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Un marbre opalin brille sous ses bottes. Le contraste le saisit, et, relevant le museau, il découvre face à lui un désert ivoirin, où la lumière lui taraude l’iris ((piètre douleur comparée à celles qu’il a pu endurer jadis)). Dans cet océan d’éclat, rien n’est lisible : et l’impression d’être entre rêve et réveil se fait de plus en plus forte. Se découpe alors une silhouette, au loin, délicate ((trop caressée pour avoir été vraiment oubliée)) : elle est accompagnée d’effluves étranges, disparates, tant qu’il ne parvient à n’en discerner aucune. Ses deux guiboles reculent, ou avancent, il hésite. Ses yeux se plient et, en un clin d’oeil expéditif, elle se retrouve juste devant lui.
Oh, les traits de cette belle fleur ((il les connaît toujours par coeur)).
Ses lippes rouges se scindent mais rien ne sort : qu’un soupir inaudible, captif d’un mutisme terrible, et un spasme parcourt ses arcades. Lui, la paume tremblante, fait glisser sa patte entre ses seins ((ceux là même contre lesquels sa tête se posait si souvent)). Il joue de la douceur de l’écorce et remonte jusqu’au col. Le goulot fragile, il referme l’entièreté de sa griffe sur elle et l’enserre.
Ses yeux orbes le fixent et, c’est avec pur hédonisme qu’il observe la terreur lentement emplir chaque oeil comme des larmes. La méduse s’essouffle, bat des pieds dans l’air ((la vie semble la quitter mais naïve, elle tente toujours de s’échapper)). Les ongles tailladent les carotides, les molaires se serrent et un long râle mutique s’échappe de la gorge.

Finalement, brisant le silence pervers de l’instant, une voix s’élève :

…papa ?

L’appel ressemble à un écho froid ((comme ceux qu’on fait rebondir contre les murs d’un tombeau)); il est empli de vestige de sérénité et de traces de quiétude crevée. La gueule du monstre se tourne si vite qu’elle craque : là, à ses jambes, un petit ange. Genoux à terre, ses bras fins comme des cordages s’enroulent autour de sa béquille droite et son crin rouge descend jusqu’au bas d’une tunique tâchée de sang.

Toi qui disait que la paix viendrait…

Il la toise : absorbe chaque détail de son tout petit visage ((chaque ornement de ce bijou concorde avec ses dernières images)).

…moi à cause de toi, je l’ai déjà trouvé.

A lui alors, de sentir sa gorge se serrer : l’ange l’étrangle sans même le toucher. A la fois funeste et salutaire, l’étreinte qu’elle lui offre semble tout à la fois le tuer et le sauver. Il voudrait la toucher, la noyer de baisers, chuchoter ses regrets et expier ses péchés. Seulement, les mains sont déjà chargées d’une carcasse qui, malgré la poigne, continue d’inspirer ((ce souffle qu’il veut à tout prix arrêter)).
La peau du cou est crevassée mais le sang tarde à couler.
Ses prunelles retombent sur celle qu’il veut annihiler. Provocante, insolente, elle nargue ses yeux des siens, toujours ouverts : finalement, dans le blanc brûlant, son aphasie s’étiole et son rire cristallin crève l’air comme du verre.

L’ange lui, est parti.

Dans la frondaison, la foulée est prompt et active; la matrone avance frénétiquement, insensible aux fouets des branches. Derrière elle, un gaillard ((trois décades bien entamés)) traîne par la manchette un minuscule mouflet. De douces boucles s’agitent à peine au dessus de ses épaules, et le nez rougi par le froid, ses yeux larmoyants pleurnichent encore d’avoir renoncer à sa couche ((petite paillasse épineuse)) à laquelle sa mère l’a déraciné, la mine affreuse.

Avance, Anders, s’il te plaît.

Les paroles tonnent, pourtant murmurées. Anders renifle bruyamment, ravale un sanglot ((son chagrin tombe à chaque bile ravalée dans la vacuité de son gosier)) et essuie entre deux chocs ses narines inondées. Façonné par la retraite et les divers asiles, le marmot est d’habitude en tête de file : depuis toujours, il sait que nulle part ici n’offre le moindre refuge. Il peine à reconstituer le puzzle d’une petite enfance étalée ((l’important n’est plus de savoir où il est né, il réside plutôt de l’endroit où il peut subsister)).

Mais les trois âmes sont bousculées par les images : lui, trop petit, n’avait toujours aperçu que des ombres fugaces ((les fantômes, disait il, la voix fébrile)) de ceux qui massacrent. Seulement, dans un caprice de la nuit, elle décida d’être plus claire qu’à l’accoutumée, et la colonie d’exilés avait été repéré. Dans leur partance, aucun simulacre d'objet chéri rapporté, seul l'enfant comptait et, d'un geste, sa tête encore un peu assoupie fut rejetée sur l’épaule de son paternel. Entre ses deux meurtrières endormies qui s'élargissent, le modique Anders put alors de tout son aise apercevoir les giclées cramoisies d’une enfant ((camarade de châteaux de boues et autres joyeusetés enfantines)), accompagnées des cris stridents et gémissements étouffées par la gueule écrasée contre le plancher, tandis que leurs six pieds foulaient le sol comme s'il brûlait.

Terrible conclusion alors, à la nature de ses perles salées :  
depuis cette nuit, les fantômes ont des visages
((et pire encore, ils peuvent tuer)).

Les ripatons glissent et l’enfant de guerre trébuche. Dans la chute, il crève sa joue ronde sur l’aiguille d’une roche voilée. Sous son pouce charnu, la sève grenat chatoie sous le ciel pâle. Les géniteurs s’arrêtent.

