Il y avait eu le couronnement et lui qui ne revenait pas. Lui pour qui elle s’inquiétait bien trop alors que son ombre, que ses poings n’étaient plus là pour la protéger. Elle ne pouvait pas savoir, qu’il était ailleurs à pleurer la mort des siens. Elle ne pouvait pas savoir qu’il appartenait à ce mouvement qui s’appelait la ligue et dont elle n’avait jamais entendu parler. Parce qu’il ne lui en avait jamais parlé. Et elle s’était sentie trahie lorsqu’elle avait appris la vérité une fois qu’elle l’avait intégrée. Elle s’était sentie trahie lorsqu’elle l’avait retrouvé là-bas alors qu’il n’était plus à ses côtés pour la protéger depuis deux semaines déjà. Parce qu’elle lui avait fait confiance pour lui sauver la vie, pour la guider, pour la protéger et lui il ne voulait que protéger les siens. Ce n’était pas à elle qu’il pensait. Lui il aurait pu mourir là-bas et elle aussi elle serait morte. Et elle, elle aurait pu mourir seule loin de son demi-frère et il serait mort de son côté. Morts loin l’un de l’autre. Jamais elle n’aurait cru qu’un jour elle penserait ainsi, mais si elle voulait mourir, c’était près de lui, dans ses bras. Dans les bras de celui qui l’accompagnait depuis plus de deux ans maintenant. Dans les bras de celui qu’elle avait haï parce qu’elle lui était enchainé et à qui elle ne s’était que trop habituée. Dans les bras de celui qui l’avait accompagnée lorsqu’elle avait tout plaqué, pour la protéger, elle le cerveau. Dans les bras de celui qui était la deuxième partie de son être même si elle avait mis bien trop longtemps à le comprendre. Dans les bras de celui qu’elle aurait aimé voir libre, parce qu’alors peut-être qu’elle ne lui en aurait pas voulu de la priver de sa liberté. Dans les bras de celui qui perdrait la vie en même temps qu'elle.

Mais aujourd’hui, alors que son crane semble au bord de l'explosion sous la douleur, alors qu'elle est tremblante et que l'ensemble de son corps la fait souffrir au moindre mouvement, elle préférerait peut-être être morte que de subir ça. Elle priait pour une mort rapide si c'était ce qui allait lui arriver. Ça lui était tombé dessus comme ça, sans qu’elle comprenne. Et lui aussi il était tombé malade. Il était là, à ses cotés, malgré son silence, malgré les regards noirs qu’elle lui jetait. Parce qu’elle ne savait pas si elle lui en voulait ou si elle l’admirait pour ce qu’il avait fait depuis plus d’un an. Et lui, lui il lui en voulait de suivre ses propres pas sans lui en avoir parlé avant, parce qu'elle aurait pu le mettre en danger si elle avait fait un autre choix, même s’il était celui qui avait glissé son nom. Il lui en voulait de rentrer dans cette ligue qui était pourtant sa deuxième raison de vivre comme ça. Mais parfois, parfois, elle arrivait à lire une légère lueur de fierté dans son regard qu’il évitait bien rapidement. Parce qu’elle n’était plus la gamine qui avait quitté son palais quelques mois plus tôt Somi. Elle avait changé. Un changement progressif alors qu’elle était perdue. Alors que les cauchemars peuplaient ses nuits. Alors qu’elle cherchait ce qu’elle pouvait faire pour leur venir en aide sans comprendre qu’il fallait qu’elle s’ouvre à lui. Que dans le fond, il était le seul à pouvoir l’aider. Mais il n’y avait pas de mots à mettre sur ce qu’elle ressentait, sur l’horreur qui l’avait saisie, sur les yeux remplis de douleur qui semblaient croiser les siens jour après jour. Tout ça, il l’avait lu en elle. Tout ça, il avait dû faire ce qu’il n’avait jamais fait avec sa maitre pour comprendre comment la douce Somi pouvait s’être renfermée à ce point. Pour comprendre pourquoi il ressentait sa peur chaque nuit, pour comprendre pourquoi elle se réveillait parfois en larmes au milieu de la nuit.

Et elle avait trouvé sa raison de vivre la brune. Elle qui voulait tant changer les choses sans savoir comment, on lui en avait donné l’occasion. Une occasion qu’elle n’avait pu refuser malgré la peur. Parce qu’elle ne supportait pas la violence. Parce qu’elle se sentait peut-être supérieure à eux, elle ne pouvait pas cautionner ce que ses parents acceptaient. Pendant que la guerre faisait rage à l’autre bout de l’empire, elle trouvait sa voie. Une voie pacifique. Une voie en équivalence avec ses idéaux. Une voie qu’elle embrassait alors qu’elle lui semblait naturelle. Mais il fallait croire que la ligue n’était pas celle qui arriverait à la sauver aujourd’hui. Ce n’était pas elle qui lui permettrait de survivre à cette épidémie, à ce virus qui rongeait sa vie depuis maintenant deux jours. Elle a mal la gamine. Et elle a faim. Une faim grandissante depuis qu’il n’est plus là et qu’ils doivent se débrouiller pratiquement seuls. Oh oui, elle lui en avait voulu de l’avoir emmené là-bas malgré tout. De ne pas lui avoir dit toute la vérité. Elle lui en avait aussi voulu d’approuver un acte d’une telle violence. Parce qu’il savait forcément. Mais il était son frère. Et il l’avait aussi sauvé ce jour-là. Alors elle ne savait plus quoi penser. Lui, celui qu’elle pensait différent mais dans le sang duquel semblait bouillir cette violence propre aux Yinren. Elle avait été si déçue. Elle lui avait fait comprendre par son silence. Mais elle n’avait pu retenir les larmes lorsqu’il était parti. Elle aurait aimé avoir pu le retenir mais c’était vain. Et c’était son cœur qui s’était fêlé de voir qu’il pouvait l’abandonner comme ça, pour quelqu’un d’autre. « Emmène-moi là-bas. » Voix faible de l’argent alors que son regard croise les yeux de celui à qui elle est enchainée à vie. Il était moins amoché lui, elle a pas encore eu le temps de l'affaiblir autant qu'elle la maladie. Et là-bas, ils pourraient la soigner. Là-bas, ils pourraient le soigner aussi. La famille impériale devait alors les meilleurs médecins du pays. Dure décision que de renoncer à sa si chère liberté. Car une fois dans le palais, les barreaux de la prison dorée ne la laisseraient certainement plus s'échapper.

