A travers la porte, Hyppolite entendit distinctement sa sœur aînée soupirer. Non pas que cela le surprenne, sa relation avec Lula n’étant pas franchement au beau fixe, mais il se sentit néanmoins irrité et un peu triste aussi. Surtout triste en fait. Il n’était pas d’humeur à se battre avec sa sœur. Il était las des conflits, las de se brouiller avec les membres restants de sa famille. Ils avaient déjà perdus un frère, une sœur, un père… Fallait-il vraiment qu’ils se perdent l’un l’autre également ? Durant un instant, Hyppolite eut peur que sa sœur ouvre la porte uniquement pour le congédier. A moins qu’elle ne daigne même pas se présenter devant lui, préférant le refouler sans se donner la peine de le regarder en face. Hyppolite porta une main à sa bouche, prêt à fourrer son pouce dans sa bouche pour s’en mordiller l’ongle. Une sale habitude qui avait réussi à lui passer durant l’enfance et qui revenait de plus belle depuis quelques temps. Alors qu’il portait sa main à ses lèvres, Lula ouvrit la porte et il laissa retomber son bras le long de son corps. « Qu’est-ce que tu veux Hyppolite ? » Sa sœur avait croisé sur ses bras sur sa poitrine, adoptant une posture pour le moins éloquente. Tout dans la gestuelle l’expression et le ton adopté par sa sœur laissait clairement entendre que la perspective d’une conversation avec lui ne la réjouissait guère. Hyppolite n’en était pas surpris le moins du monde bien sûr, mais la situation n’en était pas moins crispante pour autant. Ce climat de tension l’exténuait vraiment. Lula le fusillait du regard, comme pour le défier et Hyppolite dut se retenir de baisser la tête. A la place, il demeura droit, se confrontant de plein fouet à sa sœur. Son expression faciale à lui n’avait rien de fermé ou de furieux. La lassitude et la fatigue se lisaient sur ses traits, creusant sa peau ternie, alors qu’il s’efforçait en vain de faire un pas vers sa grande sœur. Hyppolite demeura un petit moment silencieux. Il cherchait ses mots, les mots qui retiendraient sa sœur de lui claquer la porte au nez. Il marchait sur des œufs, perspective franchement inquiétante à ses yeux. Il ne parvenait pas à parler simplement avec sa propre sœur. C’était vraiment triste. Alors qu’il était encore en quête d’une bonne réponse à offrir en présent, sa sœur lui coupa l’herbe sous le pied, le pressant d’entrer. « Dépêches-toi entre, avant que quelqu’un me voit dans cet état. » Effectivement, elle n’avait pas l’air en forme et n’offrait guère une vision très réjouissante ce qu’Hyppolite allait bien se garder de lui dire. Compte tenu de l’excès fierté de sa sœur, il allait lui falloir s’aplatir un peu pour retrouver un semblant de complicité. Une perspective qui ne l’enthousiasmait pas, mais la situation exigeait qu’il prenne sur lui et il était suffisamment mature pour le faire. Sans desserrer les lèvres, il se glissa en vitesse dans la pièce, avec un bref hochement de tête. Lula referma la porte derrière lui et Hyppolite resta planté dans un coin de la pièce, franchement mal à l’aise. Il n’y avait rien de familier en cet instant dans la présence de sa sœur. Elle était l’une des seules constantes de sa vie à présent et pourtant elle lui faisait presque l’effet d’être une étrangère. Il ne savait pas quoi dire ou faire pour amoindrir la colère qu’elle ressentait à son égard. « Je voulais juste te parler. » Réussit-il à articuler sur un ton dans lequel perçait une pointe de timidité. Il avait besoin que Lula l’aide un peu à briser la glace entre eux deux et il avait la franche certitude que cela n’arriverait pas de si tôt. Sa sœur n’avait pas dans l’idée de lui faciliter la tâche. Il allait devoir se débrouiller seul. « Enfin, si tu as du temps à m’accorder. » Ajouta-t- il sans faire un pas de plus dans la pièce, comme s’il s’apprêtait à avancer sur un terrain dangereux et que le sol était susceptible d’exploser à tout instant sous ses pieds. Il tâchait de mettre une touche de gaieté presque moqueuse dans son ton alors qu’il s’adressait à sa sœur, mais l’illusion n’était pas très convaincante. Son malaise était quasiment palpable.

