Son entrevue avec Merle ne s'était pas passée comme il l'espérait — il s'y attendait, cependant. Têtue comme elle était, vaniteuse plus encore depuis qu'une couronne lui ceignait le front, impossible d'espérer qu'elle tolère encore à l'autorité sévère d'un père qui réprouvait le moindre de ses actes. Que pouvait-il faire alors, sinon se retirer, amer, avouer en tournant les talons toute l'impuissance qu'engendrait son statut de traître, de marginal qui se décriait devant la glorieuse et disputée reine. L'allégeance de Lex avait toujours été sujet à discussion ; l'hédoniste était un écran de fumée, un tissu d'illusions, un rouage déficient, déroutant. Électron libre, vagabond propice à la traîtrise lorsque ses desseins la nécessitait, il était indigne de confiance et s'en foutait bien. Parce qu'alors, s'il triomphait, qu'importe qu'il soit haï, banni, honni ; qu'il soit méprisé, réprouvé, jugé. Même par sa propre famille, même par sa propre fille. Et c'était sans doute déjà le cas, elle qui savait, qui voyait derrière le faciès du père celui du traître, derrière celui qui autrefois l'épaulait celui qui désormais la décevait. Ils ne savaient plus que s'éloigner, Merle & Lex, élargir le fossé, se reprocher tout et rien, hurler en silence et se maudire en regrets. Chacun voyait en l'autre la conséquence d'une profusion d'erreurs et de mauvaises directions prises à l'arrachée — et ça n'allait pas en s'arrangeant. Claquant — avec le peu de douceur qu'on lui connaissait — la porte dans son sillage, le rejeton des océans s'élança le long de l'immense couloir qui lui était par trop familier, aux prises avec la frustration tenace qui s'était attachée à sa carne mortifiée depuis des semaines déjà. Les pognes enfouies dans les poches de son blouson, Lex ruminait sa rancœur. Elle voulait se marier. En soi, et bien qu'il entretienne à l'égard de l'institution-dite un mépris certain, il ne dédaignait pas l'idée lorsqu'elle était volontaire et réfléchie. Sauf que. C'était un Oshun. De tous les hommes dont sa fille aurait pu s'éprendre, il fallait que ce soit lui. L'engeance de cette lignée qu'il maudissait, le frère du roi, de celui qui, noble et glorieux, avait commandé au bourreau d'abaisser sa lame sur la nuque de sa sœur. L'idée même que ce sang se mêle au sien lui donnait la gerbe — plutôt crever que d'accepter qu'il porte son nom, que d'accepter d'être ainsi le jouet d'un destin scélérat. Et alors qu'il retenait le ricanement cynique qui lui mordillait la lippe, il leva ses mires délavées sur l'homme qui avançait droit sur lui. Maven Oshun. Qui déambulait dans ce palais qui autrefois était le sien — celui où il avait grandi, celui qu'il avait quitté en toute hâte, sans un regard en arrière. Et pourtant. Qu'importe que les murs retiennent encore les stries de ses poings batailleurs, les éclats de verre brisé et de rage rugies, qu'ils soient encore imprégnés des amertumes d'autrefois et de celles d'aujourd'hui, il était chez lui. Et que le fils du feu ose poser un pas ici, qu'il ose croiser son regard d'égal à égal comme s'il était légitime l'ulcérait. Sa présence elle-même, dans ce palais où sa sœur avait vécu, n'était rien de moins qu'un désagréable et inacceptable outrage (surtout lorsqu'on en connaissait la raison). Ralentissant jusqu'à s'arrêter à quelques pas de lui, l'Osanos le dévisagea de haut en bas comme s'il n'était qu'un misérable insecte, avant d'esquisser un rictus dédaigneux. « tu t'es trompé de chemin, oshun » si ses intonations rocailleuses furent d'une indifférence glacée, le nom, lui, fut presque craché ; il y distilla tout le mépris que le blondinet (et ses pairs) lui inspirait. L'idée même qu'il soit l'amant de sa fille le révulsait ; celle qu'il devienne son gendre pire encore. S'il avait préféré la discrétion pour pénétrer ici, il était encore trop arrogant pour céder le passage au fils du feu. A dire vrai, il savait qu'il n'était pas assez indifférent pour ne pas le forcer à tourner les talons s'il persistait à poursuivre sa route.