you can call me monster

Les manigances du juge sont discrètes, murmurées entre deux colonnes de marbre. Les mots se font doux, jamais incisifs mais toujours fermes, appuient sans jamais blesser. Ordonnent sans pour autant s’incriminer. Wolfgang préfère habituellement l’intimité de ses bureaux pour mener ses affaires mais le fils de pêcheur a gardé de son éducation loin des cours élitistes une adaptabilité à toute épreuve. Le juge s’adapte à qui de droit et à qui de bénéfice, s’octroie le plaisir de tous les doubler d’un sourire. De masque en masque, de mensonge en songe, la noblesse du haut-juge est teintée de plus de perfidie que de bleu. Wolfgang n’est peut-être pas bien né mais il est né rusé. Quelques papiers passent de main en main et les instructions sont données - claires comme un secret couleur cristal. Il n’a fallu qu’une poignée de secondes pour que le nom de Maeve ne s’immisce dans la conversation. Les documents signés trouveront ses mains avant celles de Wolfgang.

La pratique est aussi inédite qu’aux limites de la loi. Déléguer n’est pas interdit. Mais Maeve n’a rien d’une magistrate et pire encore que ses compétences juridiques, c’est le sang de la guerrière qui pose problème. Mais Wolfgang ne fait confiance à personne d’autre pour gérer ses affaires poisseuses. Mahaut mérite mieux que l’illégalité. Mais Maeve et Wolfgang sont bâtis des mêmes principes, se repaissent dans leurs secrets. Il y a bien longtemps que leurs mains ne sont plus immaculées, bien longtemps que le masque n’est plus que ça : un déguisement.

Le tout n’est pas assez discret, apparement.

A peine l’âme en peine s’est-elle éclipsée, la queue entre les jambes et les bras chargés de dossier, qu’une nouvelle silhouette s’impose à ses côtés. Un sourcil s’arque parmi la façade travaillée que présente l’officiel alors que les mots coulent, par réflexe si polis qu’ils en sont presque doucereux - « Nous n’avons pas encore eu ce plaisir. Wolfgang Azrohir. » Les yeux s’attardent quelques secondes - à peine - sur les lignes décorant les avant-bras du nouveau venu. Wolfgang n’en connaît ni la signification ni l’origine mais se garde bien de poser la question.

Bien sûr que Wolfgang connaît Achille.
De nom, déjà.
De réputation, surtout.

Achille reprend la parole et il ne faut que quelques battement de coeur à Wolfgang pour éteindre la pointe d’inquiétude née quelque part entre son coeur (inexistant) et son estomac. Il y a quelque chose dans les yeux, dans le ton, dans les gestes du Vasara qui résonne chez Wolfgang. Le même vice caché derrière un sourire. Les mêmes poignards gardés précieusement contre leurs coeurs. Le même venin. Le même poison. Wolfgang s’autorise un rire, balaie tout décence d’un geste las de la main. « L’efficacité a parfois ses propres lois » qu’il s’amuse du coin de la bouche. La corruption aussi a ses propres exigences.

Les regards échanges en disent plus que les quelques mots offerts.
Les diables se reconnaissent donc entre eux.

Wolfgang hoche brièvement la tête, laisse un sourire narquois naître quelque part à la naissance de ses lèvres. « On dirait que vos méthodes sont efficaces - un léger rire s’échappe, vole de sa gorge rauque alors qu’il enchaîne déjà, le ton aussi posé que s’ils discutaient les derniers ragots - Certains diraient même que c'est ce qui fait votre succès. » Et son sourire de s'étirer encore un peu, honnête et carnassier.