« Bien sûr que j’ai du temps à t’accorder, Hyppolite. » Mais oui. Bien sûr. Hyppolite ne pu s’empêcher de lever les yeux au ciel, en proie à une irritation pour le moins familière. Lula se moquait carrément de lui. Sa sœur ne le regardait même pas et elle s’exprimait comme si elle était totalement ouverte au dialogue. Ce n’était pas vrai du tout. Depuis qu’ils avaient tous les deux rejoins Merle pour des raisons leur étant propres, Hyppolite n’avait eut de cesse de multiplier les tentatives pour s’approcher de sa sœur. Il ne comptait plus toutes les fois où il avait essayé d’accrocher son regard avant qu’elle ne détourne la tête avec brusquerie, le fuyant sans grande subtilité. Elle n’avait même pas besoin d’ouvrir la bouche pour le repousser. Son langage corporel parlait pour elle. Elle n’avait jamais effectué le moindre pas dans sa direction, préférant se muer dans une étouffante solitude. Malgré lui, Hyppolite ne pu s’empêcher à songer au jour de l’exécution de Rei. Après ça, il avait passé une bonne partie de la nuit dans le couloir qui s’étendait derrière la porte de sa sœur. Il était resté longuement devant la chambre, le cœur lourd et le regard vitreux. Il avait éprouvé le besoin d’être auprès de sa famille et à l’heure actuelle, en ces murs, sa vraie famille c’était Lula. Mais celle-ci ne ressentait pas la même chose. Elle agissait comme si la présence de son frère l’insupportait au plus haut point. Encore aujourd’hui, Hyppolite avait l’impression de la déranger. Il n’osait pas s’approcher d’elle, de peur de se faire rabrouer à nouveau et il restait donc bêtement planté non loin de la porte. « Tu sais, je. - » Hyppolite leva la tête qu’il avait baissé sans y penser. Sa sœur ne lui faisait toujours pas face. Elle semblait plongée dans la contemplation silencieuse qu’offrait Azurite de nuit. Elle l’observait, mais indirectement, s’adressant à son reflet, ce qui était autrement plus simple que de l’affronter directement. « Je suis désolée de me comporter ainsi avec toi. Je sais que je ne suis pas la grande sœur idéale, que je suis froide. » Il aurait pu la rassurer. Lui dire que non. Que ce n’était pas vrai, mais il se concentra de se mordre doucement la lèvre. Enfin, la langue de Lula semblait se délier. Enfin, elle semblait disposée à se confier, même un tout petit peu et Hyppolite ne voulait pas faire quoi que ce soit qui puisse la couper dans son élan. « Mais je ne suis pas sans cœur. C’est juste que. - » Il acquiesça très légèrement la tête, l’invitant de par ce geste timide à poursuivre. En vain. L’instant était déjà passé. Lula secoua la tête et fit volte-face. L’expression d’Hyppolite trahissait son état d’esprit. Il était dans l’exceptative, suspendu aux lèvres de son aînée. La déception n’en fut que plus lourde lorsque Lula rouvrit la bouche. « Laisses tomber. » Et voilà qu’elle lui faisait face avec son air inaccessible qu’il ne lui connaissait que trop bien. Elle se barricadait, comme toujours, le repoussant avec adresse. « Et donc, que me vaut l’honneur de ta présence ? » S’il avait eut ça en lui, il en aurait pu la frapper. Il avait envie de la secouer en tout sens. Envie de lui hurler dessus. Comme elle l’exaspérait. Bordel. A la place, Hyppolite poussa un long soupire exaspéré. C’en était trop. Il en avait assez de marcher sur des œufs. « Tu vois, c’est ce que tu fais. Tu le fais à chaque fois. » Lâcha-t-il d’une voix dans laquelle perçait amplement tant l’irritation que la frustration sincère et profonde. « Tu te fermes aux gens. Tu te fermes à moi. C’est toujours comme ça. Sans arrêt. » Hyppolite se pris le visage entre les deux mains, se subtilisant un instant au regard familier de sa sœur. Il laissa ensuite retomber ses bras le long de son corps et dévisagea fermement Lula. Il en avait fini de s’aplatir. « Alors parles-moi ! Voilà ce que je veux, Lula. Parles moi, t’es en colère contre moi, alors énerves-toi une bonne fois pour toute, mais arrêtes ! » Il avait élevé le ton sans même y penser, ce qui ne lui ressemblait pas. Il s’efforça de se calmer. Il ne voulait pas se disputer avec elle, mais c’était plus fort que lui. Elle était tout simplement insupportable. « Je peux pas continuer comme ça. S’il te plait, dis moi ce qu’il faut que je fasse pour que t’arrêtes de m’en vouloir comme ça. »

