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Il avait été traîné comme un chien jusqu’ici. Un moins que rien. Un enfant des bas-fonds, de la plus basse des extractions. Ce n’était pas un prince Oshun qui avait été mis en cage, assommé par ses propres gardes et porté jusqu’au sommet de cette maudite tour. Parce que bien entendu, lorsqu’il avait compris le sort qui l’attendait, l’impétueux s’était rebellé. Avait distribué gracieusement coups et meurtrisses. La bête sauvage n’allait certainement pas se laisser enfermer aussi facilement. Il avait fallu des dizaines de bras pour le mettre hors d’état de nuire. Les paroles apaisantes d’Isaure n’y avaient rien changé. Les ordres fermes de Cal non plus. Ses deux aînés avaient uni leurs forces pour le claquemurer dans cette tour qu’il ne connaissait que trop bien. Celle-là même qu’il avait injurié des milliers de fois alors que sa précieuse sœur y grandissait, seule, dans une autarcie presque parfaite. Il avait tout fait pour l’en faire sortir. Triste ironie, c’était elle qui avait eu l’idée de l’envoyer ici. Dans ce cauchemar ne dépassant pas vingt mètres carrés. Prostré dans les ombres, recroquevillé sur lui-même, en lui-même. Maven devenait une ombre. Son humanité s’estompait. Tout comme sa raison. Seul avec ses pensées noires pour lui tenir compagnie, la folie du jeune blond n’allait pas en s’arrangeant. Au contraire, même. Il s’était mis à converser à voix haut avec lui-même, depuis quelques jours. Ressassant ces insensés plans de vengeances. En maudissant tous ces ennemis inexistants qui le hantaient. Et l’image d’Adonis, sur le champ de bataille, qui ne cessait de revenir. Encore et encore. Tourment inexorable qui ne prenait jamais fin, comme les vagues venant perpétuellement se briser sur la plage. Il était obsédé, le montre. Obsédé par des monstres chimériques, invisibles aux yeux d’autrui. Maven s’enfonçait dans les ténèbres. Inéluctablement. Et personne n’était là pour le retenir. Pour tenter de le ramener vers la lumière. Il avait été abandonné ou trahi par ceux en qui il avait placé toute sa confiance. Envolés le précieux aîné, guide dans l’obscurité ainsi que sa jumelle que l’Oshun avait adulé depuis son enfance ; disparue le premier amour, l’enfant de l’eau qu’il porterait toujours dans son cœur ; évanouie la précieuse reine qui avait su capturer le cœur meurtri du sauvage. Seul dans le néant le plus profond. Et ça lui dévorait l’âme, noircissait son esprit. Mélange parfait de haine viscérale et de tristesse indéfinissable. L’isolement le tuait à petit feu. Comme une plaie qui s’infectait. Toujours plus brûlante. Toujours plus douloureuse. Jamais l’esprit pourtant bienveillant du prince ne pourrait s’en remettre. Marqué pour toujours par cet exil forcé qui faisait plus de mal que de bien. Comme Adonis l’avait marqué. Lui, le novice en matière d’armes, qui savait à peine manier son épée. La défaite était encore plus amère, plus difficile à accepter que la blessure qui en résultait. Maven savait parfaitement à quoi il ressemblait. Ses traits n’étaient pas aussi gracieux que ceux de Cal. Les bonnes manières le fuyaient désespérément. Non, il n’avait jamais été cet Apollon devant lequel se pâme les femmes de l’Empire. Mais sa différence avait désormais été inscrite au fer rouge sur son visage. Une ligne qui barrait sa joue droite, son nez et son sourcil opposé. Signe qu’il était Autre à l’univers entier. Le vilain petit canard. L’Indésirable par excellence. Celui qui ne comptait pas. Qui n’avait pas d’importance. Seulement utilisé pour sa maîtrise des armes. Un pion politique aisément manipulable parce que naïf et aisément modelable. Les paroles avaient sur un lui un impact indécemment puissant, alors même qu’il était incapable de les utiliser à sa guise. Seuls ses poings