Âme égarée qu’il était. En proie à la perdition et à l’incertitude. Errant parmi les multiples chemins qui s’annonçaient à lui. Profitant de l’hospitalité de quelques vieilles connaissances. Mais rien de sérieux. Rien de durable. Parce que personne n’avait à cœur d’abriter un exilé, un ennemi de la nouvelle couronne d’Eartanera. Et c’était précisément ce qu’était le Ravenscar. Retour à l’état premier de vermine non-désirée, d’exécrable petite chose sans valeur aucune. Les regards glissaient sur lui, comme s’il était devenu invisible. Simple bronze déchu du paradis, banni des terres dorées et des privilèges grandiloquents. Une couche de poussière sur ses beaux vêtements. Les traits tirés par la fatigue. Même l’éclat séducteur qui le caractérisait s’était éteint, au fond de ses beaux yeux bruns. Un fantôme. A peine une ombre. Si différent de ce garçon solaire et souriant qu’il avait toujours été. De ce garçon solaire et souriant qu’il avait toujours été alors qu’il évoluait parmi les plus hautes sphères de la nation de la terre. Mais tout cela était terminé. Cette ère appartenait au passé. Ce temps était révolu. Et ce, simplement à cause d’une sylphide blonde au charme ravageur. Charme contre lequel l’impétueux ne pouvait lutter. Même en essayant. Comme une sirène capable de l’envouter par son chant et auquel il ne pouvait résister. Kaz était sur les routes depuis un moment, déjà. Laissait ses pieds le guider, sans même savoir véritablement où il allait. La seule chose dont il était parfaitement conscient était l’endroit où il n’était pas le bienvenu. Où il ne pouvait retourner. Ce lieu qu’il avait appelé son foyer durant de si longues années. Lieu de tous les plaisirs, des amitiés et de la fraternité absolue. Lieu où il avait été heureux, entouré de ses frères d’adoption et de ces adorables femmes dont il avait conquis le cœur d’un seul sourire. Paradis artificiel dont il était désormais exclu. A tout jamais. Terrible ironie du sort. Et puis, le paysage changea autour de lui. Et le gamin se retrouva brusquement projeté en arrière. Lors de ses jeunes années. Gunnar. Nehina. Et surtout, elle. Mère de toutes choses. Protectrice invisible. La grande figure d’autorité de son existence. Ornella K’han. Il connaissait ces forêts par cœur. A force d’y avoir joué jusqu’à perdre haleine. D’y avoir couru jusqu’à avoir l’impression que son palpitant allait s’extraire de sa poitrine. Premières amourettes d’enfant sauvage. Premiers combats de petit garçon voulant déjà être un homme. Et bientôt, la demeure fût sous ses yeux. Berceau de son enfance. Et les souvenirs déferlèrent en une masse indistincte, vague destructrice brisant tout sur son passage et menaçant de le submerger, de l’engloutir. Mais pouvait-il se permettre de pénétrer en ces terres ? De mettre ainsi en danger ses habitants ? Mais, plus important que tout, Ornella avait-elle réellement envie de revoir cet entêté qui semblait promis à un destin d’exils successifs ? Il ne pouvait en être certain. Alors, le Ravenscar resta planté là, à l’orée de la forêt. Tel le grand idiot qu’il avait toujours été. Incapable de prendre une décision, de se décider pour un camp ou l’autre. La déception causée par la répulsion d’Ornella serait tout bonnement insoutenable. Kaz ne voulait pas risquer de s’y trouver confronté. Et pourtant… Pourtant, il brûlait de retrouver les bras protecteurs de la matriarche. Cruelle ironie. Comme le petit enfant refusant de grandir qu’il était. Cette peur viscérale du temps qui lui vrillait perpétuellement les entrailles. Le terrible Ravenscar s’apprêtait à tourner les talons, lorsqu’un bruit l’alerta. Il tourna son regard brun et découvrit la silhouette de sylphide de la K’han. « Ornella … ? » Voix incertaine, parce qu’il peinait à croire à cette apparition presque divine. Si inespérée. « Je suis désolée d’être venu. C’est juste que … Je ne savais pas où aller. »