« Tu vois, c’est ce que tu fais. Tu le fais à chaque fois. » Pardon ? Lula en perds ses mots et pourtant, Hyppolite avait raison. Chaque fois que ça devenait trop personnel, trop intime, elle se refermait. Mais il n’y avait pas qu’Hyppolite que cela énervait, elle aussi cela l’insupportait. Elle s’insupportait elle-même, mais elle ne pouvait rien y faire. C’était un cercle vicieux, car plus elle s’insupportait, plus elle se renfermait et plus elle s’énervait. Lula était complexe, beaucoup trop complexe. Elle qui avait pour habitude d’afficher un air inexpressif sur son visage, elle ne pu se retenir d’afficher un air surpris. Elle ne s’attendait pas à ce que son frère s’énerve. Après tout, c’était lui qui été venu la trouver et non l’inverse. Elle fronçait les sourcils et croisait les bras sur sa poitrine, telle une enfant qu’on aurait vexée. « Tu te fermes aux gens. Tu te fermes à moi. C’est toujours comme ça. Sans arrêt. » Elle ne sait pas quoi dire, l’Osanos. Elle n’arrive pas à assembler deux mots pour constituer une phrase correctement. Son frère ne s’énerve pas, il ne s’énerve jamais et voilà qu’il commençait à laisser sa colère prendre le dessus et qu’il s’impose. D’une part, Lula était fière de son frère. Il se montrait enfin plus combattif, il laissait la colère prendre le dessus au lieu d’être éternellement mielleux et calme, comme à son habitude. « Alors parles-moi ! Voilà ce que je veux, Lula. Parles moi, t’es en colère contre moi, alors énerves-toi une bonne fois pour toute, mais arrêtes ! » Elle sursaute lorsqu’il commence à élever le ton, mais reprend bien vite ses esprits. Elle sent sa colère monter en elle, cette foutue colère qui est dirigée à la fois contre son frère et contre elle même. « Qu’est-ce que tu veux que je te dises Hyppolite ? » Elle aussi commence à hausser la voix. La colère envahit son être à chaque battement supplémentaire de son palpitant et ses yeux lancent des éclairs. Très bien. Il voulait qu’elle se confie à lui ? C’est ce qu’elle allait faire une bonne fois pour toute. « Oui, je suis en colère contre toi Hyppolite. Pour un millier de raisons et je ne serais pas capable de toutes les énumérer. » Balivernes. La plupart des raisons derrières lesquelles elle se cachait étaient des raisons futiles à ce jour. La plus grande chose qu’elle lui reprochait été son implication dans la guerre qui détruisait leur famille, dans la résistance. Mais qui était-elle aujourd’hui pour le reprocher cela ? Elle qui avait a son tour trahi les siens pour un amour perdu. «  Mais s’il y a bien une chose que je peux te reprocher, c’est de ne pas t’être battue avec nous. » Le nous lui écorche les lèvres, mais elle tente de ne pas flancher en le disant. Parce-que oui, elle se considérait encore comme une résistance, même si les apparences indiquaient le contraire. «  Tu n’as jamais su choisir un camp, tu as toujours été aveuglé par tes idéaux et surtout.. » Elle s’arrête un instant, reprenant son souffle mais également pour se préparer à ce qu’elle s’apprête à lui balancer en pleine figure. « Tu n’as rien fait pour Rei. » Le coup fatale. Coup qui ne vaut pas grand chose puisqu’elle non plus n’a rien fait. Chose qu’elle se reproche au plus haut point, mais qu’elle reproche également à son cadet. Chose qui la ronge jusqu’au plus profond de son être et qu’elle ne pourra jamais se pardonner.

Il la surprenait en haussant le ton. Elle sursauta presque quand il éleva la voix contre elle. Effectivement, cela ne ressemblait pas à Hyppolite. Ce n’était tout simplement pas son genre. Lui préférait s’exprimer d’un ton doux, posé. Il avait toujours considéré que les personnes qui s’exprimaient en criant manquaient de vocabulaire pour parler doucement. Mais il allait faire exception avec Lula, car jusque-là tous ses efforts pour se rapprocher d’elle avaient été parfaitement vains. Cela ne servait à rien de rôder gentiment autour d’elle en espérant croiser son regard. Ça ne fonctionnait tout simplement pas. Il avait essayé de ménager sa sœur en lui accordant de l’espace, mais il en avait assez. Lula était en colère contre lui et il voulait rompre la glace venue se loger entre eux deux pour de bon. C’en était fini d’avancer péniblement en terrain miné. Il ne fallut pas longtemps pour réveiller la colère de Lula. Elle ne demandait qu'à être exprimée. « Qu’est-ce que tu veux que je te dises Hyppolite ? » Hmm, quelque chose ? N'importe quoi ? Hyppolite garda ses lèvres scellées. Il voulait qu’elle lui parle, quitte à lui faire mal. Tout valait mieux que ce foutu silence qu’elle lui imposait depuis beaucoup trop longtemps. « Oui, je suis en colère contre toi Hyppolite. Pour un millier de raisons et je ne suis pas capable de toutes les énumérer. » Ainsi donc voilà qu’elle allait enfin vider son sac. Hyppolite croisa ses bras sur son torse, comme pour se protéger physiquement des reproches quin’allaient pas tarder à pleuvoir sur sa personne. Il avait déclenché une tempête et il allait devoir