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Je passe la main sur mon ventre. Plat, mais destiné à s'arrondir. Je suis seule dans mon immense chambre du palais, alors que la soignante vient de sortir en m'annonçant la nouvelle. Je fixe mon reflet dans le miroir, impassible. Je ne pleure plus. En réalité, je ne ressens plus rien depuis des mois. A-t-on remplacé mon coeur par celui d'un vulgaire robot aux artères métalliques ? Je suis trop jeune pour avoir connu tant de malheurs et je devrais me réjouir de me savoir future mère. Pourtant, je ne sais pas comment réagir. Je ne suis mariée que depuis quelques semaines et je ne connais pas très bien celui qui partage désormais ma vie. Je suis bousculée, jetée dans un tourbillon d'alliances, complots, nouvelles familles régnentes. La princesse des flammes n'existe plus. On cherche à étouffer les dernières étincelles de mon nom. Je reste ainsi plusieurs minutes, ce qui me semble même des heures lorsque Camilla entre dans la chambre. Elle passe sa tête par le cadre de porte et m'observe. Je la vois apparaître dans le reflet de mon miroir mais je ne dis rien. Il s'invite d'elle-même. Après tout, elle sera la future impératrice, elle peut bien faire ce qu'elle veut. Moi, tout ce qui m'importe c'est la protéger. Elle s'avance et s'asseoit à mes côtés. Elle est brillante ma cadette, elle a certainement compris la raison de mon silence obstiné. Je ne suis plus là même depuis le... renversement des pouvoirs. Je ne parle plus beaucoup, je ne mange pratiquement rien, j'ai arrêté de danser et même de lire. Mes passions ne m'animent plus comme elles le faisaient avant. Ils ont tué mon innocence avec le reste des membres de notre famille. Camilla est plus vindicative que moi mais nous avons au moins l'une et l'autre. Ils comprendront bien vite qu'il vaut mieux nous séparer, pour mieux régner sur le trône qu'ils nous ont volé...

Mes pas font échos dans les couloirs vides du palais. Voilà des semaines que je suis seule. Abandonnée, laissée pour compte. L'époux et nos deux garçons sont retournés à la capitale sous ordre des usurpateurs. J'eus beau supplier Ernest de me laisser les accompagner, il avait refusé. Il sait que ma soeur me manque... Il sait que je désire la voir et qu'une simple correspondance ne me suffit pas. Pense-t-il que mon désespoir, ma solitude feront de moi l'épouse modèle qu'il s'imagine mériter ? Oh, comme il se trompe. Les servants sont habitués de me voir errer ainsi dans ce palais loin du monde. Ils ne viennent pas me déranger, sachant que ce serait la pire des idées. Pourtant, l'un d'eux s'aventure vers moi et m'interpelle pour m'annoncer que le retour de mon mari et mes fils est imminent. Sans un mot, je fais signe au servant de me laisser seule. Si je suis impatiente de voir mes enfants, c'est une autre histoire au regard de celui qui partage ma vie, mon lit et qui m'a enchaîné à son nom. Je me dirige vers le grand hall aux décorations dorées et reste immobile, telle une statue de plus. Les mains croisées dans mon dos, je garde le dos droit. Les minutes s'écoulent et finalement, les grandes portes s'ouvrent eux. Ernest m'observe, silencieux, son regard posé sur moi. Les garçons ne disent rien non plus. Je vois ce qui se passe. Mes fils arrachés à l'enfance normale. Modelés en de parfaits petits soldats par leur père. J'ai envie d'aller les serrer dans mes bras, leur montrer qu'ils m'ont manqué. Mais je ne fais rien. Leur montrer mon affection ne ferait que donner une arme contre moi à Ernest. Alors, je reste de marbre et les salue poliment. Les servants invitent les enfants à aller à leur chambre pour se reposer de ce long voyage alors que je reste aux côtés de l'époux et l'accompagne jusqu'à notre salon privé où l'attend un siège. Même en sa présence, je suis seule...

Regard sombre posé sur le tombeau qui acceuillera bientôt la dépouille de ma soeur. Dans son repos éternel, Camilla semble si paisible. Presque douce. Je regarde son visage livide alors qu'on referme la porte de cette prison macabre sur elle. Camilla, s'était la dernière famille qui me restait. Maintenant, je suis l'unique descendante Foshan foulant encore cette Terre. Quand mon cadet, mes parents et cousins a été massacré, la surprise et violence de la trahison m'avait laissée figée. L'ineptie me paralysant alors à l'époque. Je n'étais qu'une adolescente après tout. Mais aujourd'hui, je ne suis plus l'enfant innocente qu'ils ont tenté de modeler. Camilla a été assassinée, comme toute ma famille avant elle. Je ne resterai pas impassible. Je brûle, je m'enflamme. Depuis trop d'années, on m'a tout pris en pensant qu'il n'y aura pas de conséquences. Il n'est pas trop tard pour venger la mémoire des miens. Pas trop tard pour prouver que les Foshan les hanteront à jamais. Aucune larme ne glisse sur mes joues au moment du dernier aurevoir à ma cadette. Les funérailles se terminent lentement mais je suis l'une des dernières âmes encore présente devant le tombeau. Je suis triste, brisée mais c'est un regard noir qui voile mes iris d'un bleu glacial. Regard affamé d'une vengeance qui a trop longtemps attendu. Je sens le regard de mon adiutor dans mon dos, et cela m'agace. Je n'ai jamais voulu de cette présence de trop dans ma vie. Sa protection, je n'en veux pas. Puisque je sais qu'elle vient à un prix. Celui d'être constamment surveillée et je ne peux malheureusement pas me débarrasser comme je le ferais avec n'importe qui. Nos âmes sont liées. Si elle périt, je mourrai aussi. Ironie du sort. À ce moment de quitter les funérailles de ma soeur, je ne me doute pas que le Destin finira par le sourire. Une maladie destinée à nous affabilir frappera, mais ce sera une délivrance.