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Le vent soufflait doucement sur le visage du petit Belikov. Il se tenait face à cette bise glacé, appréciant chaque bourrasque frappant ses joues. Il aimait le vent, surtout quand il lui permettait d'échapper aux cris et aux larmes. Erwin détourne un instant le regard de l’horizon lointaine pour observer les deux autres enfants. Il n'entendait rien, parce que le vent sifflait dans ses oreilles, mais il pouvait voir les bouches se déformer et les bras s’agiter. Lui, il était au milieu, comme d'habitude. Entre son frère et sa sœur on ne le distinguait presque pas. Tu… prends… qui… Il ne se sentait pas concerné par cette discussion. A vrai dire, il en avait un peu rien à faire. D'un geste las, il s'avance un peu plus au bord de la falaise. Personne ne le regardait de toute manière. Les parents Belikov étaient absorbés par leur repas, un peu plus loin. Rayna et Michail étaient toujours en train de crier. Erwin voulait simplement un peu de tranquillité, sentir le vent encore plus fort sur son corps, pour noyer les sons. Il s'approcha encore un peu plus du bord, juste un peu. En une fraction de seconde, son centre de gravité bascula et son cœur sembla sortir de sa petite poitrine. Il avait glissé. Il était tombé dans le vide. Aucuns sons ne voulaient sortir de sa bouche, il était comme bloqué dans le temps, bloqué dans les airs. Il n'avait pas peur, Erwin, il n'en avait pas eu le temps à vrai dire, mais son palpitant ne voulait pas ralentir. Puis il percuta la roche, de plein fouet, en plein visage. Il avait d'abords pensé qu'il avait dû atterrir sur le sol, en bas de la falaise, et que la vie était en train de quitter son corps. Un regard vers le bas suffit à signaler que, non, il n'avait pas atterris sur le sol. Il était toujours suspendu dans les airs. Du sang coulait le long de son visage abasourdie. Quelqu'un lui tenait le bras, quelqu'un avait arrêté sa chute. D'un mouvement un peu pénible il releva la tête et croisa le regard de sa sœur. Elle était en train d'hurler quelque chose qu'il n'entendait pas. Un bourdonnement avait envahi ses oreilles et sa vue s'était troublée, mais il avait bien reconnu Rayna. Une autre silhouette se détachait à côté d'elle. Michail très certainement. On l'avait remonté sur la terre ferme. Rayna venait de lui sauver la vie. Pendant un instant, toute l'attention était sur Erwin. Les quatre Belikov se tenaient autour de lui, inquiet. Lui, il n'arrivait toujours pas à parler, encore sous le choc de sa chute. Il sourit, cependant, pour leur signaler que tout allait bien. Un sourire sincère, un sourire qu'il allait porter souvent, désormais.


Aller un peu d'effort ! Le souffle court, la sueur perlant sur son visage, Erwin regarde sa sœur qui se tenait fièrement devant lui. J'en peux plus Rayna… Il ne voulait pas baisser les bras, ce n'était pas comme ça que les Belikov voyaient la vie. Cela faisait plusieurs heures qu'ils s’entraînaient et le petit dernier n'en pouvait plus. Sa grande sœur, elle, n'avait pas l'air d'être atteinte par l'effort intense qu'ils étaient en train de fournir. Elle enjamba la distance qui la séparait de son petit frère à une allure folle. Il l'admirait beaucoup, sa sœur. Elle était forte, puissante et inébranlable. Elle était sa meilleure amie, sa confidente, et il ne voulait pas la décevoir. Rayna posa une main délicate sur le visage de son jeune frère, comme une mère ferait avec son enfant. Si tu veux qu'on arrête, dis le moi. Oui il voulait arrêter l’entraînement. Oui il voulait s'allonger dans l'herbe et attendre que le temps passe. Non il ne pouvait pas le faire. Il devait repousser ses limites, comme un bon soldat. D'un geste brusque il s'empare de la main de la jeune femme et la fait basculer sur le sol. Courte victoire, triomphe éphémère. En un souffle Rayna reprend l'avantage et surplombe le petit de tout son poids. Au moins il aura essayé. Ça suffit. Cette voix provenait de derrière eux. Il ne l'avait pas vu s'approcher, sa mère. Elle s'était faite aussi discrète qu'une brise d'été. Elle s'approche, calmement, et relève Erwin dans un mouvement plein de tendresse. Elle l'aimait, son fils. Elle aimait tous ses enfants, bien sûr, mais peut-être lui un peu plus. Sans accorder un regard à Rayna elle emmène Erwin au loin. Lui, il aurait voulu rester avec sa sœur, alors il la regarde tristement, un sourire désolé pendant à ses lèvres. Ce n'était pas la première fois que la mère Belikov coupait leur entraînement de la sorte. Elle ne le faisait pas exprès, très certainement, mais cela avait le don de l’irriter. Je peux marcher tout seul tu sais. Il se défit de l'emprise de sa mère et cela sembla arracher le cœur de la matriarche. Elle ne voulait pas le voir grandir le petit, son petit. Son entrée dans l'armée de l'air était imminente et elle ne voulait pas le laisser partir. Je sais mon garçon. Sa voix était remplie de tristesse, de mélancolie. Erwin ne voulait pas la blesser, sa mère. Alors il sortit son plus beau sourire, ce sourire qu'elle aimait tant, s'empara de son bras. S'il pouvait lui faire plaisir encore un peu, il le ferait.


