Ils arrivèrent à l'heure où le soleil s'échouait sur l'horizon. Où il ne faisait plus tout à fait jour, mais pas encore totalement nuit. Deux soldats escortant un messager du palais. On ne pouvait jamais être trop prudent à Jhiu N'guri, Asrae ne le savait que trop, mais cela ne l'empêcha pas de regretter qu'il faille tant de cérémonie à Cal pour la convier au palais. Ou la faire convoquer, selon l'opinion. La missive indiquait une heure, un endroit, serti d'une signature. Aucune consigne comme c'était souvent le cas. Cal et elle possédaient leur propre langage fondé sur un silence chevronné, et l'absence totale de fioritures. Il y avait ces rituels affutés, qui ne nécessitaient aucune précision. Une fois le parchemin brûlé, elle renvoya les soldats à leurs occupations originelles, se doutant malgré tout que leur mission ne s'arrêtait pas là, et qu'ils étaient chargés de l'accompagner, elle, la soeur de la reine - et le messager, au palais. Sait-on jamais. Asrae ne nécessitait aucune protection, certainement pas celle-ci. Elle prendrait les raccourcis, les toits, les portes dérobées, et autres sorties déguisées, ce pour le plaisir de le faire et pas la nécessité d'éviter les sales recoins dont elle était l'enfant chérie.
Leur dernière confrontation avait le mérite d'avoir calmé les esprits pendant un temps. Une sombre histoire faite de hardiesse, fierté mal placée, et contusions trop importantes qu'elle réfutait, mais qui n'en demeurait pas moins vraie. Asrae arrivait aujourd'hui au palais des flammes avec la ferme intention de l'emporter sur Cal plus que d'en découdre dans les règles de l'art. Question de dignité, comme c'était souvent le cas entre eux. Cal était un adversaire de taille, digne de son feu, et elle se demanda, pendant qu'elle traversait le dernier couloir qui la séparait du point de rendez-vous, ce que cela donnerait si un jour ils décidaient de faire front plutôt que de s'affronter. Une perspective intéressante, probable aussi, qui eut le mérite de l'intéresser pour quelques pas.
L'éclair sur la droite.
Elle poussa la porte, et distraite par trop d'affaires en cours, de questionnements pertinents ou non, se laissa lamentablement surprendre par le nouveau don de Cal. Elle était lumière, lui foudre. Sa lumière était un dernier recours. Lorsque les poings, le bô et les flammes ne suffisaient plus. Grand bien lui en fasse, elle n'était pas tombée sur ce cas de figure. Pas encore. Sa maitrise lui posait de nombreuses difficultés, et le prix allait au delà de ce qu'elle avait pu supposer. Migraines lancinantes, aiguilles de couture dans les yeux, purée de méninges. Elle n'était plus en âge d'apprendre, de subir l'inévitable débourrage typiquement initié à Koldoveretz. L'adolescente impétueuse qui absorbait la moindre poussière de savoir, de pouvoir même, s'en était allée au profit de la femme d'action qui n'avait plus le temps d'assimiler, puisqu'il était si urgent d'appliquer. Si elle n'avait pas à rougir de sa maitrise du don, fût-elle restreinte, devoir retourner à des bases qu'elle avait acquises il y a bien des années déjà lui procurait un petit sentiment d'échec. Un sentiment qu'elle parvenait à chasser aux moyens d'entrainements intensifs, de nombreux face-à-face auprès d'un roi aussi déterminé qu'elle à dompter ce qu'on qualifiait d'offrande des dieux. Parée, elle aurait pu concentrer ses efforts sur la lumière dégagée par l'éclair, l'atténuer, et l'astreindre au silence, mais l'exercice lui demandait une énergie qu'elle préférait réserver pour plus tard. Il gouterait à sa lumière, la dégusterait même, qu'il le veuille ou non. La foudre s'était effondrée si prêt d'elle qu'une goutte de sueur s'était formée à la cime de son crâne, parmi son épaisse chevelure noire ramenée en une longue tresse. La température, déjà à son zénith, venait de monter de deux crans au moins, et une myriade de flammèches rongeaient l'encadrement de la porte, où l'éclair avait frappé. Elle poussa un soupir, et fusilla Cal du regard.In all fairness, l'entrée en matière était justifiée compte tenu du fait qu'Asrae l'avait attaqué dans le couloir la fois passée, ce sans le moindre ménagement. Mais quand même.  — La bonne soirée à toi aussi, gronda-t-elle, le visage nu de toute émotion. Elle s'était laissée surprendre, mais pas n'avait pas sursauté pour autant. Imperturbable, comme toujours, elle pénétra dans la pièce sans lui allouer une courbette de circonstance, ni lui présenter ses hommages en l'apostrophant de son titre de noblesse. Par le protocole, elle était priée de respecter la place du roi, et la sienne, mais elle ne voyait pas la logique à courber l'échine devant lui puisque dans la minute suivante, elle lui foutrait son poing dans la figure. Cal était Cal, et le serait toujours. Depuis le temps, il ne se formalisait plus de son manque de bienséance. Puis elle faisait désormais partie de la famille à présent, parait-il. — Feu ? Combo Eclairs-Lumière ? Mon auguste pied dans ton royal arrière-train ? le questionna-t-elle, provocante, sarcastique, Asrae, loin de se douter que leurs bénédictions respectives ne constituaient en fait pas le menu du jour, uniquement un putain d'apéritif.