y faire face. « Mais s’il y a bien une chose que je peux te reprocher, c’est de ne pas t’être battu avec nous. » L’expression faciale d’Hyppolite était maintenant totalement fermée. Il sentait toute la frustration amassée qui montait péniblement, ne demandant qu'à sortir. Car voilà qu’ils en revenaient aux reproches trop familiers. Hyppolite avait presque l’impression d’être revenu au sein de la résistance, peu de temps après avoir dut quitter contraint et forcé ce palais qui se refermait à nouveau sur eux. S’il fermait les yeux immédiatement, il pourrait aisément voir l’expression fermée de son père et les reproches qui n’avaient jamais de cesse de franchir la frontière de ses lèvres lorsqu’il posait les yeux sur son fils. Le refus d’Hyppolite de se battre avait eut pour conséquence de créer un fossé considérable entre lui et le reste de sa famille. Son obstination à demeurer en marge du conflit lui avait conféré un statut de paria. Le seul membre de son cercle familial très proche avec qui il était en bons termes était sa mère. Sa mère qu’il avait abandonné en rejoignant Merle en dépit des supplications de cette dernière. Les regrets serrèrent encore un peu plus le cœur d'Hyppolite alors que les sujets longuement évités étaient enfin abordés. « Tu n’as jamais su choisir un camp, tu as toujours été aveuglé par tes idéaux et surtout.. » Il la fusillait du regard, l’invitant à aller au bout de sa pensée, la défiant presque d’achever sa phrase. Dis-le qu’il voudrait lui hurler tout en désirant malgré lui que les mots ne franchissent jamais ses lèvres. Lorsqu’elle ouvrit finalement la bouche, le cœur d’Hyppolite se serra violemment dans sa poitrine. Il n’avait pas besoin qu’elle le dise. Il savait d’ores et déjà ce qu’elle s’apprêtait à remettre sur le tapis. « Tu n’as rien fait pour Rei. » Et voilà. C’était dit. Rei. Comment Lula osait-elle ? Hyppolite avait vaguement conscience que sa sœur reportait également la rage qu’elle dirigeait contre elle-même sur lui, mais peu importe. Le regard d’Hyppolite devenait dangereusement humide et il eut envie de se frotter rapidement les yeux. Il n’en fit rien cependant. Peu importe. Peu importe que les larmes coulent. « Tu n’as rien fait non plus, Lula. Tu te tenais à la droite de Merle et tu n'as pas émis la moindre protestation » lui rappela-t- il d’un ton qu’il aurait aimé nettement plus sec. La douleur perçait dans sa voix. Il ne voulait pas parler de Rei, mais c’était nécessaire. Ils devaient le faire. Ils avaient déjà évités trop longtemps ce sujet. « On était tous les deux là. On l’a vu se faire exécuter et on n’a rien fait l’un comme l’autre. » Et il s’en voudrait toute sa vie pour ça. « Je ne me le pardonnerais jamais. » Est-ce que c’était ce qu’elle voulait entendre ? L’aveu de sa culpabilité ? Était-ce vraiment nécessaire ? Peut-être que oui. Peut-être que non. Les larmes roulaient désormais sur les joues d’Hyppolite mais il n’en avait cure. Il n’esquissait pas le moindre geste pour les écraser. Tant pis si ça faisait de lui un être faible. Lula le voyait déjà ainsi de toute façon. « Alors oui, tu peux me reprocher la mort de Rei. Je ne t’en empêcherais pas, mais rien de tout ça ne serait arrivé sans ce combat absurde dans lequel vous vous êtes tous jetés corps et âme. » Ces derniers mots, il les crachait presque. Sa voix se fit plus ferme, plus incisive. « Tu n'as jamais pensé à ça Lula ? Que Rei ne se serait jamais retrouvée en danger de mort si vous aviez tous pu accepter l’idée qu’on n’a pas besoin d’une foutue couronne ? » Car c’était ça le fond du problème. Une stupide guerre d’égos, toujours. « Alors maintenant qu’on parle vraiment, je vais te dire ce que je pense. Je pense que Rei, Atalante et Aymeric sont morts pour rien. Notre père court après une chimère. Il n'est roi de rien. C'est un tyran. Il se contre fou des personnes qui le suivent. Il n’en a rien à faire de ses propres gosses. Seul compte son intérêt personnel. Je ne m’excuserais jamais de ne pas avoir pris part à ce mouvement absurde Lula et tant pis si ça te contrarie. Si tout le monde dans cette famille avait agit comme moi, il y aurait beaucoup moins de fantômes à décompter autour de nous. » Et il pensait chacun de ses mots. Il avait serré les points au fur et à mesure qu'il parlait et ses ongles s'enfonçaient désormais dans ses paumes. Il éprouvait une douleur aiguë qui le rassurait d'une certaine façon. Il ressentait toujours les choses. Il n'avait pas été perverti par la guerre et sa propension étonnante à ôter toute humanité aux hommes. Et peut-être que là était la vraie force. Dans la capacité à ne pas céder à la violence.

