we all have hunger.

Un cylindre entre deux doigts, le regard dans le vide alors que les passants se bousculent devant lui. Adossé à un mur dont les briques ternes soulignent l'effet du temps —ou de l'homme—, le prince observe. Une transaction se déroule précisément devant lui, la dernière de la soirée, une affaire de marchandises de la plus haute importance pour la suite de ses affaires. Sa présence n'est pas obligatoire, mais fortement recommandé compte tenu de l'incapacité et du cruel manque de professionnalisme de ses subalternes. Une poignée de mains, des sourires en demi-teinte qui s'échangent, un semblant de courtoisie et les deux silhouettes se fondent dans la masse comme si de rien n'était. À ce moment précis, tarehk jette sa cigarette au sol et la piétine d'un geste rapide. Sa journée est finie, c'est une autre réussite qu'il peut ajouter à sa semaine.
Il se souvient de l'époque où il effectuait lui-même ce genre de transactions, l'époque où il devait encore faire ses preuves au sein de cette secte sans pareille qu'est la famille khodja. L'ascension est rude et pleine d'embuches mais le résultat est inestimable. Le mérite est une réalité palpable chez les khodja, un fait certain et assuré. Tarehk en a conscience, alors chaque jour est un jour nouveau pour faire ses preuves.
Ad vitam aeternam.

Vraisemblablement il aurait préféré errer encore longtemps dans les rues. pire encore, il aurait préféré avoir à faire face à quelques soucis durant son petit manège professionnel ou être contacté par l'un de ses sbires concernant des soucis du côté de la maison close. Quoique ce soit pourvu que ça l'empêche d'avoir à rentrer et faire face à sa chère et tendre. soyons francs, il avait clairement la position forte actuellement dans cette relation qui n'en est pas réellement une. Bien forcée de rester chez les khodja, elle s'engageait dans un combat dont seuls tarehk et elle étaient au courant mais en terre inconnue pour elle. Et si au départ ce fut un amusement plus qu'autre chose d'avoir à se fiancer puis se marier, d'échanger des sourires aux convives, de montrer qu'il était à présent un de ces faux aristocrates que la vie a hissé de force, il était à présent las. Las de cette épouse qui n'en est pas une, las de la voir se dandiner dans sa demeure, fouiner parfois même dans ses affaires et prétendre ne pas le faire, las de voir qu'elle cherchait à gagner du terrain. Toutes ses choses là commençaient à l'exacerbait au plus haut point. Mais il n'avait pas conscience des répercussions de cette relation et ce qu'elle ferait de lui.

Ce soir-là il rentre donc plus tôt. Habitué à traîner pendant des heures dans l'obscurité de Jhiu N'guri ou à régler des affaires de paperasse, l'idée de rentrer plus tôt ne lui déplaisait pas nécessairement. Il arrive parfois que la fatigue vous gagne, et si Tarehk est un béni des dieux —et une espèce de semi-divinité selon certaines personnes mal avisées— il reste malgré tout un être fatigable. Pourtant, en arrivant à ses appartements dans la demeure familiale, il n'y trouva pas Marlys. Cette absence imprévue le perturba et le mit dans un état particulier. Une intense paranoïa, l'impression d'être en danger et qu'à n'importe quel moment, sa figure, certes élégante mais non moins dangereuse, sortirait de nulle part.
Tout cela était figuré évidemment mais il lui sembla quand même qu'elle devait être tapie dans l'ombre en train de manigancer quelques choses. il ne tarda pas à s'aventurer dans les pièces, à la recherche de sa fausse moitié, en réalité, ce qui le mettait dans cet état n'était pas une peur de cette femme même. Il était très serein quant à sa capacité à la contrôler et la remettre à sa place. Non, ce qui l'effrayait —ou plus justement l'enrageait— c'était qu'elle ait eu potentiellement l'audace de s'aventurer là où elle ne devrait pas.
Pris d'un doute, il se dirigea vers le grenier, son lieu attitré. Une sorte de "safe space" pour lui mais avant tout pour ses passions. Stockées depuis quelques mois s'y trouvent des oeuvres d'artistes de renom qu'il a réussi à obtenir de manières diverses et variées, très souvent illégalement lorsqu'il s'agissait d'oeuvres volées et entre les mains de malfrats incultes et inaptes. Autrement, il se permettait de donner de jolies bourses aux artistes qu'il appréciait.
Alors que sa main était sur le point de se saisir de la poignée, il entendit le sol à l'intérieur grincer, indicateur sans équivoque d'une présence extérieure. Et de fait, cela ne pouvait être que l'oeuvre d'une personne irréfléchie et perdue dans sa démence, on ne se mêle pas aveuglement aux affaires de Tarehk. Ce serait saugrenu.

Il enfonça la porte et se retrouva face au vide. Il n'y avait personne, ou du moins il semblait n'y avoir personne. Affichant un sourire mesquin, il referma la porte derrière lui avant de prononcer quelques mots, calmement.
« Marlys, j'ose espérer que tu ne comptes pas rester cachée trop longtemps. Ce serait décevant de te voir opter pour la lâcheté. »