se tramait à l’intérieur de lui. Il ne savait plus quoi faire, comment réagir. Encore trop abasourdi par cette nouvelle réalité qui était la sienne. Réalité dont Isaure ne ferait pas partie. Parce qu’elle était partie retrouver les Anges, ces confrères. Dans un monde meilleur qui, enfin, serait à sa hauteur. Accoudé à la balustrade du balcon, Maven n’était plus cette bête féroce aux sens extrêmement affutés. Plus rien d’autre qu’un homme triste qui n’entendit pas les pas de biches derrière. « Maven ? » Ni même la voix cristalline de celle qui venait de le rejoindre. Trop concentré sur sa propre douleur interne. Il n’avait même plus la force de se battre. Lui que le feu de la guerre n’avait jamais abandonné jusqu’ici. Lui qui, d’ordinaire, vivait pour le sang, la bataille et la gloire qu’il pouvait en retirer. « Maven j’ai besoin de ton aide. Je veux retrouver Nathan … » Mais il n’entendait toujours pas. Il revoyait, encore et encore, l’image de sa sœur. Agonisant entre ses bras. Un sourire sur les lèvres alors qu’elle expirait. Heureuse d’avoir protégé ce qu’elle avait de plus cher : sa famille. Elle avait accepté le sort qui était le sien. Alors que lui n’y parvenait pas. Absolument pas. La fraîcheur de la main de la mêlée sur sa peau brûlante fut comme un électrochoc. Un retour à la réalité alors que, depuis plusieurs jours, il était entièrement englué dans cet instant qui appartenait au passé. « Est-ce que tu l’as vu là-bas ? Que s’est-il passé pendant la prise ? » Il la regarda, sans vraiment la reconnaître, au début. Et puis, son esprit réintégra son corps. Serafina. Un visage qu’il connaissait depuis toujours. Et qui appartenait également au passé. A un passé commun où Isaure était encore en vie. Où elle respirait, riait et dansait. Cela lui faisait mal, de revoir tout cela. Et des larmes solitaires commencèrent à dévaler ses joues creuses. Sans bruit. « Je ne peux pas croire qu’il soit mort … Tu n’y crois pas non plus, n’est-ce pas ? » Le belliqueux fronça les sourcils, perplexe. Sans avoir la moindre idée de ce à quoi elle faisait allusion. Ou plutôt, de qui. « Dis-le-moi … Dis-moi que tu n’y crois pas. » Elle tremblait. De peur. D’appréhension. Elle guettait sa réponse. Attendait impatiemment que les mots franchissent ses lippes serrées par le chagrin. Et puis, la lumière se fit dans son esprit. Nathan. Le maître que la blonde servait et continuait à servir, malgré la rupture du lien. Celui qui portait son nom. Devenu un Oshun, presque un ami. Mais pas entièrement. Parce que Maven ne savait pas accorder sa confiance à ceux qui n’étaient pas de son sang. Une seule personne faisait exception à celui. Le grand amour de sa vie qui l’avait trahi. Poignardé dans le dos. Qui lui avait détruit le cœur. Et cette fois-ci, le grand guerrier était à terre. A bout de souffle. A bout de force. Sans plus rien à quoi se rattacher afin de relever la tête. « Je … Non, enfin, je … Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. » L’Oshun tenta de convoquer ses souvenirs de cette nuit-là. Mais tout était flou, même sa rencontre avec l’impitoyable Til’Illan. Rien que le souvenir de la mort de sa précieuse. Rien que ça. Occultant tout le reste. « Isaure … Isaure est … Elle est … » Et c’était si difficile à dire. Parce que prononcer ces mots rendait la chose réelle. Bien trop. « Je pense pas, j’veux pas, je… Je… Non, il n’est pas mort. Pollux n’aurait pas manqué de nous le dire, sinon. Il doit être … Quelque part, j’sais pas … J’sais plus rien … »