Doucement. Les trois compères avançaient discrètement le long du grand mur de pierre. Rayna menait la marche, Erwin et Leoni la suivaient docilement. Il n'était pas rare de voir les trois enfants de l'air ensemble. Inséparables, ils avaient très vite soudé un lien entre eux. Rayna et Erwin étaient déjà très proches, et Leoni s'était intégré à cette dynamique comme si elle faisait partie de la même famille. Accroupis et silencieux, ils lançaient des regards plein de malices de l'autre côté de la muraille. Ils allaient faire un mauvais, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Erwin fermait la marche. Il regardait avec admiration les deux jeunes filles soulever des pierres grâce à leur pouvoir. Lui, il devait faire diversion. Dès qu'il reçut le signal de Rayna, le jeune Belikov sortit de sa cachette et s'avança vers les deux hommes qui discutaient tranquillement, de l'autre côté du mur. Excusez-moi, j'me suis un peu perdu. Alors que le garçon au visage d'ange leur faisait la conversation, les deux autres avançaient à pas de loup. Boum. Un cri de surprise. Erwin n'attendit pas son reste. Dès que les cailloux touchèrent le crane des deux hommes, il avait pris ses jambes à son cou.

A bout de souffle, Erwin souriait. Il attendit Rayna et Leoni qui ne mirent pas beaucoup de temps à arriver. Un seul regard suffit pour que les trois éclatent de rire. Un rire sincère. Un rire qui vient du fond du coeur. Ils s'étalent sur l'herbe, la respiration encore saccadée, et continuent de rire. Erwin ne voulait pas que ce moment s'arrête. Il ne voulait pas retomber dans l'ignorance. Avec sa sœur et son amie, il se sentait vivant, plus vivant que jamais. Son rire se perd dans le vent et il regarde les deux filles. Un regard plein de tendresse. Un regard plein de mélancolie. Promettez-moi qu'on ne changera pas. Sa voix était grave, plus grave qu'il ne l'aurait voulu. Il ne voulait pas plomber l'ambiance, mais c'était plus fort que lui. Il avait peur de perdre cette relation, ce trio, ses amis. Il avait peur de se retrouver seul, un jour. Comme seule réponse, Rayna lui prit la main. Leoni fit de même. Ils n'avaient pas besoin de mots pour communiquer. Un geste suffisait. Et ce geste avait suffit à lui redonner le sourire, à soulever son inquiétude. Il ne savait pas encore de quoi demain serait fait, mais il savait qu'il ne serait pas seul. Oui, il en était persuadé.


C'est tout ce que tu peux faire ? Le rire malsain de son cousin remplir l'air et vient percuter ses oreilles de plein fouet. Erwin se tient le ventre, à bout de souffle. Cela fait plusieurs jours qu'il perd face à Antwan. Cela fait plusieurs jours qu'une rage incommensurable macère au fond de ses entrailles. Il n'en peut plus, de son sourire suffisant. Le petit Belikov dévisage son cousin avec un regard noir, trop noir peut-être. Erwin ne répondait plus vraiment de ses mouvements. La rage le consumait et l'aveuglait à lui faire perdre la raison. Alors cousin ? Il ne pouvait s'empêcher de jubiler, Antwan. Il faisait ça pour le provoquer, Erwin en avait conscience, mais cela fonctionnait à chaque fois. Ferme là, ce n'est pas encore fini. Bien sûr que c'était terminé. Erwin n'avait aucune chance de l'emporter, il le savait au fond, il ne voulait simplement pas se rendre à l'évidence. Sa fierté prenait le dessus. Il n'était pas un Belikov pour rien. Rends toi, ça ne sert à rien. Tu te ridiculise. Non il n'était pas prêt de se rendre. La foule s'était amassée autour des deux combattants, mais Erwin ne voyait que le sourire qu'affichait son cousin. Ce fichu sourire. Dans une dernière attaque mené par la rage, il fondit sur Antwan. Coup après coup, frappe après frappe, sa vision se troublait. Antwan avait le don de lui faire perdre ses moyens. Il esquivait tout, ce con. Et Erwin frappait dans le vide. Puis il percuta les pavés froids. Il avait perdu, encore une fois. Le sang qui coulait de son front blessé se mélangeait à ses larmes de rage. Pourquoi. Pourquoi n'y arrivait-il pas ? Ils avaient pourtant subis les mêmes entraînements. Je t'avais prévenu d'abandonner tant qu'il était temps. Un sourire de trop. La goutte qui fait déborder le vase. Antwan se retourne, fait face à la foule, comme un conquérant.

