six heures moins dix, et déjà, sur la nation du soleil levant, l'astre de feu émergeait de ses chimères nocturnes par-delà les vallées aux flancs prospères et ses rayons incandescents léchaient les courbes abruptes des montagnes austères qui bordaient la frontière entre eartanera et flamaerin. au cœur des appartements royaux, un silence onirique s'était fait régent parmi les régents. seigneur des nuits, il gouvernait jusqu'à ce que ces majestés, aux premières aurores, ne lui reprennent leurs couronnes. si le prince fut le premier d'entre eux, ce jour-là, c'est qu'il avait un dessein bien précis. il s'était évadé des bras de sa chère épouse en prenant bien soin de ne pas l'éveiller, avait fait une rapide toilette et s'était paré de ses beaux habits de ville, assisté de quelques femmes de chambre et d'un valet. quand il était descendu de ses pénates, le bel éclat rose-orangé du soleil encore un peu engourdi par le sommeil s'infiltrait par toutes les immenses fenêtres du palais, inondant les lieux de sa lueur matinale aussi caressante que tonifiante. les domestiques s'affairaient déjà en cuisine et dans la grande salle à manger, dressant la table et préparant le petit-déjeuner pour les monarques et leurs consuls. quand il prévint le chef qu'il ne mangerait pas au palais ce matin, le majordome insista pour que les cuisiniers préparent pour lui un repas rapide qu'il avala à la hâte avant de se faufiler à l'extérieur du château. dans la cour du palais, les gardes de jour relayaient les gardes de nuit, leurs chiens maigres bâillaient aux corneilles en secouant leurs puces et l'on pouvait entendre au loin un coq chanter. le prince se dirigea vers les écuries où l'on s'affairait à panser et à atteler deux chevaux. à sa vue, les palefreniers, surpris de le voir debout de si bon matin, et craignant que sa présence ne soit de mauvaise augure pour eux, le saluèrent gauchement en bredouillant quelques formalités, rendus maladroits par leur hébétude. que faites-vous donc là, à balbutier comme des idiots? tonna leur chef, extirpé de sa loge par l'agitation de ses hommes, allons messieurs, remettez-vous au travail, et que ça saute! tandis que les jeunes écuyers maladroits s'exécutaient, un jeune commissionnaire sortit à son tour de la loge du palefrenier en chef et vint à la rencontre du prince en lui tendant une main amicale que le monarque saisit. bonjour votre altesse, vous êtes bien matinal. n'est-ce pas pourtant votre jour de congés, aujourd'hui? d'un geste rapide de la main, le prince désigne l'attelage, le coursier et ses hommes. on m'a dit hier que vous vous apprêtiez à vous rendre au marché de terzinua. puis-je savoir en quel honneur? presque timidement, le commissionnaire s'incline, les yeux baissés comme ceux d'un homme coupable de céder au caprice d'un enfant. son altesse royale nous envoie chercher des nèfles pour madame votre fille. – des nèfles en cette saison? mais quelle mouche l'a piqu–?! oh, c'est vrai... pour une fois que les désirs de sa fille enceinte coïncidaient avec ses propres plans, le quinquagénaire n'allait pas s'en plaindre. tandis que le coursier retournait dans la loge, où il se penchait jusqu'alors sur une carte du pays afin de tracer la route la plus directe en direction de terzinua, le prince ordonna à deux écuyers qui lui semblaient avoir terminé leurs tâches : garçons, faites seller mon cheval, je vous prie. j'accompagne ces messieurs à terzinua.
en pas moins d'une dizaine de minutes, l'étalon fut pansé, sellé et remis aux mains fermes, mais néanmoins aimantes, de son propriétaire, qui flatta tendrement l'encolure de l'animal en le voyant ainsi apprêté. bien engagés sur le chemin qui menait à l'immense portail du domaine griffith, le prince, escorté par un garde du corps à cheval également, s'était hissé sur son impulsive monture qui piaffait d'impatience, aux côtés du fiacre que conduisait l'un des cochers royaux, accompagné du commissionnaire et d'un autre valet qui le secondait. alors que le cortège s'approchait du portail, ils croisèrent l'intendant qui, lui, remontait le chemin en contre-sens. il vérifiait certainement que tous les membres du personnel étaient à leur poste avant que ne se lève le roi. vous partez voir du pays, votre altesse? fit-il d'un air curieux en croisant le regard de son prince, dois-je informer mesdames et sa majesté votre neveu que vous nous quittez? obtempérant d'un signe de tête subtil, le prince croit bon de préciser : dis-leur que je serai de retour demain soir, et embrasse ma femme et ma fille pour moi. rougissant légèrement, un timide sourire naît derrière la moustache blanche du vieux majordome et dans ses yeux ridés se mêlent un amusement tendre et une pudique modestie. sire, je ne me le permettrais jamais. bon voyage, mon prince. faites attention à vous et ne tardez pas en chemin, revenez-nous vite.
eartanera était sublime, aujourd'hui. montagnes, vallées et pâturages s'étendaient à perte de vue. dans les villages environnants, la sérénité semblait régner en maîtresse attendrie. à chaque hameau traversé, des chiens trapus et des enfants joufflus couraient après le fiacre, les uns aboyant, les autres riant. si quelques hameaux restaient manifestement et indéniablement misérables, la criminalité s'installait plutôt au sein des grandes villes. alors qu'ils s'étaient arrêtés pour déjeuner à la terrasse d'une taverne, le prince s'était perdu dans ses pensées en regardant des enfants du peuple jouer à côté d'eux. innocents, sains et saufs, et en toute sécurité. pour combien de temps cependant? le prince ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour les enfants de launondie. quand l'un des petits vint lui réclamer une bouchée de son gâteau, il lui donna la part entière. leurs montres indiquaient quatorze heures trente quand ils atteignirent les abords de terzinua, et c'est alors qu'il aperçut la douce enfant lovée dans un fiacre traditionnel de la nation de l'air tandis que leurs cortèges respectifs se croisaient. il pose pied à terre et s'approche de la jeune héritière lorsque la voiture de la demoiselle s'arrête. dans un élan de galanterie, le charmant prince lui donne son bras afin de l'aider à en descendre. votre lettre a bien failli ne pas me parvenir à temps, je l'ai reçue hier. bienvenue à terzinua, mademoiselle.