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Le regard de son frère lui lançait des éclairs et pourtant, elle continuait d’enfoncer le couteau. Elle l’accusait pour une chose qu’il n’avait pas commis seule, pour une chose dont elle était également coupable. Et elle s’en voulait à elle-même, Lula. Bien plus qu’à son petit frère, mais elle avait besoin de se défouler sur quelqu’un et reporter la faute sur quelqu’un d’autre. Être responsable de la mort de sa propre sœur était trop difficile à supporter et elle avait du mal à se regarder dans un miroir. Elle se dégoutait, Lula. « Tu n’as rien fait non plus, Lula. Tu te tenais à la droite de Merle et tu n'as pas émis la moindre protestation » A présent, c’était lui qui remuer le couteau dans la plaie. « [color:6df0= teal]On était tous les deux là. On l’a vu se faire exécuter et on n’a rien fait l’un comme l’autre. » Lula frissonnait en se remémorant ce moment. Elle se revoyait parfaitement aux côtés de sa cousine, le visage de marbre. Et qui pouvait le lui reprocher ? Si elle avait froncé les sourcils ou même versé une larme publiquement, Merle aurait pu annuler son accord pour sauver la vie de son ancien fiancé. C’était ça le pire dans l’histoire, Lula s’en voulait d’avoir choisi Rhaegar plutôt que Rei. Et pourtant, si c’était ça refaire, elle le referait et elle se détestait pour ça. « Je ne me le pardonnerais jamais. » Moi non plus. Elle savait pertinemment qu’elle n’arriverait jamais à se pardonner à elle-même pour avoir laissé une chose pareille se produire, mais elle pouvait pardonner à son frère, même si ce n’était pas encore évident pour elle. En voyant les larmes couler le long des joues d’Hyppolite, Lula ressentit un pincement au cœur. Elle s’en voulait. Elle avait été trop loin et son petit frère était blessé, comme toujours. Mais c’était lui qui lui avait demandé de vider son sac, après tout. « Alors oui, tu peux me reprocher la mort de Rei. Je ne t’en empêcherais pas, mais rien de tout ça ne serait arrivé sans ce combat absurde dans lequel vous vous êtes tous jetés corps et âme. » Le ton qu’il employait la fit reculer d’un pas. Il était vraiment en colère et il lui balançait ses mots au visage, violemment. Elle avait fait pareil, quelques minutes plus tôt, mais c’était habituel avec Lula. Hyppolite ne se mettait jamais en colère. Jamais sauf à ce moment présent. « Tu n'as jamais pensé à ça Lula ? Que Rei ne se serait jamais retrouvée en danger de mort si vous aviez tous pu accepter l’idée qu’on n’a pas besoin d’une foutue couronne ? » Lula blêmit. Il avait raison, dans un sens. « Alors maintenant qu’on parle vraiment, je vais te dire ce que je pense. Je pense que Rei, Atalante et Aymeric sont morts pour rien. Notre père court après une chimère. Il n'est roi de rien. C'est un tyran. Il se contre fou des personnes qui le suivent. Il n’en a rien à faire de ses propres gosses. Seul compte son intérêt personnel. Je ne m’excuserais jamais de ne pas avoir pris part à ce mouvement absurde Lula et tant pis si ça te contrarie. Si tout le monde dans cette famille avait agit comme moi, il y aurait beaucoup moins de fantômes à décompter autour de nous. » Encore une fois, il avait raison et elle ne pouvait pas le nier. Mais la résistance n’était pas seulement une question d’ego, c’était le symbole d’une vie meilleure, d’une rébellion contre la couronne et la dictature qu’imposait la nation du feu. Du moins c’est ce qu’elle pensait à l’époque, avant d’apprendre les véritables intentions de son père et de quitter la résistance.