L'invitation de ce jour n'a rien d'anodine, mais il est bien le seul à le savoir. Cal sait que la missive sera vue comme toutes les autres par la Khodja, mais il a d'autres idées en tête, aujourd'hui. Bien sûr, la perspective d'affronter une adversaire telle qu'Asrae est toujours réjouissante, mais il doit traiter d'affaires plus sérieuses avec elle. Une nouvelle qu'il est sûr, ne ravira pas l'héritière des corbeaux, mais elle doit bien s'y attendre, en réalité. Il a choisi de lui annoncer lui-même son mariage à venir avec son propre cousin plutôt que de laisser la matriarche le faire, par amitié, mais aussi par responsabilité. Après mûre réflexion, il n'est pas certain que le choix d'annoncer à la brune son union à venir lors d'une session d'entraînement soit la meilleure idée qu'il ait eu, mais il est trop tard pour reculer désormais. Il l'imagine parfaitement, son bô entre les mains, l'air furieux inscrit sur son visage, les prunelles enflammées. Ô non, ça n'est pas une bonne idée, mais qu'importe, la démonstration de sa surprise sera sûrement divertissante.
Il l'attend de pied ferme, Cal, dans la salle qui accueille la plupart de leurs rencontres. Une salle fermée, proche de la cour d'entraînement qu'il affectionne aussi tout particulièrement. Cependant, lorsqu'ils s'affrontent, ça semble toujours plus sûr de le faire dans un endroit clos, où ils sont les seuls spectateurs mais aussi les seuls à risquer quelque chose. Car ils ne sont pas délicats, ne retiennent pas leurs coups lorsqu'ils sont face à l'autre. C'est quelque chose que le roi a toujours apprécié chez son amie. Ce naturel exacerbé, cette franchise qu'elle possède depuis qu'ils se connaissent. Il n'est pas Cal Oshun, avec elle, mais juste Cal. Et étrangement, bien qu'il soit très attaché à son titre, à l'héritage et au pouvoir qui s'y apparente, c'est agréable, de pouvoir se distancier de tout ça. La chaleur est moins étouffante, dans la pièce, à cette heure-ci de la journée. Le crépuscule apporte avec lui des températures plus clémentes, mais la chaleur ne s'en va jamais vraiment, pas à Flamaerin. Mais il aime ça, l'Oshun, les températures écrasantes, le soleil qui projette sur la ville ses rayons brûlants. Seuls les maîtres du feu sont capables de supporter et d'aimer le climat de la nation, qui leur donne l'illusion d'être plus proches de leur élément qu'ils ne le sont en réalité.
Le bruit d'une porte qui s'ouvre le ramène à la réalité. Il se concentre, et l'éclair vient jaillir de ses mains pour atterrir aux pieds de la jeune femme. Un sourire arrogant étire les lèvres du roi, tandis qu'Asrae lève vers lui un regard furieux, probablement vexée d'avoir été prise au dépourvu. Il ne fait que lui rendre la pareille, pour un entraînement précédent où il se souvient avoir goûté à la technique déloyale de l'héritière. En réalité, tous les coups sont permis entre eux, et s'ils relèvent encore les extravagances de chacun, ils ne s'en formalisent plus. « Elle promet d'être bonne, si tu as décidé de venir sans tes réflexes. » Il s'amuse aussi de la situation et de l'attitude de la Khodja. Désormais que la jeune femme est entrée dans la pièce, il ne la quitte plus du regard. Il ne la connaît que trop bien, sait qu'elle est susceptible de répliquer à tout instant, sans le prévenir au préalable. C'est aussi là, que réside le challenge. Car non seulement d'être une combattante aguerrie, et de posséder une maîtrise exemplaire du feu, Asrae est imprévisible, presque insondable. Un léger sourire effleure ses lèvres suite aux mots de la brune. Il hausse légèrement les épaules. « Surprends-moi. Je te laisse carte blanche. » Il lui offre l'occasion de se montrer créative, mais aussi de se défouler, peut-être dans l'espoir que l'annonce qu'il s'apprête à lui faire soit mieux accueillie.

