Ce n'est pas pourtant pas la première fois mais Marlys, cette fois-ci, est prise d'un léger stress quant à sa convocation imminente auprès de Cal Oshun, régent d'un jour mais futur empereur de demain. Son mariage, mais surtout l'attaque sanglante de la résistance couplée aux soldates de Pollux et la mort de l'impératrice ont eu lieu la veille. Tout est encore confus dans les esprits de chacun, Marlys n'y faisant pas exception et pourtant, malgré ce tremblement de terre auquel elle n'a participé qu'en tant que spectatrice ébahie, la voilà convoquée, si subitement, pour une raison lui étant totalement inconnue et qui, malgré son innocence incontestable, ne manque pas de lui nouer les entrailles. La jeune Swanson n'a en effet jamais apprécié ses entrevues avec le prince Oshun, pourtant obligée de feindre le contraire ou tout du moins de ne pas montrer son relatif dégoût à son égard, le temps qu'enfin il lui susurre les ordres qu'elle s'empressait de ramener à sa famille ou d'exécuter selon la teneur de ses propos. Simple petit oiseau messager ou instrument de malheur, Marlys voletait avec habileté et fraîcheur, ce qui semblait, vraisemblablement, être la raison pour laquelle Cal préférait s'en référer à elle plutôt qu'aux autres, bien qu'au fond, elle ne puisse être en capacité de deviner ses réels motivations. Toujours est-il qu'à ses côtés, la jeune femme se retrouvait dans un inconfort inédit et jamais égalé, rebutée par tout son être nauséeux, parfaite représentation de la facette si malsaine de cette famille, à croire que lui seul, ou presque, avait hérité de ce trait. Il était trop tôt pour une nouvelle mission aux yeux de Marlys qui s'étonnait d'une telle hâte. A moins qu'un traître ait été mis à jour, chose peu probable néanmoins dans un délai si restreint. Une seule explication semblait convaincre Marlys, un sujet épineux que les deux principaux intéressés avaient eu la stupidité notoire de dévoiler aux yeux et aux oreilles indiscrètes, un sujet sur lequel Marlys savait peu de choses si ce n'est ce qu'elle en avait déduit par les cris en chœur de son cher cousin Idriss et la jeune mariée Saeko Oshun lors de l'union de cette dernière, tous deux certainement apeurés de se perdre l'un l'autre. Les soupirs agacés de Marlys résonnaient dans ses appartements au sein de la résidence Swanson, clairement contrariée de devoir à nouveau réparer les pots cassés dans cette famille, rôle lui semblait attribuer à présent, étant la seule capable de noyer les poissons dans l'eau et d'hypnotiser les serpents à sonnettes. Cal était cependant une proie bien peu docile et alors que les pas de la jeune femme tintaient dans les couloirs du palais, son esprit bouillonnait, se préparant à  cette entrevue qu'elle savait d'avance périlleuse où les mensonges, les faux-semblants et les sourires de façade allaient être légion. - Mademoiselle Swanson, entrez, il vous attend. Le laquais lui ouvrit la porte d'un petit salon, toujours le même, loin de la salle du trône ou même de celles des éléments, comme s'il fallait encore cacher les liens entre leurs deux familles pourtant bien connus de tous à présent, ou presque. Sans dire un mot, Marlys pénétra dans la petite salle, fébrile mais néanmoins sûre d'elle. Cal était là, lui tournant le dos, semblant plongé dans une lecture des plus captivantes, lecture que Marlys ne souhaita pas interrompre, restant aussi silencieuse qu'une nonne, alors que derrière elle la porte se referma.