Lula encaissait le coup. Elle baissait les yeux en soupirant, tentant de ne pas laisser la colère prendre le dessus. Elle devait se calmer, dire les choses plus calmement ou les choses allaient mal finir. D'un pas peu certain, elle avançait vers son lit où elle s'asseyait doucement en tailleur. « Excuses-moi, je ne voulais pas t’accuser de la mort de Rei. » Elle s’excusait après coup, encore et toujours. « Ce n’est pas nous qui tenions l’arme qui l’a tué, ce n’est pas nous qui avons prononcé son exécution et ce n’est pas nous qui en avons donné l’ordre. Et Merle paiera pour ça, crois-moi. » Paroles qu’elle ne pensait qu’à moitié, car elle avait commencé à se rapprocher de sa cousine et de ressentir une forme d’affection pour elle. Petit à petit, Merle se faisait un place dans le cœur de l’Osanos et elle doutait pouvoir un jour être celle qui la tuerait. « En ce qui concerne la résistance, ça n’a jamais été une question d’ego. Du moins, pas pour Diana et moi. » Nerveusement, elle se frottait les mains qui commençaient à devenir rouge à force. « Je ne peux pas parler pour Diana, mais tu sais très bien que je n’ai jamais voulu cette foutue couronne. Je voulais supprimer la royauté et la noblesse, l'égalité des sangs, mais ce n’était apparemment pas le cas de père. » Diana, elle, voulait la couronne. Cependant, Lula s'abstenait de placer cela dans la conversation pour ne pas lui donner raison. Des larmes viennent mouiller ses yeux à elle aussi, dès le moment où elle repensait à ce qu'elle avait perdu en quittant la résistance. Elle avait perdu une famille, des êtres chers en découvrant les intentions de Johann et d'un côté, elle était fière d'être partie la tête haute en défendant ses valeurs, mais d'un autre, elle restait la petite fille effrayée à l'idée d'être seule. « Mais je ne te donnerais pas tord sur un point, notre père était un tyran qui a fait croire qu’il instaurerait un monde meilleur et malheureusement je l’ai compris bien plus tard que toi. Simplement, la résistance était tout ce qui nous restait, Hyppolite. C’était elle qui nous unissait et regarde-nous maintenant, nous ne sommes plus rien. » Plus rien du tout. Les Osanos étaient brisés, dispersés et certainement plus une famille. « Pourrons-nous un jour redevenir une famille ? » Elle lève soudain la tête pour plonger ses saphirs dans les yeux de son frère. Sa question n’attendait pas forcément de réponse, car Lula la connaissait déjà. Jamais, ils ne pourraient être tous réuni si ce n’est de l’autre côté.

Il n’avait pas prévu de déverser ainsi son sac, mais il faut croire que c’en était trop pour lui. Trop de peine, trop de frustration. Trop de colère. Car il était furieux, Hyppolite. Furieux car rien ne se passait comme il l’aurait souhaité. Furieux car il avait trop perdu et que cela n’était pas prêt de s’arrêter. Et cela ne lui ressemblait pas d’être ainsi. D’hausser le ton. Ce n’était pas lui. Hyppolite était doux, tendre. Il ne prononçait pas un mot au dessus de l’autre et arborait toujours une expression polie, avenante, même lorsque la déception lui fendait le cœur. Mais parfois lui aussi avait besoin de mettre le doigt sur la colère tassée en lui. Et le moment était venu de vider son sac, d’aborder les sujets difficiles. C’était nécessaire. Il en avait besoin et Lula aussi. Une fois les mots prononcés, Hyppolite nourrissait l’espoir que les rapports entre sa sœur aînée et lui s’adoucissent. C’était ce qu’il voulait plus que tout. Avoir une alliée. Ne plus ressentir cette sensation de solitude étouffante et ce même lorsqu’il était noyé dans une pièce pleine de gens. Alors qu’Hyppolite exprimait enfin la colère et la souffrante brute qui n’avaient de cesse de ronger peu à peu son cœur, il observait sa sœur. Elle était choquée, triste et en colère. Il voyait les émotions défiler sur son visage alors qu’elle assistait à une explosion inédite. Elle n’était pas habituée à le voir ainsi. Personne ne l’était. Et il ne tirait absolument aucune forme de satisfaction à hausser ainsi le ton contre elle. Il n’avait pas envie de se disputer avec sa grande sœur, bien au contraire, mais il en avait marre de tous ses reproches murmurés sur son passage. Il en avait marre d’être le pauvre paria d’une famille qui n’avait de cesse de se déchirer de toutes parts.

