– N'y vas pas. – Un souffle dans son cou. Une étreinte désormais si familière. Ses doigts se posent sur les mains qui la retiennent, qui l'implorent. Elle n'a plus la force d'argumenter. Plus la patience d'attendre encore. Elle est là. Dehors. Toute seule. Loin des siens. Nevenka est morte. Elle a encore de la peine à réaliser, Liza. Elle espère la voir entrer d'une minute à une autre. Elle entend encore sa voix, ses rires. Vestiges du passé. Souvenirs heureux à jamais ancrés dans sa mémoire. Le coeur en morceaux, elle se détache des bras de son époux. Sans un mot, elle s'éloigne, le laissant seul, la mine contrite. Elle ne sait que trop bien qu'il refuse de la voir courir un tel danger. Elle n'a pas le choix, Liza. Elle n'a pas réussi à la protéger de son vivant, elle ne peut supporter de la laisser reposer loin du caveau familial. C'est une Valaeris. Cela importe peu qu'elle ait voulu trahir sa soeur. Liza s'en veut plus à elle-même qu'à sa petite soeur. Tremblante, elle marque une pause dans le grand hall majestueux du palais. Un étrange pressentiment la saisit. La peur sans aucun doute. L'appréhension de faire face au peuple qui lui est soit hostile soit fidèle. De faire face au corps sans vie de sa cadette. Probablement même au refus de son époux de la voir emmener Neve. Elle s'avance, suivie par des soldats. Michail ne vient pas. Il espère la faire changer d'avis en usant de ce chantage. Reste, sinon tu iras seule. Elle lui a sourit, Liza. Parce qu'elle savait qu'il allait dire ça. Elle le connaît trop bien depuis toutes ces années. Elle ne lui en veut pas. Oui, elle lui a sourit, Liza. C'est ma soeur, Michail. Une victoire amère. Une réalité qu'elle aurait préféré effacer. On la mène aux chevaux qui attendant en bas des marches. Le bruit des portes qui se referment derrière elle lui arrache un frisson. Les soldats l'entourent alors qu'elle parcourt les rues de Volastar. Des murmures s'élèvent sur son passage. Certains la saluent avec de l'hésitation, d'autres l'observent avec du mépris dans le regard. Des rumeurs ont circulé sur la mort de Nevenka Valaeris. Une tentative d'empoisonnement qui aurait été ordonnée par Elizaveta elle-même. La reine n'y a pas cru quand on le lui a rapporté. Son coeur n'en a été que plus brisé à l'idée qu'on puisse imaginer cela d'elle. Le convoi s'avance au milieu de la foule. Beaucoup s'interrogent. D'autres ne tardent pas à comprendre qu'elle quitte la capitale. Liza veut juste en finir avec tout cela. Elle veut ramener Neve chez elle. Et puis tout s'arrête. Tout se fige. Les secondes s'éternisent. Un sifflement fait taire les chuchotements. C'est le silence. Le calme qui précède le chaos. La tempête. Liza ne réalise pas tout de suite. Personne ne se rend compte. Après tout, c'est impossible. Improbable que tout s'arrête ainsi. En un claquement de doigt. C'est si grotesque. Si ridicule que la vie tourne ainsi en cauchemar. Tout ne peut pas basculer en si peu de temps. Tout ne peut pas finir comme ça. Sans prévenir. Et pourtant.

Elle baisse les yeux Liza. Elle ne sent rien. Absolument rien. Parce qu'elle a déjà mal au creux de sa poitrine. Depuis si longtemps. Depuis qu'elle a livré son père aux Griffith. Une douleur si familière qu'elle n'a pas remarqué la différence. Elle est bien là. La flèche qui a transpercé les airs. La flèche qui l'a touché en plein coeur. Le liquide carmin s'échappe de la blessure fatale. Ses lippes sont elles aussi ornées d'un rouge funèbre. Elle tremble, Liza. Parce qu'elle sait que c'est la fin. Parce qu'elle sait qu'elle ne pourra pas être sauvée. Des cris de surprise s'échappent. Les soldats se ruent vers elle mais il est trop tard. Ses prunelles glissent vers le ciel tandis qu'un sanglot déchire ses poumons. Ou peut-être est-ce la flèche. Elle ne veut pas partir, Liza. Elle n'a pas assez vécu. Elle a encore trop de choses à faire. Elle aurait voulu voir Neve une dernière fois. Serrer Andrei dans ses bras. Rire avec Alexei. Retrouver Elvira, celle qu'elle considérait comme sa soeur autrefois. Enlacer sa mère. S'excuser auprès de son père. Elle aurait voulu avoir des enfants. Les voir grandir auprès de leurs cousins. Elle aurait voulu leur offrir le monde. Une nation en paix et florissante. Elle aurait voulu vivre. Encore quelques années. Encore un peu plus. Les larmes coulent sur ses joues de plus en plus pâles. Les soldats l'allongent au sol. C'est le chaos autour d'elle mais n'en a plus conscience, Liza. Elle s'en va. Elle entend à peine les hurlements. Les pleurs. Les ordres des soldats. Ses prunelles restent perdues dans le ciel. Et elles appellent. Papa. Neve. Elle pleure, Liza. Parce qu'elle sait désormais ce qu'ils ont du ressentir à leur mort. La solitude. Le désespoir. L'injustice. La douleur s'amoindrit. La chaleur l'entoure quand son corps ne fait que devenir de plus en plus froid. Et elle espère, Liza. Elle espère retrouver les siens après. Elle espère ne pas tomber dans le néant. L'oubli.

J'ai peur papa.
Un soubresaut agite son corps affaibli.
Pardonnez moi.
Elle s'immobilise.
Attendez-moi.  
Et c'est la fin.  

The queen is dead. Long live the queen.