Ses prunelles se perdent dans l'horizon. Dans le ciel qui semble retenir son souffle. Bercée par les cris qui brisent le silence. Les secondes s'étirent lentement, comme conscientes du drame qui se dessine. Ou peut-être est-ce tout simplement le coeur de la gamine qui souffre. Peut-être est-ce son être qui hurle tout bas son agonie. Son inquiétude. Toute sa colère pour ceux qui vont bientôt répudier le frère et bénir sa soeur. Pour des fanatiques qui cherchent à expliquer l'impossible. Pour ces fous qui déversent leur poison. Hestia se détourne de la vision de l'avenir qui s'offre à Aksana. Elle n'a pas été au Vertice aujourd'hui. Parce qu'elle a senti les ténèbres s'étirer autour d'elle. Parce qu'une main glacée s'est emparée de son palpitant fébrile. Parce qu'elle a senti, au plus profond de son être, un danger. Instinct maudit ou cadeau des dieux. La belle ne peut se débarrasser du profond malaise qui s'est emparé d'elle. Des ombres ont terni l'éclat de ses iris et son sourire a disparu, remplacé par une expression grave. Les yeux clos, ses doigts se referment contre ses paumes. Ses ongles percent l'épiderme pâle dont surgit les hémoglobines carmin. Elle tente de calmer sa respiration, Hestia. Elle sent déjà les étincelles courir sur sa peau. Elle tente de se convaincre que seul le feu règne en maître. Que seules les flammes courent dans ses veines. Mais il y a autre chose au creux de ses entrailles. Autre chose qui se libère dès que la moindre émotion devient trop forte. Les éclairs expriment alors tout ce qu'elle veut taire. Elle ne sait pas combien de temps s'écoule avant que le grondement entre ses côtes ne se tarisse. Un soupir s'échappe de ses lippes mécontentes. Elle déteste ce sentiment. La puissance qui l'envahit et la peur qui l'empêche de tout détruire sur son passage. La perte de contrôle sur son propre pouvoir qui lui a arraché un rire jouissif la première fois que les éclairs se sont manifestés. Les dents serrées, Hestia se laisse doucement glisser contre un fauteuil. Son regard se pose sur le cadeau de son fiancé qui orne sa main. Un présent pour leur future union. Un rire amer étire ses lèvres. Elle ne reconnaît plus sa vie, la Grimsrud. Le reflet qu'elle aperçoit dans le miroir n'est plus qu'une inconnue. Elle est bien loin la gamine rebelle qui rêvait de liberté et d'indépendance. La voilà attachée au palais et à un futur époux. Sans même le savoir, c'est en voulant se battre pour un monde plus juste qu'elle a tout perdu. Hestia ne peut que baisser l'échine pour tenter de recouvrer une parcelle de son ancienne existence. De ce passé où elle était respectée et non vue comme une paria dont on se méfie. Et puis il y a Nathan. Nathan qui s'est éloigné. Nathan qu'elle a commencé à détester pour l'avoir fait sortir de prison en sacrifiant une autre. Peut-être pour se punir elle-même. Nathan qui a pris le nom de sa femme. Une pression s'agite près de ses côtes. Le palpitant proteste mais subit en silence la douleur qui s'éveille à cette pensée. Elle se cache, Hestia. Comme une lâche. Parce que c'est plus facile d'ignorer la réalité que de se confronter à sa vérité. Elle essaie de ne pas penser au feu bleu qui est apparu dans les mains de son frère. Ni au mariage avec Isaure. Elle tente de toutes ses forces d'annihiler Nathan de son esprit mais il n'est jamais bien loin. Une main s'abat contre sa porte. La porte se referme derrière une silhouette bien trop familière. Une ombre qu'elle ne s'attend pas à voir. Elle en a presque le souffle coupé. « Have you been to the Vertice today? » Ses yeux se plissent à cette question. Hestia se doute bien que quelque chose s'est produit. Personne ne comprend la raison de ces pouvoirs. Tout le monde en cherche la cause. Sans un mot, elle observe son double s'installer en face d'elle. L'éclat de l'or qui brille sur sa main ne manque pas d'attirer l'attention de la Grimsrud. Une attention qu'elle refuse d'accepter. Hestia ne quitte pas le regard de son frère. Un regard identique qui s'égare trop longtemps dans les plis de sa robe. La rage brûle alors dans ses veines. Le souvenir d'un baiser volé ne fait qu'attiser le feu qui menace de tout ravager. Elle en oublie presque le Vertice, Hestia. « If