Depuis la veille, tout s’enchaînait à une vitesse sur laquelle Cal n’avait aucune emprise. L’impératrice était morte. Sa propre mère, trahie au sein même de son palais. Un décès qui lui permettait de se défaire du titre de prince, pour embrasser celui d’empereur, auquel il aspirait depuis tellement d’années. Il ne ressentait pas une once de tristesse à l’égard de celle qui lui avait donné la vie. Mais afin de suivre ce protocole auquel il se devait de se plier, l’Oshun s’était vêtu de noir aujourd'hui, symbole du deuil dans lequel était plongé sa famille. Pourtant, lorsqu'il observait les visages de son frère et de ses sœurs, il n’y voyait aucune peine. Les enfants terribles de l’impératrice semblaient presque soulagés, libérés d’un poids qui pesait sur leurs épaules depuis beaucoup trop d’années. Désormais, Cal devait s’occuper des affaires du Royaume, à commencer par l’attaque de la veille, qui les avait touché en leur cœur, au sein même du château. Il se devait de condamner les coupables, d’identifier les traîtres et de les faire payer pour leurs actes. Atalante avait été la première victime de la justice impériale. Elle y avait laissé sa vie ce matin même, sous le regard impitoyable du nouvel empereur. Désormais, il se tenait dans ce petit salon, un livre entre les mains, face à une cheminée qui n’était que très rarement utilisée, il le savait. Il attendait Marlys, son intermédiaire privilégiée avec la famille Swanson. Il s’entretenait régulièrement avec elle, car il s’amusait toujours de l’effet qu’il pouvait avoir sur la jeune femme, de l’aversion et de la crainte qu’il pouvait éveiller en elle. Aujourd'hui cependant, Cal n’était pas d’humeur à s’amuser. Il avait convoqué la blonde pour une raison particulière. Il souhaitait obtenir des informations, et faire passer quelques messages. La porte s’ouvrit dans son dos, et l’Oshun se doutait qu’il s’agissait de son interlocutrice. Il ne fit cependant aucun mouvement, laissant quelques secondes passer avant de refermer son livre, puis de le poser sur le rebord qui surplombait la cheminée. Lentement, il se tourna afin de faire face à Marlys, qui se tenait là, au milieu de la pièce. Il lui accorda un léger signe de tête pour la saluer, avant de lui indiquer les deux sièges qui étaient installés autour d’une table basse. « Dans d’autres circonstances, ta présence ici me réjourait, mais j’ai à discuter avec toi d’affaires sérieuses. » Il s’arrêta un instant, se remémorant les événements de la veille. Il se souvenait parfaitement du comportement de Saeko, ainsi que de celui d’Idriss. Et s’il en avait quelque peu discuté avec la concernée, il espérait que Marlys lui apporterait davantage d’informations. Il ne faisait pas confiance à ce parvenu, et doutait de la sincérité de ses intentions envers sa jeune épouse. Outre ça, il souhaitait s’assurer de la fidélité des Swanson à l’égard de la famille impériale, en ses temps troubles. « Tu as sans doute été témoin toi aussi des agissements de ton très cher cousin, Idriss, et de ma chère épouse. Saeko est libre de confier son cœur à qui elle le souhaite, mais je n’aimerais pas le voir entre les mains de n’importe qui. » Il s’en fichait bien d’avouer tout ceci à Marlys. Leur mariage n’était pas un mariage d’amour, et les deux tourtereaux n’avaient pas été vraiment discrets lors de l’attaque. « Je viens donc vers toi pour obtenir quelques… précisions. Il serait dommage que je m’aperçoive que les Swanson ne sont pas aussi fidèles qu’ils n’osent le laisser paraître, alors que je m’apprête à vous offrir une place de choix à mes côtés. » Le poste de bras droit allait revenir à Ernest, et Harald serait bientôt marié à sa plus proche alliée, Laurel. Et malgré tout, il ne leur faisait pas confiance, à aucuns d’entre eux. Et en partageant ainsi ces paroles avec Marlys, il espérait que l’information serait partagée, et qu’elle permettrait à la famille du feu de réfléchir.

