Céréza, rue donnant sur la mer, après-midi

Le soleil brûlait sa peau, dardant ses rayons ardents sur chaque petite parcelle de son enveloppe charnelle. Les yeux fermés, il savourait l'instant, face à un paysage si paisible. Appuyé contre un muret qui surplombait la mer, Idriss n'était pourtant pas aussi paisible que ce qu'il avait devant les yeux. Déshérité, renié, rayé d'une descendance dont il ne fait désormais plus partie. Ce père qui ne l'avait jamais regardé, jamais remarqué, avait finalement décidé de le jeter, tout simplement. La haine l'avait secoué, la rage l'avait embrasé, et pire encore, le dégoût pour ce géniteur s'en était vu amplifié. Mais tout au fond de lui, il était blessé d'avoir encore une fois été mis de côté. On lui retirait son nom, on l'expulsait de cette famille qu'il avait toujours aimée et servie comme un bon soldat. La nouvelle avait été dure à digérer, tandis que colère et remords se mélangeaient, le rongeaient. Mais la page était tournée désormais, et un nouveau feu s'était animé en lui. Au diable Ernest, au diable ce patriarche qui n'avait pas su voir les qualités de ce fils Swanson qu'il avait sous son toit. Un jour il s'en mordrait les doigts, un jour il verrait briller ce cadet à qui il n'avait offert que des miettes d'attention, et il regretterait. Oh oui, Idriss se l'était promis, il se vengerait de cet abandon. Parce qu'aujourd'hui, on lui avait insufflé une nouvelle force, un nouvel objectif, une nouvelle envie de se battre pour une cause juste. Et cette cause, c'était Saeko, et celle à qui elle donnerait vie. Cet enfant et cette femme qu'il servirait et à qui il apporterait la vengeance d'une légitimité qu'on leur avait ôtée. Des mots, de simples phrases sorties d'une bouche désormais royale, et on les jetait elles aussi. Ça n'avait fait qu'attiser la haine du Swanson. Mais aujourd'hui, au fief Yinren, dont il portait d'ailleurs le nom, on se préparait, on recrutait. Et le temps viendra, celui de reprendre ce qui avait été volé, ce qui avait été arraché de force.

Malgré tout, et avant de pouvoir prétendre à quoi que ce soit, il fallait savoir s'appuyer sur les bons alliés, il fallait choisir les meilleures armes et surtout bannir les traîtres. Et sur cela, le Yinren était extrêmement méfiant, peut-être même trop. Mais il ne pouvait pas se permettre de laisser passer quoi que ce soit. Faire entrer le loup dans la bergerie ne leur apporterait rien de bon, et tomber avant d'avoir pu faire quoi que ce soit n'était pas une option, loin de là. Alors il scrutait, il jaugeait, il épiait. Rien n'était laissé au hasard, et chaque nouvelle tête était passée au crible. Le mouvement qu'il avait mis sur pieds et qu'il soutenait était bien trop important à ses yeux pour que tout s'écroule sur une petite erreur d'appréciation, de jugement. Et pour Saeko, il se devait d'être des plus vigilants, il se devait de la protéger. N'était-il pas là pour ça ? Veiller sur elle, préserver sa santé, éloigner les menaces. Pour le meilleur et pour le pire, n'est-ce pas ? Et même si certains n'appréciait pas cette suspicion qu'il ressentait pour la plupart de ceux qu'il ne connaissait pas vraiment, il faudrait s'y habituer. Parce qu'il ne relâcherait jamais sa vigilance, il ne cesserait de douter de ceux qui les rejoindrait, même s'ils se disaient "ami", ou "alliés". Il était l'ombre planant dans le pas de Saeko, celui qui veillerait à ce que rien ne lui arrive, sans qu'elle ne sache, sans qu'elle ne s'en aperçoive. Il avait d'ailleurs entendu parler d'une potentielle intéressée, et on lui avait fait savoir qu'elle pourrait peut-être lui être utile. Une certaine Zarha Collins, provenant apparemment des terres d'Eartanera. Instinctivement, il n'avait pas eu confiance. Il ne savait pas vraiment d'où elle venait, ce qu'elle faisait et surtout, il n'avait pas spécialement d'alliés dans ce coin-là. Il était donc plus que nécessaire de mettre les choses au clair, et de savoir ce qui se cachait derrière les motivations de cette mystérieuse inconnue. Qu'elle le veuille ou non, il la percerait bientôt à jour.

Il attend donc, tapotant de ses dix doigts la pierre sur laquelle il prend appui. Elle ne devrait plus tarder, et il serait plus sage de ne pas le faire attendre. Elle se devait de donner une bonne image, histoire de ne pas accentuer les doutes qu'il nourrissait déjà à son égard. Fidèle protecteur d'une âme pour qui il a tout donné, il était prêt à tout pour la défendre. Il entend finalement des pas qui se rapprochent, et il se crispe, prêt à toutes les éventualités. Son feu n'était jamais loin. Sans se retourner, il patiente, à cran. Puis après quelques secondes et en un froissement de vêtements, il finit par se tourner rapidement pour dévisager cette fameuse demoiselle qui lui fait face. Il plisse les yeux, inclinant légèrement la tête. Laissant planer quelques secondes, la jaugeant sans réellement se cacher, il finit par faire quelques pas, laissant malgré tout une certaine distance de sécurité entre eux. - Zarha Collins mmh, c'est bien ça ? Il hausse un sourcil inquisiteur, la première question n'était pas vraiment difficile après tout. Mais oui, lui savait des choses sur elle, évidemment. - Pardonne mes manières, je t'ai fait venir sans pour autant t'en dévoiler la raison. Il était poli, bien trop poli. Réel contraste avec cette suspicion qu'il ressentait à l'instant présent, pour celle qu'il dévisageait bien trop. - En réalité, je vais te dire, j'ai entendu des choses, récolté de nombreuses informations, et je n'ai clairement pas confiance. La sentence était tombée, il venait simplement d'énoncer les doutes qui grandissaient en lui. Elle saurait au moins à quoi se tenir, il préférait être franc quoi qu'il arrive. - Ne le prend pas personnellement, je ressens la même chose pour la plupart des inconnus qui titillent mon intérêt. Seulement voilà, je ne sais pas réellement d'où tu viens, ce que tu faisais auparavant, ce que tu veux. Il croisa les bras, la regardant d'un air sceptique. - Qui es-tu, et pourquoi es-tu là ? Le regard tranchant, il voulait des réponses, la vérité. Il ne serait satisfait qu'après les avoir obtenues, et il pourrait ainsi aviser. La laisser tranquille ou bien agir.