à l'ombre des bois

( 16 mai, Dryang )

Secoués par les vents ardents, c’est sur les tapis de piètre facture que les grains de sable viennent se perdre ; il n’est pas vingt heures mais Phébus décline déjà, lassé par son jour aussi morne qu’il n’a été amer. La brunante jette son voile sur les ombres des tentes montées aux pieds des fortifications de la ville, et en lesquelles grouillent les soldats et civils que les praticiens militaires soignent encore. Maigre victoire que celle de ses hommes. À son arrivée et malgré le repli de l’ennemi, ce sont des troupes lésées qu’il a trouvées, tenant le coude à des citoyens catastrophés — la nouvelle de la capitale prise par Pollux s’est répandue comme une traînée de poudre, avant de mettre le feu aux morals boiteux des citadins. L’armée n’a pas été en reste ; à peine ses guerriers ont-ils eu le temps de décrasser le sang et la sueur de leur front qu’il a derechef fallu essuyer les larmes versées pour les compagnons et pairs tombés à Launondie. Parmi la kyrielle d’ordres donnés par le Capitaine, il a été convenu que les cadavres des belligérants – pour certains empalés à l’extérieur de Dryang en guise d’avanie pour le moins cathartique – seraient brûlés le lendemain à l’est de la citadelle afin que les zéphyrs transportent l’odeur prégnante du bûcher jusqu’aux naseaux des envahisseurs factionnés à plusieurs kilomètres de là. Davantage symbolique que probable, la sentence a été accueillie par la population avec force agrément. Ne négligeant rien, et certainement pas la mémoire de morts plus estimables – dont celle du patriarche Osoryd, son Altesse a tenu à ce qu’une cérémonie se tienne au même instant à l’ouest, dans le cimetière improvisé par la piétaille endeuillée qui, depuis dix jours, enterre ses victimes. Pas d’office religieuse ; l’Oshun a insisté. Rien qu’un cérémonial populaire pour honorer les défunts dans le respect de leurs confessions. Un sacerdo, froissé par la tolérance quasi insultante du sérénissime dévot, est venu dans l’après-midi déranger le Dragon pour lui faire part de ses réserves. Son babil a dûment été écouté, avant que l’hôte ait plumé son mécontentement en invoquant le Père, le Forgeron et le Guerrier qui, en ces temps troublés, habitent plus que jamais le cœur de leurs ouailles ; rappeler le Fides Septem serait faire montre d'insolence maintenant que les fidèles tiennent la voûte des Sept, quand le Vertice n’est plus que ruines. Le prêtre a ensuite été convié à rejoindre Firekiro pour mander des nouvelles du roi — mais ne sera probablement jamais parvenu à destination, tant les aléas malencontreux jonchent les routes du sud.
À présent attablé, flanqué d’un secrétaire, d’un officier et de quelques troupiers, Hector fait recenser les pertes subies par la bastide et estimer les travaux nécessaires pour que Dryang se relève dans les jours à venir. Une sentinelle soulève l’épaisse toile et se présente à l’entrée en annonçant la venue de ses deux fils qu’il a sciemment convoqués. Les subalternes prennent congé les uns après les autres, sortant en une colonne taiseuse, voire maussade, et entrent enfin les jeunes frères que le père accueille sans grandes manières ; il demeure assis, péremptoire, les épaules droites et la prunelle incisive. C’est la première fois qu’il voit Puck depuis son arrivée mais c’est une simple nutation, quelque peu rigide, qui l’accueille –  non pas que le sieur soit d’une austérité criarde, lui que l’épicurisme assouplit incidemment, mais que celle-ci, d’engeance, soit une émule lorgnée avec autant de défiance rituelle qu’il observe usuellement l’épousée.
— Prenez place.
Ce sont les sièges en face de lui qui sont désignés, ni trop près, ni trop loin, en tous les cas dans l’axe du regard tutélaire. Au contraire de questionner son puîné, et ce comme la courtoise l’exige, à propos de son voyage – qu’il suppute avoir été bon, ou en tout cas efficient, puisque le garçon se tient devant lui – c’est à l’endroit de l’ainé que le faciès gire.
— Le sang-froid dont tu as fait preuve à Launondie a été remarqué.
Puisque le pater n’a pas, non plus, été d’une grande volubilité envers Léonte, ce sont là les tout premiers éloges qu’il lui cède depuis leur évasion. Encore qu’ils ne soient pas tout à fait expansifs. S’il n’en attendait certes pas moins de son premier-né, nul exploit véritable n’est à flatter si ce n’est celui d’avoir suivi à la lettre ses ordres. De là, de ce détail insignifiant par-dessus lequel nombre de quidams seraient passés, une certitude convoiteuse est née. Celle que ni les ans, ni les distances, n’ont estompé l’abnégation du fils prodigue.
— Ta valeur martiale n’est, du reste, plus à prouver. C’est pourquoi à l'heure où la nation tremble j’ai décidé que tu étais fin prêt.
Savamment souligné, le silence pèse encore quelques instants avant que le Maître quitte son assise et s’approche du gaillard.
— Lève-toi.
Et d’attendre que l’on s’exécute, puis de glaner à la poche intérieure de sa veste d’uniforme un précieux insigne de gradé. Il l’épingle aux frusques tout en ânonnant.
— Léonte Oshun, je te fais officier de l’Armée du Feu. Puisses-tu me rendre fier et honorer Flamaerin.
Une paluche épaisse s’est posée contre épaule, lourde d’exigences que la progéniture pourrait difficilement conjecturer dans son entièreté. Trop probe, trop droit, son poulain de toujours n’a jamais eu l’étoffe du tartufe ; une honorabilité commode si judicieusement maniée.