Elle n'avait pas envie d'être là Marlys, elle n'avait pas envie d'essuyer les pots cassés, de mentir à l'homme le plus puissant de cette terre qui pourrait, au moindre mauvais mot, décider de la faire escorter jusqu'aux cachots du palais impérial, sort réservé à beaucoup récemment, même ses plus proches connaissances. Idriss avait été idiot, ce qui n'était pas en soit une surprise pour Marlys bien qu'elle eut cru qu'il puisse faire preuve d'un peu plus de sang froid et d'intelligence face aux personnalités les plus influentes de ce monde. Sa mission avait dérapé, certes, son cœur s'était enflammé, certes, mais sa tête se devait de fonctionner, quelque soit la situation, et de refroidir tout le reste de son corps quand le feu, lui, s'acharnait à l'embraser. Il aurait du se taire, elle aussi, et malgré tout le respect que Marlys devait à l'impératrice, elle ne pouvait s'empêcher de les maudire en cet instant précis, alors que Cal Oshun se dressait devant elle, le visage impassible et la voix menaçante. Feignant avec perfection une indifférence notoire à ses provocations sensées la mettre mal à l'aise et qui en réalité remplissaient très bien leur rôle, Marlys restait plantée là, maugréant au creux de son crâne toutes les insanités qu'elle connaissait et se jurant de faire payer Idriss pour cette entrevue maladive. Elle attendit qu'il termine, qu'il déverse sa petite haine et ses menaces pathétiques, comme s'il oubliait que les Swanson l'avait fait, lui et toute sa famille, crevant comme des rats dans les souterrains du palais. Il serait dommage que nous nous apercevions que les Oshun ne font que se moquer de nous, et ce depuis toujours, alors que vous vous apprêtez à nous rapprocher un peu plus de votre trône. Ces mots lui traversèrent l'esprit mais s'évanouirent aussi vite qu'ils étaient apparus, arrachés de ses lèvres interdites dont seuls les mensonges étaient autorisés à sortir. Un instant elle crut même comprendre la rage de cet oncle qu'elle détestait tant, forcé de courber l'échine pour des pacotilles et des convocations de ce type pendant des années. Un oncle qui aurait pu se trouver là, à sa place, si seulement il n'avait pas été plus facile pour ce nouvel empereur de s'en prendre au supposé louveteau plutôt qu'au chef de meute, rendant ce combat peut-être plus égal ou tout du moins à la hauteur de ses capacités. - J'ai en effet entendu Idriss, et je dois dire que cette... révélation m'a surprise, ainsi que le reste d'entre nous. Très franchement, il ne devrait pas être un problème très envahissant tant ses capacités avec les femmes sont... limitées. Elle n'allait pas se gêner Marlys, pas après qu'elle ait du conseiller cet idiot de cousin pour sa mission avec la future impératrice, mission qu'il avait certainement un peu trop prise à cœur, beaucoup trop même. Elle ne trahissait donc aucun secret, effleurant seulement au passage la virilité de son cousin. - Je peux même aider à ce qu'il l'oublie, si tel est votre souhait. Ainsi il retrouvera sa femme, et son petit couple parfait, régnant sur Aksana dans la joie et l'allégresse, oubliant peut-être son amant passé, le sien aussi d'ailleurs, pensée qui la troubla un instant alors que son esprit semblait superposer les souvenirs de ses ébats avec Adonis sur le visage répugnant de Cal. - Et j'espère que cela vous confortera sur notre fidélité, dont je peux vous assurer la sincérité à nouveau si cela peut vous rassurer quant à l'honneur que vous nous ferez bientôt. Elle a envie de vomir Marlys, à mesure que les mots sortent de sa bouche et que la nausée monte en elle. Mentir, comme une seconde nature, mentir, toujours, depuis son plus jeune âge, depuis ses premiers mots, comme si jouer avec la vérité était aussi simple que de respirer. Elle espérait en tout cas ne pas avoir à donner plus que ces mots pour le convaincre, désireuse de quitter cet endroit dont l'atmosphère toxique la faisait suffoquer.