Sa vision se brouille.
Son poing sert la lance qui se trouve à ses côtés.  
La pointe en métal s'enfonce dans le mollet d'Antwan.
Il y a du sang.
Beaucoup trop de sang.
Les voix s'élèvent mais paraissent lointaines.
Antwan s'effondre.
Erwin lâche l'arme qui fracasse le sol.

Il n'était pas allé voir son cousin, Erwin. Se sentait-il coupable ? Un peu. Personne n'avait clairement vu ce qu'il avait fait. Personne n'avait croisé son regard plein d'intention. Il n'avait eu aucun mal à faire passer ça pour un accident. Il s'était presque convaincu lui-même. Mais non, ce n'était pas un accident. Oui il avait voulu le faire taire. Oui il avait voulu transpercer la jambe d'Antwan. Il ne voulait simplement pas perdre encore une fois.

Il ne perdrait certainement plus jamais face à son cousin.


On lui avait annoncé un beau matin. On lui avait annoncé comme si on lui proposait un verre d'eau, au détour d'une conversation. Il n'y avait pas prêté attention, au départ. Il n'avait pas très bien saisie à vrai dire. Mais quand son esprit eu enfin digéré l'information, il avait manqué de s'étouffer. On ne lui avait pas laissé de choix. A lui comme à elle d'ailleurs.

Le soleil de l'après-midi irradiait la pièce. Erwin boutonnait et déboutonnait nerveusement le dernier bouton de sa chemise. Leoni était à ses côtés. Il pouvait sentir son odeur, sa présence, mais n'osait pas la regarder. Le petit Belikov se sentait terriblement gêné. Comme si il ne la connaissait pas, comme si il se tenait à côté d'une parfaite inconnue. Il se sentait con de réagir de la sorte. Parce que Leoni il la connaissait très bien, trop bien même. Alors pourquoi ne pouvait-il pas la regarder dans les yeux ? Pourquoi devait-il être si distant, si froid ? La cérémonie ne fut pas longue, ce n'était que des fiançailles après tout, pas un mariage. Les invités se dirigeaient déjà vers la sortie mais lui il restait planté là. Ses jambes ne voulaient pas bouger. La jeune Vasara était toujours là elle aussi, à attendre. Attendre quoi ? Il savait que c'était à lui de faire un pas, de donner l'exemple. De faire quelque chose, n'importe quoi. L'atmosphère autour des deux jeunes fiancés était lourde, pesante. Petit à petit la salle se vide, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'eux, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent seuls. Il ne voulait pas se retrouver seul avec elle, pas tout de suite. Erwin n'avait pas vraiment eu l'occasion de la voir entre l'annonce et la réception. Il n'avait pas eu l'occasion de lui dire que tout allait bien se passer. Il aurait voulu la rassurer, mais il ne savait même pas si elle avait peur, Leoni. Lui avait peur. Peur que cette union ne change leur relation. Peur de perdre son amie. Il se sentait encore plus con de penser ça. Ils avaient de la chance, eux. De la chance d'être unis à quelqu'un qu'ils portaient dans leurs cœurs. Il y avait pire destin, bien pire. Il sentit du mouvement sur sa gauche. Le temps d'attente avait été trop long. Elle partait, sans dire mot, sans se retourner. Il avait trop attendu pour réagir et elle en avait eu assez. Leoni, attend. Il lui saisi le bras, la retourne. Ses iris se perdent dans les siennes alors qu'il approche son visage du sien. Leurs lèvres se touchent, quelques secondes pas plus. Il avait espéré ressentir quelque chose. Une étincelle dans son estomac, des papillons dans son ventre. Rien. Rien du tout. Il se recule un peu, pour lui laisser de l'espace. Avant qu'elle ne puisse dire quelque chose, il sourit. Ce sourire qu'il savait si bien faire. Il lui sourit pour lui dire que tout allait bien se passer, qu'ils allaient s'en sortir, que cela n'était pas la fin de leur amitié. Qu'ils n'allaient pas se perdre, tout simplement. Ils étaient liés, désormais. Mais ils étaient déjà liés auparavant. Rien n'avait changé. Ils avaient simplement un bout d'argent autour du doigt en plus, c'est tout.