not, it appears that you were blessed with your lightening and so was my wife. » Femme. Un mot qu'elle vit comme une insulte. Comme une claque. Cela ne fait que renforcer la myriade d'émotions qui convergent en son coeur. Les étincelles crépitent dangereusement autour de la jeune femme qui se lève sans plus de cérémonie. La proximité avec son frère est presque insupportable. L'attirance que son regard a provoqué en elle provoque une réaction contraire. La notion du bien et de la morale affronte le désir interdit et impossible. La provocation s'empare de la gamine. « Tu devrais plutôt aller en informer ta femme plutôt que de venir voir sa dame de compagnie. » Dame de compagnie et pas soeur. Un choix totalement assumé. Comme pour lui signifier la distance qui s'est installée. Comme pour montrer le vide qui les a séparé. Hestia hausse les épaules avec un air mutin. Elle n'ose pas lui en demander plus sur ce qui s'est passé à Vertice. La hargne de la populace n'a fait que confirmer son appréhension. Elle passe ses doigts sous la bretelle de sa robe et la laisse tomber contre son épaule. Nouvelle provocation destinée à torturer Nathan et à le faire partir. Petit jeu cruel qu'elle lance sous l'effet de toutes les émotions qui malmènent sa poitrine. Bientôt, la deuxième bretelle tombe à son tour tandis qu'elle disparaît dans sa chambre en contact direct avec le salon où son frère se trouve. « Tu devrais la rejoindre. Je vais sûrement rejoindre Cal ou Rhaegar après avoir revêtu une tenue plus correcte. » A ces mots, le tissu glisse au sol, ne laissant la jeune femme qu'en sous-vêtements. Un sourire mauvais étire ses lippes. La harpie veut se venger. Elle veut extirper toute la culpabilité de son être. Tout le mal qui la ronge. Elle lui en veut un peu à Nate. Pour son mariage. Pour ce qui se passe entre eux. Sa silhouette passe devant la porte ouverte, consciente que Nate ne manquerait pas de la voir. Ses boucles blondes remuent dans son dos tandis qu'elle atteint l'armoire. Elle fait courir une tunique en soie autour de son corps avant de regagner le pas de la porte. Le tissu couvre à peine son corps à moitié voilé. « Va-t-en Nate. » Un air de défi brille dans son regard tandis que la moquerie s'affiche sur son sourire. La divine se moque. La sirène l'observe, consciente d'attiser le feu. Elle veut rendre son départ inévitable plus difficile. A force de vouloir les punir de leurs sentiments, elle ne fait que renforcer la passion qui couve.

Elle enrage, Hestia. Pour des raisons futiles. Pour cet anneau qui brille à son annulaire. Elle enrage pour rien aux yeux des autres. Elle ne fait que son enfant gâté. La fille Grimsrud au sale caractère. Hestia se fout bien de savoir ce que pensent les autres. Elle a déjà suffisamment de peine à gérer ses propres émotions pour s'occuper de son entourage. Elle n'a pas à donner de raison à son comportement. Pas d'excuse pou agir ainsi avec Nathan. Hestia ne veut pas y penser. Elle ne veut pas effleurer les véritables causes de son mal être. Elle en a trop peur. Elle les craint les ombres qui glissent dans ses pensées. Les murmures qui ne veulent pas se taire. Son palpitant qu'elle fait taire comme tout le reste. Parce qu'elle ne peut pas. Parce qu'elle n'en a pas le droit. Parce que ce n'est pas bien. Les dents serrées, elle sait pourtant qu'elle joue à un jeu dangereux. Qu'elle provoque son frère d'une mauvaise façon. Un frère et une soeur ne peuvent pas se taquiner ainsi. Elle ne peut pas s'en empêcher, Hestia. C'est juste plus fort qu'elle. Elle ne peut pas lutter contre la rage qui s'immisce en elle à chaque fois qu'elle voit Nathan. Cela ne fait que lui rappeler ce qu'elle ne peut pas avoir. Le souvenir encore vivant de leur baiser la poursuit quotidiennement. Ses lèvres l'insupportent parce qu'elle se souvient de leur douceur, de leur chaleur. Son alliance l'écoeure parce qu'elle sait qu'il n'est plus à elle désormais. Ce n'est plus Hestia et Nathan. Et ça lui crève le coeur. Elle a toujours su que ça arriverait. Qu'un jour ou l'autre ils s'éloigneraient. Hestia ne s'attendait juste pas à avoir tant de mal à le vivre. « Ma femme en sera informée assez tôt, par son frère ou peu importe qui s’occupe des Oshun