you can call me monster

La journée prend rapidement un tour inattendu alors que son entrevue fortuite avec Achille s’étire et perd en faux semblants. Les masques tombent, dévoilent deux démons - deux monstres directement remontés des bras d'Hadès. Le haut-juge d'embruns a évidemment entendu parler du Vasara et de sa prétention à la couronne de l'air. Et si Wolfgang avait jusque là encore ses réserves sur le sombre prince - quelques minutes à peine en sa compagnie ont déjà suffit à le convaincre qu'il est celui sur lequel parier. Un sourire amusé étire quelques secondes ses lèvres alors que l’Azrohir pense aux Valaeris : leur désamour pour Achille prend tout son sens, toute son ampleur maintenant qu’il se tient face à l’inhumain. La perte des uns fait le bonheur des autres et Wolfgang se complaît dans leur immoralité partagée. Que leurs routes se soient croisées par un coup du sort ou quelque chose de bien plus maléfique a peu d’importance : ensemble, les serpents réaliseront de grandes choses. Il y a peu de choses aussi douces qu’un allié sur lequel on tombe par chance, qu’un diable qu’on reconnaît au premier coup d’oeil.

Wolfgang se laisse aller à quitter son trône de mensonges, son empire de bonnes manières pour laisser le malin habiter ses traits. Le menteur n’a pas l’habitude se laisser aller à une telle honnêteté, encore moins aussi vite. Mais il y a quelque chose chez Achille, quelque chose de profondément mauvais, qui résonne avec une justesse inégalée au fond de lui. Le charismatique Vasara est à la hauteur de sa réputation et, Wolfgang, se prend déjà à imaginer tout ce qu’ils pourraient réaliser à deux. Tout ce qu’Achille pourrait lui apporter, allié considérable pour l’ambitieux parvenu. Wolfgang voudrait le monde, étendre son emprise de gamin corrompu par delà les frontières de la nation des vagues.

Qui de mieux placé que le fils de l’air pour l’aider à réaliser ses plans ?
Qui de mieux placé qu’un monstre pour le comprendre ?

Le sourire s’étire, se fait plus vicieux encore lorsqu’Achille reprend la parole. "De grandes choses très certainement." Et Wolfgang a déjà ses petites idées, pense déjà à des dizaines de plan leur permettant - à lui mais aussi à Mahaut la belle - de s’avancer sur l’échiquier politique. Pas seulement dans la nation de l’eau mais également dans toutes les autres. Le regard de Wolfgang suit le signe de tête d’Achille, s’arrête sur la porte des appartements privés de Merle. L’Osanos avait-elle seulement conscience des deux monstres se rencontrant sur le pas de sa porte ? "Cela nous fait un point commun." Un de plus. Acquiesce le haut-juge tout en quittant des yeux la lourde porte. Le vicieux s’est immiscé jusque dans les hautes sphères, a gravi les échelons de la justice les uns après les autres jusqu’à côtoyer les Rois et les Reines. A offert son soutien à Merle avant même qu’elle ne monte sur le trône d’embruns, gamine ambitieuse à laquelle il a fini par s’attacher. Gamine ambitieuse dont il continue pourtant de convoiter la place.

Si la question d’Achille surprend légèrement Wolgang, ce dernier n’en laisse rien paraître. Tout au plus sa noirceur se pare de quelques perles de malice. De tout ses désirs il lui faut en choisir un - et vite. Le coeur du gamin balance entre ses propres ambitions et sécuriser une alliance favorable à Mahaut. Le sourire s’ourle de ruse, se fait presque prédateur jusqu’à se muer en sympathie. Il sera toujours temps de servir ses ambitions plus tard, ses désirs sont de toute façon emmêlés à ceux de la cadette. "Je suis à la recherche de nouvelles alliances. De relations durables qui pourraient être scellées à l’aide du mariage de ma soeur, Mahaut". Et ça se sent à son ton qu’il l’aime, la gamine. Plus qu’il ne le devrait, plus qu’il ne le pense même. Wolfgang et sa cadette fonctionne à deux, respirent et pensent comme une bête démoniaque à deux têtes. "Ma position n’est plus à faire dans la nation de l’eau (même si elle pourrait toujours être améliorée), quelques alliés du côté de la nation de l’air ne pourraient que m’être bénéfiques." Il sourit, pause quelques instants. "Si tu as un jour besoin d’aide, ma position de haut juge me permet certaines libertés que les simples magistrats n’ont pas - le sourire carnassier dévoile l’envers de la bête".