Elle est épuisée l’enfant lorsqu’elle arrive au palais. Elle tient à peine debout lorsqu’il l’aide à descendre de cheval. Elle est méconnaissable la princesse du feu dans ses habits de paysanne. Elle détonne avec tout ça. Et il y a les larmes qui roulent alors qu’elle se dit que c’est peut-être enfin fini. Qui tracent deux sillons dans la poussière recouvrant ses joues. Et il y a la peur qui serre son cœur alors qu’elle n’a aucune idée de ce que sa sœur va faire. Elle pourrait la laisser là, dehors. Elle a si soif. Elle a si faim. « Ma sœur, Saeko... » Il y a cette voix si faible alors qu’elle se sent partir dans les bras de celui qui a toujours été là pour elle. Dans les bras de celui à qui elle n’arrivera jamais à dire toute sa reconnaissance.

Lorsqu’elle se réveille, la fille du feu est installée dans un confortable lit et elle en vient immédiatement à regretter d’être partie aussi longtemps. Elle n’avait pas oublié le luxe de leur ancien château, la douceur des draps sur sa peau et le confort d’un bon matelas. Tant de choses qu’elle n’avait pas eu lorsqu’elle était en fuite. Elle cherche du regard son adiutor sans le trouver. Où était-il ? Il était celui qui l’avait protégé ces dernières semaines et il fallait qu’il soit là. Pourtant, malgré la maladie, il devait encore être en vie, sinon elle ne serait pas là. Elle s’agite faiblement alors qu’elle espère ainsi attirer l’attention. Pourtant la pièce est vide.

La porte s’ouvre sur sa sœur. Elle croise son regard et ne peut l’en détacher. Est-ce qu’elle lui fait peur ainsi ? Peut-être. Elle n’en sait rien. Elle ne la quitte pas des yeux alors qu’elle s’approche pour venir s’installer près d’elle. Elle voit à quel point elle aussi est faible. Elle devait avoir cette même maladie que celle qui l’avait entrainée jusqu’ici. Qui l’avait rendue à sa famille. Avait-elle un jour eu un tel comportement à Dragondale ? Non, jamais. Aurait-elle un jour pu avoir un tel comportement ? Non, jamais. Jamais elle n’était venue ainsi vers elle. Jamais elle ne serait venue ainsi la voir alors qu’elle était malade. Jamais elle ne s’était assise ainsi. Kal l’avait fait. Il venait et il lui racontait des histoires, mais pas elle. Et pourtant, aujourd’hui elle et là et la gamine pourrait presque croire que ce n’est pas réel, que c’est le fruit de ses délires dus à la fièvre. « Tu es revenue... » Mais dans ses délires la voix aurait certainement été plus amicale, un peu plus chaleureuse. Alors elle reste silencieuse la fugueuse. Parce qu’elle ne sait pas quoi répondre à cette constatation. Parce qu’elle lui a demandé de l’emmener ici mais elle n’avait aucune raison de le faire. Ce n’était pas sa maison. Ses parents auraient certainement été différents. Elle aurait été avec Kalei. Ici, elle est en territoire étranger comme elle peut l’être pour sa sœur depuis des années. Deux étrangères partageant le même sang. Deux personnes qui ne partagent rien d’autre que ce liquide carmin coulant dans leurs veines. « Pourquoi, après autant de temps ? Pourquoi, maintenant ? » Sa voix vient de briser une nouvelle fois le silence qui s’est installé, ce silence qui parait presque normal entre elles. « J’ai cru que j’allais mourir. » Elle est faible la voix de la poupée. Et pourtant, c’était la vérité. Elle avait trop mal. Elle souffrait trop pour rester seule. Elle avait besoin d’être soignée. Elle avait peut-être vraiment eu peur de mourir. Elle aurait préféré rester seule là-bas, mais le destin l’avait obligé à revenir ici. Ici où elle avait bien failli laisser sa vie au milieu des bombes le jour du mariage. Ici où elle avait recroisé Kalei le jour du couronnement. Ici, ce lieu qu’elle ne connaissait que de nom et où une partie de sa famille vivait. « Je suis contente pour toi. » Il y a son regard qui est tombé sur ce ventre qu’elle tient. Ce ventre où la vie existe depuis quelques temps déjà. Elle savait Somi. Parce qu’elle savait tout ce qu’il y avait à savoir sur la famille royale. Les ragots allaient de bons trains et ils n’étaient pas difficiles à saisir au vol. Avant, elle s'en serait moquée de tout ça. Mais les choses avaient changé. Parce que Saeko était là, elle était là alors qu'elle était malade, et c'était peut-être ce qui comptait le plus pour elle en ce moment précis.