Hyppolite s’attendait à moitié à voir sa sœur exploser face à ses propos. Il guettait le moment où sa colère éclaterait à son tour. Cela allait se produire forcément. Mais Lula semblait vidée au contraire. Epuisée, elle aussi. Et alors qu’il l’avait surpris en s’énervant, elle l’étonna à son tour en baissant les armes. Hyppolite en éprouva un soulagement sans nom. La carapace de Lula semblait se fendiller un peu enfin et il attendait ça depuis qu’ils étaient rentrés pour assister au couronnement de Merle. Hyppolite était conscient des efforts déployés par sa sœur pour se contrôler. Elle respirait fort, se calmant comme elle le pouvait. Hyppolite éprouva une vive reconnaissance à son égard pour cela. Il la suivit des yeux alors qu’elle rejoignait d’un pas chancelant son lit. La colère d’Hyppolite était retombée. Déjà son expression se faisait plus douce alors qu’il couvait sa grande sœur de son regard marron. « Excuses-moi, je ne voulais pas t’accuser de la mort de Rei. » Hyppolite acquiesça légèrement de la tête, signifiant par ce geste qu'il accordait son pardon à sa soeur pour cela. « Ce n’est pas nous qui tenions l’arme qui l’a tué, ce n’est pas nous qui avons prononcé son exécution et ce n’est pas nous qui en avons donné l’ordre. Et Merle paiera pour ça, crois-moi. » C'était ce qu'il s'était répété toute la nuit qui avait suivi la mort de Rei. Alors qu'il tournait et retournait dans ses draps trempés de sueur, il se disait ses mots, encore et encore, inlassablement. Tu ne l'as pas tuée. Tu ne l'as pas tuée. Ce n'est pas toi. Il avait fait une nuit blanche ce soir-là. Il n'avait pas réussi à se convaincre de la véracité de ses propos, hanté par le souvenir sanguinolent de l'exécution et du cadavre de sa soeur. Entendre ces mots de la bouche de Lula ne l'apaisait pas davantage. Cela ne se sonnait pas mieux devant elle et il ne tirait aucune consolation dans ses propos quant à elle. Lula elle-même ne semblait pas croire vraiment à ses propres propos. Merle avait commandité l'assassinat de Rei et pour cela, il n'aurait été que justice qu'elle souffre. Mais toute la peine du monde infligée à Merle ne pouvait rendre la vie à Rei. Hyppolite ne tirerait pas la moindre satisfaction à voir le sang de sa cousine couler. Les Osanos avaient déjà enterrés trop de corps. Inutile d'en rajouter au nom d'une vengeance pantelante. « En ce qui concerne la résistance, ça n’a jamais été une question d’ego. Du moins, pas pour Diana et moi. » Hyppolite se mordit la lèvre sans détacher les yeux de sa soeur. Il observa les mains de cette dernière, les gestes qui trahissaient sa nervosité évidente. « Je ne peux pas parler pour Diana, mais tu sais très bien que je n’ai jamais voulu cette foutue couronne. Je voulais supprimer la royauté et la noblesse, l'égalité des sangs, mais ce n’était apparemment pas le cas de père. » Hyppolite suspectait forcément sa soeur de taire les intentions de leur aînée pour ne pas aggraver les tensions d'ores et déjà palpables entre eux. Il fit mine de ne pas s'attarder là-dessus et se contenta de hocher la tête. Il ne voulait pas gâcher cet instant. « Mais je ne te donnerais pas tord sur un point, notre père était un tyran qui a fait croire qu’il instaurerait un monde meilleur et malheureusement je l’ai compris bien plus tard que toi. Simplement, la résistance était tout ce qui nous restait, Hyppolite. C’était elle qui nous unissait et regarde-nous maintenant, nous ne sommes plus rien. » Il n'avait pas le même raisonnement qu'elle. La résistance les avait peut-être réunis un temps durant, quand bien même Hyppolite ne l'avait pas particulièrement ressenti, mais elle avait eut tôt fait de les diviser par la suite. Il s'abstenu de l'énoncer à voix haute cependant. Inutile d'enfoncer plus que de raison le couteau dans la plaie. « Pourrons-nous un jour redevenir une famille ? » Le frère et la soeur restèrent un long instant à se regarder alors que la vérité raisonnait encore et toujours entre eux, sanglante et douloureuse. Ils ne retrouveraient jamais les gens qu'ils avaient perdus. Rei. Atalante. Aymeric. Ils étaient hors de leur portée, partis là où personne ne pouvait les suivre. Mais leurs morts ne signaient pas la fin de tout. Au bout d'un moment, Hyppolite traversa la chambre pour rejoindre sa soeur. Prudemment, craignant toujours un petit peu qu'elle le repousse, il pris place à côté d'elle et s'assit à son tour en tailleur, ramenant ses longues jambes sous lui. Son genou touchait doucement celui de sa soeur et il ne s'éloigna pas. Ils étaient plus proches en cet instant qu'ils ne l'avaient été depuis des années et ce dans tous les sens du terme. Combien de temps s'était écoulé depuis qu'ils avaient partagés un réel instant de compléter ? Il ne saurait le dire. Cela semblait remonter à une vraie éternité. A une autre vie même. Avant que la souffrance ne ravage leurs existences. « On est toujours une famille, Lula. On n'a jamais cessé de l'être. » Dit-il d'un ton doux mais ferme, un ton qui ne souffrirait aucune contestation. Il n'exprimait guère là un point, de vue, une opinion. C'était la vérité. Une vérité qui ne saurait être contredite. Une vérité en laquelle il croyait fermement et de tout son coeur éprouvé. Hyppolite passa un bras autour des épaules de sa soeur et l'attira doucement contre lui. Elle était fière, Lula, beaucoup moins démonstrative que lui. Elle l'avait toujours été. Mais ses gestes étaient sûrs alors qu'il l'étreignait doucement. « Ce n'est pas fini. Maman, Diana, toi et moi. On finira par se retrouver. » Il y croyait vraiment. « Tu verras, on s'en sortira. » Il déposa un petit baiser sur le front le de sa soeur sans la lâcher, l'étreignant toujours. Et durant un instant, il respira un peu mieux, pour la première fois depuis des mois.

