Il avance d'un pas décidé, le petit Belikov. Il a fait tout ce chemin pour le voir lui, son frère. Il a fait tout ce chemin parce qu'il avait des choses à lui dire, beaucoup de choses. Il avait vu, Erwin, il avait tout vu et le garçon avait encore du mal à appréhender la situation. Malheureusement, il ne pouvait pas se montrer indécis. Il ne pouvait pas se permettre d'entendre la version de Michail. Il devait utiliser cette information pour son bien, à lui et à personne d'autre. Les deux frères Belikov n'avaient jamais été proches. Ils n'avaient jamais partagé de rire, de tendresse, d'amusement. Mais malgré ça, Erwin ressentait un pincement au fond de son âme. Était-ce la bonne décision ? Objectivement, oui. Il le fallait, pour se protéger. Moralement ? Pas franchement. Il n'avait simplement pas d'autre choix.

Le vent soufflait abondamment sur la capitale ce matin là. Les cheveux dans le vent, Erwin avait désormais ralenti le pas. Il s'approchait de plus en plus de son but, de son frère, et une boule commençait à se former dans son estomac. Lui qui était si sûr de lui quelques heures auparavant ne l'était plus du tout. Pourquoi en arriver là ? Pourquoi avait-il dû prendre le parti de leur cousin ? Pourquoi, tout simplement. Une famille qui se déchire. Une famille tant soudée autrefois. Une famille en train d'éclater en mille morceaux. L'effervescence de la capitale était en train de s'amoindrir alors qu'Erwin s'éloignait du cœur de la ville. Michail habitait en périphérie du palais, c'était donc chez lui qu'il allait le trouver, et chez lui qu'il se rendait. Alors que les rues commençaient à devenir plus calmes, le garçon de l'air contemplait l'horizon. On dit qu'en plissant légèrement les yeux tout en fixant cette mer de nuage, on pouvait voir notre avenir. Ou tout du moins un avenir possible. Une légende qu'on racontait aux enfants, certes, mais Erwin ne pu résister à la tentation. Il entretenait un espoir, un faible espoir. L'espoir que tout finirait par s'arranger, que tout allait rentrer dans l'ordre. L'espoir qu'il n'ait pas besoin de faire du chantage à son frère aîné. L'espoir que son cousin pouvait le pardonner. L'espoir de retrouver cette sœur qu'il avait l'impression d'avoir perdu. Il plissa les yeux et se concentra sur l'horizon. Rien. Rien du tout. Juste un mal de tête qui commençait à se former. Il était con d'avoir cru à ces conneries. Le petit Belikov secoua la tête pour se remettre les idées en place. Lorsque sa vision fut revenue à la normale, il se heurta à une barrière en bois. Erwin serra les dents de toutes ses forces pour ne pas hurler de douleur et se frotta nerveusement le tibia. Il était arrivé à destination. Il était devant la demeure de Michail. Une maison se dresser devant lui, entourée de clôture. Erwin fut surpris de la simplicité de la bâtisse. Il pensait son frère plus extravagant, plus imbu de lui même. Il ouvrit le petit portail et s'avança vers la porte. Il n'avait pas prévenu de son arrivé. En même temps, vu la situation, cela aurait été plutôt délacé. On ne prévient pas quelqu'un qu'on est sur le point de faire chanter. Erwin frappe à la porte, de toutes ses forces pour être sûr d'être entendu, et attend bien sagement une réponse. Il froisse nerveusement le bas de sa chemise. C'était une de ses manies nerveuses, de s'en prendre à ses habits. Conscient que cela pouvait le trahir, il se força d'arrêter et d'afficher le plus grand des sourires à la place. Un sourire qu'il savait si bien faire. Un sourire d'habitude sincère, mais qui aujourd'hui sonnait terriblement faux. Un sourire annonciateur de mauvaise nouvelle.