Grand salon

Les rires fusaient, les mots s'entrechoquaient, les regards pétillaient dans un pêle-mêle bruyant. Le repas avait pris fin depuis quelques temps, tandis que les êtres discutaient dans le grand salon qui les avait accueillis. Mais le brun restait taiseux, observant les visages, les comportements, dans un silence presque religieux. Il n'était pas spécialement dans son élément au milieu de cette marée de gens qu'il ne connaissait pas plus que ça. Et pourtant, il était bien là le Sorensen, à écouter les discussions. Parce qu'on lui avait demandé, parce qu'on voulait créer de nouvelles alliances. Et sa curiosité avait cédé, son envie d'en apprendre plus avait pris le dessus. Allégeance à Merle, peut-être, mais pour combien de temps ? Ce n'était que les traces de Mikael qu'il suivait, ses gestes qu'il essayait de reproduire. Parce qu'Anwar, quand on lui avait confié les rênes de cette religion, sans prévenir, parce que son père s'était fait assassiner, il n'avait pas eu le temps de comprendre. Il avait vécu si loin de chez lui, des préceptes de son père, et maintenant, c'était à lui de reprendre le flambeau. Parfois, il se demandait vraiment pourquoi il continuait de jouer ce rôle, pourquoi il ne partait pas, bien loin, sans toutes ces responsabilités. Et puis l'image de son paternel lui revenait en tête, et il comprenait, il se rendait compte que c'était à lui de faire ça. Au plus profond de son âme abîmée par la vie dans les bas-quartiers, il voulait devenir cet homme qu'il n'avait jamais été, il voulait incarner ce renouveau pour qu'enfin, on le reconnaisse à sa juste valeur, pour qu'enfin, il puisse faire quelque chose de bien de sa pitoyable existence sombre et violente. Et Anwar, c'était peut-être un rêveur, mais il s'en donnerait les moyens, coûte que coûte. Et pour ça, il devait apprendre les ficelles du nouveau rôle qu'il incarnait, il fallait qu'il se comporte comme cette figure paternelle qu'il avait perdue, sans pour autant la représenter trait pour trait. Il voulait du renouveau, il voulait assouvir ses propres intérêts personnels, suivre sa propre voie. À commencer par choisir ses propres alliés.

Et son alliance à lui, elle se trouvait en face, avec sa longue crinière et ses yeux sombres qui semblaient le transpercer dès qu'ils se posaient sur lui. Il ne savait pas vraiment comment se comporter avec la belle, parce qu'il ne connaissait rien d'elle. Elle était un mystère qu'il n'avait pas encore résolu. Fiancés, par un accord avec Rita Kimora, probablement annonciateur d'une autre alliance, bien plus importante. Peut-être était-elle un pas vers la Water Nation's Pride, vers Rita. Mais bien plus que cela, elle était un défi qu'il voulait remporter, un jeu qu'il ne voulait pas perdre. Parce qu'il savait pertinemment, et malgré la toxique présence de la Vasara au creux de son myocarde, qu'elle lui plaisait la Kimora. Elle était sauvage, elle était brutale, elle était colère. Elle était beaucoup de choses qu'Anwar appréciait. Et pourtant, il ne voulait pas se laisser aller, il ne voulait pas se faire avoir. Ferait-il le premier pas ? Probablement pas, du moins, pas pour le moment. Il voulait la victoire dans ce jeu de tensions et de regards. Il voulait avoir le dernier mot. Alors quand tous les invités finissent par quitter la pièce, il pose ses prunelles sur elle. D'un air mi-neutre, mi amusé, il l'observe. Elle est jolie, mais il ne le dit pas. Il pourrait l'apprécier, mais il ne le montre pas encore. Il attend, il patiente, il scrute la proie. Le salon se vide, et pourtant, elle est encore là. Ils sont seuls, et il sait qu'à cet instant, la partie commence. Être attentif à chacun des mots qu'il va prononcer, à chaque geste qu'il fera, il le sait, c'est important pour ne pas faire de faux pas. Alors il prend place sur l'un des fauteuils, les billes plantés dans celles de son interlocutrice. - Tu ne les suis pas, Veda ? Il incline la tête sur le côté, interrogateur. Ce sont pourtant ses camarades, du moins, certains. Elle était libre de le laisser ici, seul. Il n'y verrait aucun inconvénient, il n'appréciait pas toujours la compagnie. Pourtant la sienne ne le dérangeait pas, elle l'intéressait plutôt. - Ne te sens pas obligée de rester ici… Il sourit, s'enfonçant dans le fauteuil, sans la quitter des yeux. - Pas que je n'apprécie pas ta compagnie, au contraire. Je ne veux seulement pas déranger. finit-il par ajouter, l'air innocent, tandis que la lueur dans ses yeux, elle, n'avait rien d'innocent.