no light ft. @Hyppolite Osanos

Les deux Osanos restèrent un moment face à face, les yeux dans les yeux. La vérité était sortie, Lula avait vidé son sac et tout ce qu’elle avait sur le cœur depuis bien trop longtemps. Et cela lui faisait un bien fou. Même si cela ne pouvait pas la soulager de la mort de Rei, elle sentait un poids la quitter. Ses dernières paroles résonnaient dans sa tête. Pourrons-nous un jour redevenir une famille ? Leur famille était brisée, divisée à cause d’une maudite couronne. Cela en valait-il vraiment la peine ? Hyppolite avait peut-être raison, s’ils n’avaient pas voulu s’acharner contre le gouvernement, s’ils avaient simplement accepté de se rendre, peut-être que les choses seraient différente. Oui, vous seriez tous morts. Lui soufflait une voix. Lula soupirait. Elle en avait assez débattre sur ce qu’il avait fait, si cela était justifié ou non. C’était du passé. A présent, elle n’était plus membre de la résistance, elle était redevenue la princesse qu’elle était et qu’elle détestait. La princesse qui devait sourire et faire des courbettes à des nobles qu’elle ne pouvait pas voir en peinture. Elle avait choisi de remettre les pieds dans ce monde d’hypocrites et elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. A cet instant, seul Hyppolite semblait être l’être innocent auquel elle pourrait se rattacher. C’était son frère et malgré tout ce qu’ils avaient pu vivre, elle l’aimait. Elle le suivait des yeux lorsqu’il s’avançait vers elle. Il avait l’air incertain, comme s’il avait peur qu’elle pique à nouveau une crise. Prudence qui était totalement justifiée vis à vis du caractère de la jeune femme. Doucement, il s’asseyait à ses côtés dans la même position qu’elle. Elle ne le regardait pas dans les yeux, Lula. Elle regardait son genou qui touchait le sien. Contact qui, sur le moment, la rassurait. « On est toujours une famille, Lula. On n'a jamais cessé de l'être. » Elle laissait un maigre sourire apparaître sur son visage, baissant presque complètement sa carapace. Elle voulait tellement le croire. L'Osanos tournait davantage la tête pour croiser les yeux de son petit frère. Ses yeux exprimaient de la tendresse, une tendresse encore trop peu exploitée entre eux. Lula ne se rappelait pas de la dernière fois où ils avaient vécu un tel instant et elle faisait tout pour garder celui-ci en mémoire. Elle se figeait un instant lorsqu’il la prenait dans ses bras. Ca va, ce n'est qu'Hyppolite, détends-toi. Raide comme un i, elle finit par se détendre au bout de quelques secondes et elle répondit à son étreinte. « Ce n'est pas fini. Maman, Diana, toi et moi. On finira par se retrouver. » Elle sourit, à nouveau. Il avait raison, il ne fallait pas baisser les bras. Il fallait y croire et s’ils y croyaient suffisamment fort, suffisamment longtemps, cela finirait sans doute par se produire. « Tu verras, on s'en sortira. » Elle le serait encore plus fort, jusqu’à ce qu’Hyppolite s’écarte pour déposer un baiser sur son front. Lula fermait les yeux un instant, puis ses saphirs croisèrent de nouveau les ambres de son frère, mais cette fois il n’exprimait plus aucune colère. Non, elle éprouvait de la gratitude. Peu de gens avaient le pouvoir de l’apaiser de la sorte, de la rassurer comme il venait de le faire.  « Merci. » Lui soufflait-elle. « Merci d’être là pour moi, malgré tout ce que je peux dire ou faire. » Et elle l’enlace à nouveau, le serrant plus fort. Elle savait que tant qu’Hyppolite serait à ses côtés dans ce maudit château, rien ne pourrait l’abattre.

RP TERMINE.