Ce n’est rien Anders, relève toi, viens mon chéri.

L’iris obnubilée, il ne parvient pas à décoller son regard de la tâche cramoisie qui orne son doigt. Pétrifié, il gémit.

C’est du sang.

Le père s’agenouille, bienveillant, efface d’un trait la plaie et enserre sa bouille entre ses pattes. Hirsute, il porte les stigmates de combats que sa progéniture n’a jamais entendu ((n’a jamais vécu)).

Fils, il coulera seulement si tu ne te défends pas à chaque instant.

((mais dis moi père, comment fait-on saigner les ombres ?))



Allez vous en.

Le regard éteint, les bras tordus derrière l’échine, il observe la carcasse lourde de son paternel être traînée sur le sol. Un pied cravache la pointe nasale ((le sang coule)), et mère laisse échapper un râle accablant. De là, d’autres fantômes se retournent vers le terrier. Les mains se tendent, et à son tour alors, d’être valdinguée sur le parpaing froid de la capitale.

Anders, un décade et quatre temps à peine, tressaille d’un mouvement; mais les orbes de sa mère se plongent un instant dans les siennes, suppliant.

va-t'en

La conclusion n’est jamais définitive; elle est alliée de nouvelle amorce et proie de déception. A l’aube de l’armistice, Anders s’est vu dépouillé — planqué dans les bas-fonds de l’abondance, petite sentinelle, il donne signes de vie nébuleux à ses parents tributaires des fantômes de son âge tendre.

Jusqu’au jour où ils cessent d’apparaître.

Orphelin, il épuise ses poings contre les murs et les chantignoles des dessous de la capitale ((le sang coule)) et la rage bouffe l’innocence de l’enfant devenu jeune homme. Ses râles de désespoir résonne, et finalement, après des temps sombres, son corps échoue sur les rivages d’une mer douce. L'amer, encline à le choyer, lui chante des rêves tant qu'il en oublie le danger.

((il aurait du l’assécher avant qu’elle ne puisse le noyer))

Diverses mains effleurent son épaule. Sur le passage, ses confrères chuchotent leur chagrin, et Anders, la tête lourde, acquiesce en signe de reconnaissance. Dans le creux de son ventre, le brasier bouillonne; son sang est lave incandescente qui ne cherche plus qu’à atteindre les terres trop calmes d’un royaume avili. Mais la chaleur n’est plus seulement intrinsèque. Comme un virus, Anders a réussi à infecter nombres de ses pairs d’un germe de ferveur et de dangereuse passion. Des femmes et des hommes, des filles et des fils embrasés par la bacille de la justice ((qui crie sans être entendu dans les caves de la ligue)).

Métamorphose de l’intime affliction du colosse, elle est devenue désolation d’un petit plèbe qui, la mine sibylline, s’assimile au chagrin d’Anders. Chacun porte à son dos diverses bricoles ((armes volées ou forgées dans le secret, défroques jaunies)), signe incontesté que tous ceux présents sont prêt à filer. Aux portes du castel, l’essaim de guêpes bourdonne.

Ici n’est plus notre nid.

Dans le creux de la nuée, le roi guêpe corne un discours.

A ceux qui ont peur, je vous le dis. Vous quittez un abri pour l’exorde d’un vindicte bien fondé. Nous ne fuyons pas : nous partons pour un combat, un combat pour la franchise de notre existence. De notre indépendance.

Les regards brillent à l’image des étoiles du ciel qui apparaissent, timides, spectatrices d'un symposium polémologique.

Vous avez choisi courageusement de quitter ce nid d’obscurantisme. Nous marchons vers la lumière... et peut-être allons nous pleurer des morts. Mais surtout...

Pollux laisse ses quinquets lécher les gueules noircies devant lui : celles de futurs guerriers sans qui ses desseins ne pourraient perdurer. Chef d'une première petite conquête, il veut galvaniser ses sujets. Les habiter comme sa fureur depuis longtemps en lui a résidé.

...nous allons fêter celle de ceux qui la propage à tort.

Au sein de sa guitoune, le titan ne pipe mot. Ses yeux myosotis scrute l’environ de son immense tanière; quelques chevaliers se sont retrouvées au coin d’un feu gigantesque, près des rivages, dans une réjouissance qui éclate jusqu’à lui. Dans sa main droite, un récipient de liqueur subit un mouvement presque anxieux du poignet qui tourne tourne tourne. Il entend même les toasts portés en son honneur.
De cette nuit vide où la marche fut longue et pleine de danger, sa petite cohorte grandit jour après jour en armada entraînée. A l’ombre d’une île devenue colonie, les luttes usuelles gratinent l’envie de partir sur le front : les guêpes se languissent d’aller pomper le miel rouge des fleurs des jardins monarques.

Derrière lui, un soldat appelé attend ses ordres. Pollux se retourne; loin de lui l’image chérubine de ses jeunes années à courir pour son salut. Désormais, sa gueule orne les mêmes sillons qui se peignaient sur celle de son père. Rares sont ceux qui témoignent de cette ressemblance ((les morts meurent et pour se relever, il faut oublier)).

N’avais je pas dit que je vous sortirai tous de l’ombre ?

Le soldat répond positivement avec fermeté ; celle là même qui couve dans chacune des cordes vocales de l’armée.

Appelle Yerim et les leaders.

Il sirote une gorgée de poison et esquisse un rictus.

Nous allons bientôt briller.

((et quoi de mieux pour flamboyer, qu’attaquer la nation du feu ?))