de sang. » Elle reste silencieuse, Hestia. Elle médite sur chacun de ses mots. Elle fronce légèrement les sourcils quand il évoque sa femme. Elle ne relève pas l'insistance qu'il met sur le sang. Il ne va pas l'amadouer si facilement. La harpie se fait sirène. La beauté crache son poison. Elle évoque Cal et Rhaegar pour le faire partir. Parce que rien de tout cela n'est sain. « Je n’ai pas fini. » Elle serre un peu plus fort les dents, Hestia. Ses prunelles l'observent avec appréhension tandis qu'il s'approche d'elle. Trop près. Ou pas assez. La Grimsrud préfère ne pas y penser. Elle sent son souffle contre sa peau mais ce sont ses yeux qu'elle fixe avec toute la concentration dont elle est capable. « Cal et Rhaegar n’ont pas de temps pour toi maintenant, pas avec ce qu’il s’est passé au Vertice, où tu n’étais pas. » Elle hausse les épaules, comme une gamine. Cela ne l'a pas intéressé d'entendre parler des religieux pendant des heures. Elle a préféré éviter l'ennui total du Vertice pour rester dans ses appartements. A croire qu'elle a bien eu raison de le faire. Hestia détourne légèrement les yeux en sentant l'inquiétude monter en elle. Une main s'empare néanmoins de son menton. Contrainte de lever les yeux vers les iris similaires aux siens de son frère, Hestia reste mutique. « Ceux qui ont perdu leur élément sont des mutants, et les Sept appellent au génocide. » Le choc se reflète sur les traits de la Grimsrud. Elle ne peut pas le cacher à Nathan. Pas à son frère. Même avec tous les efforts du monde, elle ne parvient pas non plus à dissimuler sa terreur. Son inquiétude pour lui. Nathan a eu le feu bleu. Hestia écarquille un peu plus les yeux quand elle réalise. Il est considéré comme un mutant. Comme une erreur. Comme une cible. Il s'éloigne et cela lui est insupportable. La seule perpective de sa mort est bien pire que son mariage à Isaure. Marié, elle peut au moins le faire sourire, sentir sa chaleur contre elle. Mais sans lui. Sans lui elle perdrait une partie de son âme, de son être. Il est son double. Son âme soeur. Le seul qui la comprend. Le seul qui a tout partagé avec elle. Quelque chose cède en elle. La colère et la rancoeur s'évanouissent pour laisser place à la peur. Elle se laisse dominer par ses sentiments. Son besoin de le protéger. Elle oublie sa tenue. Elle oublie ce qu'elle ressentait peu avant. Elle craint pour la vie de Nathan et c'est tout ce qui compte. Ses doigts viennent trouver le bras de son frère. Ses doigts s'agrippent au tissu. « Ceux qui ont hérité d’un don supplémentaire sont bénis, protégés par les dieux, ou peu importe quelle autre connerie les Sacerdos ont inventés.. » Un non silencieux se forme sur ses lippes. C'est ridicule et ils le savent tous deux. Le feu bleu est aussi impressionnant que les éclairs qu'elle peut désormais faire apparaître. Les flammes restent des flammes, qu'elles soient oranges ou bleues. « S'ils osent te toucher. Si jamais il osent, ils se rendront bien compte que mes éclairs bénis ne les épargneront pas. » Ses doigts se resserrent davantage contre le tissu de sa manche. Hestia est prête à mettre le monde à feu et à sang pour son frère. Même si elle s'en est éloignée. Même si c'est devenu compliqué. La réalité la rattrape doucement et son emprise se relâche alors qu'elle se rend compte de sa nouvelle proximité avec Nathan. « C'est une promesse, crois-moi. » Malgré tout ce qui pourra se passer. Malgré la distance qui s'est instaurée. Malgré les conséquences que son geste pourra avoir. Si jamais son frère était répudié, blessé ou tué, Hestia allait déchaîner ses éclairs contre les responsables. Qu'importe si elle doit rejoindre son frère dans la tombe. Une vie sans lui n'est pas envisageable. La Grimsrud croise les bras, consciente de sa tenue des plus légères. Les pensées se bousculent tandis qu'elle laisse ses prunelles dériver dans ses appartements. « Tu penses qu'ils pourraient te vouloir du mal ? » Elle n'a pas besoin de mettre de noms. Il sait très bien qu'elle parle des Oshun. Cal. Isaure. Vont-ils accepter un mutant dans leurs rangs ? Vont-ils essayer de lui faire du mal ? Hestia tremble presque à cette idée. Parce qu'elle se rangerait toujours du côté de Nathan. Toujours.