savaient parler pour lui. La violence comme exutoire. La douleur comme émotion révélatrice de vie. Il avait refusé toute forme de visite. Tous des traîtres. Des menteurs. Il ne le comprenait que maintenant, l’Oshun. Ne comprenait que maintenant que, toute sa vie était un mensonge. L’affection qu’il avait reçue avait toujours été feinte. Jouée. Rien de réel sinon la peine qui enserrait son cœur profondément bon mais pourtant violemment meurtri. « Maven. Maven, c’est moi. Liza. » Il ne l’avait même pas entendue entrer, s’approcher et s’agenouiller devant lui. Trop en prise avec ses terribles émotions et ces pensées qui l’entraînaient dans une spirale descendante. Mortelle. Irrésistible. Un cercle vicieux. Il ne comprend que maintenant que la sensation de fraîcheur, fugace mais pourtant réelle, était dû aux doigts pâles de la reine nouvellement couronnée. Ils avaient effleuré l’ornement immortel du visage du maître du feu et avaient terminé leur course sur sa joue brûlante. La Valaeris était si belle, terriblement splendide, absolument magnifique. Elle ressemblait plus à un mirage, une illusion, qu’à une personne fait chair. « T’es même pas réelle d’toute façon… » Des mots presque inaudibles. Maven n’était pas complètement idiot. Il savait dans quelles conditions il avait quitté Elizaveta. Et la fière inaccessible au cœur de pierre ne pouvait éprouver autant d’empathie. Il le savait. Savait qu’elle aussi l’avait simplement manipulé. Parce qu’il n’était pas le genre d’hommes qu’elle appréciait. Ni stratège, ni diplomate. Plutôt une brute. Un monstre. Un Chien. Il ne la regarde même pas, le sanguinaire. Pourquoi prendrait-il la peine de contempler une simple apparition ? Il avait bien d’autres choses à faire. Comme repasser pour la millième fois le plan parfait qui lui permettra de mettre à mort son plus grand ennemi. Et les doigts irréels de la déesse qui continuaient de courir sur sa peau abîmée. Comme une mélodie entêtante. Une réminiscence d’un temps plus heureux. « Maven s’il e plaît, dis-moi que tu es encore là. Reviens moi. » Mais il ne réagissait toujours pas. Englué dans une folie dévastatrice. Happé par ses démons intérieurs. Si seul … Seul avec ce brouhaha d’émotions intérieures qu’il n’arrivait pas à gérer. Son corps était là, inerte. Seule sa respiration régulière indiquait qu’il était encore en vie, qu’il n’avait pas définitivement quitté ce monde. Que son âme était encore là… Quelque part au milieu des volutes de fumées. « Pourquoi j’arrives pas à t’chasser d’ma tête ? » Il s’empoigna le visage à demain, tentant de la faire disparaître. Après tout, c’était son esprit qui créait cette hallucination. Il ne tenait qu’à lui de s’en séparer. « Qu’elle dégage ! Elle avec lui, elle aussi ! Elle est comme tous les autres ! Rien qu’une menteuse. » Il se dégagea du contact pourtant apaisant de la belle Valaeris et vint se réfugier dans un autre coin de cette maudite tour. La tête entre les mains, le cœur qui battait à lui sortir de la poitrine. Parce qu’il avait aimé Elizaveta. Peut-être même l’aimait-il encore. Et c’était pour cela que la vérité était si douloureuse, si difficile à entendre. Elle, cette précieuse pour qui il aurait pu mettre l’Empire à feu et à sang, était une simple espionne du Griffith. Elle couchait avec lui et se moquait du vilain tour qu’elle jouait à l’enfant Oshun. Maven savait tout cela. Il voyait clair désormais. N’était plus aveuglé par de jolis sourires et des courbes envoûtantes. « Va-t’en, va-t’en, va-t’en, va-t’en… » Comme une litanie qu’il répétait, encore et encore, à voix basse. Comme une prière visant à tenir le diable éloigné. Parce que c’était ce qu’elle représentait pour lui. La tentation suprême, la corruption et l’espoir trompeur d’une vie meilleure. « S’il-te-plaît… » Un cri à déchirer le cœur.