— Quelqu'un doit se préoccuper des affaires, maintenant que ma sœur se consacre à toi, glissa-t-elle, se jurant de ne plus laisser à Cal l'opportunité de miser sur l'effet de surprise. Le roi avait l'air en forme, déterminé à en découdre, et il se trouva qu' Asrae était toute disposée à le drainer de toutes ses prétentions. Si leurs entrainements quotidiens avaient toutes les allures d'une torture soutenue, parfois même vicieuse, ils n'en restaient pas une manœuvre tout à fait salvatrice d'évacuer les mauvaises énergies - dont Asrae était pleine. Sa seule consigne suscita un rictus narquois sur les lèvres d'une Asrae toute en hardiesse. Rictus évoquant à peine les sombres desseins qui coulaient sur sa morale comme l'encre sur le parchemin. L'ami allait déguster . — Dans ce cas, choisissez vos prochaines paroles savamment, votre altesse, puisqu'elles pourraient bien être les dernières. Pour contrer la violence de leurs assauts, et par opposition à l'atmosphère caniculaire qui dominait, le ton était léger, et il le serait toujours. Son précieux Bô, ainsi que ses chaussures de côté, elle tendit les mains droit devant elle. S'ensuivit une méditation d'une minute. Courte, mais assez pour lui insuffler un semblant de sérénité nécessaire à invoquer son nouveau don. Puisque Cal s'amusait avec la foudre, alors l'honneur lui revenait de donner à la lumière de quoi éblouir un roi, ce dans chaque sens du terme. La lumière demandait une absence totale d'émotion doublé d'un esprit et un corps en harmonie. Deux compétences maitrisées de manière imparfaite, mais stable, ce au terme de vingt-sept longues années de méditation routinière et d'études assidues des énergies corporelles. Ça, bien avant que le virus ne frappe, et ne donne un nouveau tournant inattendu, mais décisif à sa maitrise. Aujourd'hui, stabiliser son centre et apprivoiser de nouveau son yin et son yang lui demandait un temps que le temps lui-même lui refusait. Si elle pouvait s'enorgueillir de mater un semblant de lumière, si tant est que celle-ci fut née d'un feu direct, son contrôle n'en demeurait pas moins frêle, voire risible compte tenu de sa profonde emprise sur son élément, et sur elle-même. Une superbe flamme s'était nichée dans le creux de ses deux mains jointes, et il lui fallut s'armer d'une détermination presque brutale pour appeler ses sœurs à la rejoindre, et ainsi s'emparer de toute la lumière de la pièce. Lumière qu'elle fit disparaître d'un clappement brusque, arrachant ainsi à leur duel le facteur ' vision ' pourtant essentiel. —  Faut admettre que ces nouveaux dons ont au moins le mérite de nous renvoyer dix ans en arrière. Ce temps où leurs seuls inquiétudes se concentraient sur leurs résultats à Koldoveretz, et ce semblant de vie sociale toute insouciante dont ils auraient plus profité, si ce n'est abusé, si seulement ils avaient su. Elle profita de la pénombre pour se saisir de son Bô, changer de place avec la souplesse d'un félin, frapper un grand coup, and repeat, and again, and again. —  Ça va trop vite ? serina-t-elle d'un ton caustique, et pas peu fière de sa démonstration. Une valse de mouvements élégants fit naître un feu tonitruant dans la cheminée et elle s'empêcha de peu de donner l'estocade, en l'honneur de la goutte de sang royal qui s'écoulait de la narine de sa majesté, et s'en alla flatter le plancher.  —  Dis-le, si c'est trop pour toi. Je ne me permettrais pas de te juger... cette fois, lança-t-elle, provocante de la bouche au regard. Elle scruta Cal longuement, se demandant dans quel flanc elle pourrait causer le plus de dommages, et surtout comment le surprendre encore, après des années de lutte acharnée à se prouver que l'un était supérieur à l'autre. Pourtant, et pour une raison qu'elle aurait été bien incapable de nommer, elle devina que cet entrainement n'avait rien d'anodin. Pas complètement du moins. Cal lui laissait le choix des armes, insuffler son tempo à la bagarre, et la première manche, ce qu'après réflexion, elle trouva tout sauf coutumier. —  Je te sens songeur, Asrae était perceptive, et lui n'était pas discret. Pas assez pour cet œil intuitif, mais surtout pour cette amie attentive.