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« Maven, s’il-te-plaît. » Mais il n’entendait rien. Absolument rien. Retranché derrière les barrières cruelles mais protectrices de son âme. Plongé au fond d’affres de douleur et de paranoïa. Et son image à lui, partout, tout le temps. Qui ne le laissait jamais en paix. Obsédé par une Némésis construire de toutes pièces, faite pour supporter l’entièreté de ses maux et tourments. Adonis Griffith. Ancien fiancé de cette sœur adorée qu’il avait corrompu. Père avorté de la mesquine Oshun. Amant cruel de ce frère adulé. Il était partout autour de l’enfant du feu. Tissait sa toile afin de s’assurer que Maven ne puisse s’échapper. Son grand démon personnel. Celui qui l’avait gratifié d’une immense et monstrueuse balafre, impossible à dissimuler. Aussi monstre à l’intérieur qu’à l’extérieur. Finalement en harmonie. « Maven … » Les supplications de la divine Elizaveta Valaeris étaient un bruit de fond. Presque imperceptible. Un simple bruit qui troublait le silence doucereux de la cage dans laquelle il était coincé depuis plusieurs jours, désormais. Cage dorée mais cage tout de même. Parqué tel un animal refusant d’obéir. Chien de garde ayant outrepassé ses droits et devoirs. Pas de droit de visite. Pas pour le moment. Trop instable. Trop dangereux. Des mots qu’on ne cessait de lui répéter. Sa fiancée était la première à pénétrer dans cet antre à l’aura maléfique. Dans ce trou où il le prince était en train de perdre complètement la raison. Il discourait avec lui-même, désormais. Et uniquement avec lui. N’arrivait plus à trouver le sommeil. Mourait de fatigue à parcourir ainsi cette chambre en long et en large, toute la journée durant. Et il ressassait ses mauvais souvenirs. Encore et encore. Inlassablement. Se souvenait des trahisons de Naos, de Cal, de Merle, d’Elizaveta, d’Adonis, d’Isaure. Toujours les mêmes images qui tournaient dans son esprit déjà fragile. Il n’avançait pas, Maven. Restait ancré dans un passé difficile qui n’avait de cesse de l’entraîner vers des abimes de détresse. « T’es avec lui, t’es avec lui, t’es avec lui … » Une incessante litanie. Psalmodie entêtante qu’il professait à longueur de journée. Tentative d’espérer de sombrer dans l’oubli. Parce qu’avec la découverte que, tout au long de ce qu’il avait perçu comme une idylle, Elizaveta n’avait fait que mentir, Maven s’était effondré. Brisé, voilà ce qu’il était. Peut-être même irrémédiablement. A son contact, son cœur s’était remis à battre. Doucement mais surement. L’animal craintif s’était peu à peu ouvert, avait recommencé à croire en un avenir favorable. Il s’était laissé prendre au piège. S’était laissé aller à abaisser ses barrières. Parce qu’elle semblait si sincère. Si fragile et si forte à la fois. Et puis, la reine était une sculpturale blonde dont chaque courbe affolait sa tension. Un serpent dissimulé sous les plus beaux autours. Indétectable. Alors la révélation avait été terriblement difficile. Un véritable coup en plein cœur. Une effroyable tornade qui avait tout ravagé sur son passage. Toutes les bribes d’amour-propre. Toutes les espérances. Toute l’humanité à peine éclose. Tout. Absolument tout. Des ruines, c’était tout ce qu’il restait. « T’es avec lui, t’es avec lui, t’es avec lui … » Et ses mains calleuses qui entouraient son adorable tête blonde alors qu’il ne cessait de se balancer en tout sens. Fou. Complètement fou. D’une folie qui faisait froid dans le dos. D’une folie qui était probablement incurable. Et ce, simplement à cause des terribles êtres qui peuplaient son quotidien. Parce que, dans une vie alternative, Maven aurait pu être le meilleur homme du monde entier. Mais il était né dans une famille royale qui prônait les complots et les trahisons. Et lui, avec la simplicité déconcertante de ses sentiments, en payait le prix. Le prix fort. Il ne pensait plus avec rationalité ou logique. Trop en prise à ses émotions. Il pensait qu’Elizaveta était une simple apparition. Fiancée ? Ancienne fiancée ? Traitresse ? Amante ? Il ne savait plus ni comment la voir, ni comment la qualifier. Et il ne s’inquiétait plus de leur futur commun ou séparé puisqu’il se pensait coincé ici à vie. Perpétuité dans cette prison dorée exiguë. « T’es avec lui, t’es avec lui, t’es avec lui … »
Sempiternelle ritournelle.
Cœur brisé.
Âme noircie.
Plus d’espoir.