La tension émanait de son corps alors qu'il patientait et ce en dépit de ses efforts constants pour la dissimuler. Conscient des soupçons qui persistaient à peser sur lui, Rhaegar s'appliquait avec véhémence à revenir dans les bonnes grâces de la couronne et ce sans véritablement y parvenir. Ce n'était pourtant pas l'envie qui lui manquait de goûter à nouveau à l'allégeance pleine et entière qu'il prônait autrefois, avant que Lula ne daigne s'insinuer dans ses pensées, retournant tout sur son seul passage. Avant elle, tout était plus simple, ou du moins c'est ce qu'il semblait à Rhaegar. Avant que son cœur ne s'emballe dangereusement à l'approche de la fille Osanos, il n'avait jamais connu rien d'autre qu'une infime certitude. Toute sa vie était méticuleusement organisée alors, suivant un plan précis soigneusement élaboré des années auparavant. Cela avait toujours rassuré Rhaegar. Il adorait l'idée que toute sa vie s'articulait autour d'un axe défini duquel il ne pouvait dévier. Il n'en était rien cependant. Son éducation l'avait trompé. Il ne pouvait pas réglementer jusqu'au moindre pan de sa vie. Personne n'en était capable quand bien même certains se réfugiaient dans le déni, refusant d'admettre que quoi que ce soit puisse échapper à leur contrôle. Rhaegar, lui, ne pouvait décemment plus nier quoi que ce soit. Il avait laissé son cœur se subtiliser à sa raison et il en payait désormais le prix fort. Son esprit méthodique s'était vu contrarié par ses émotions si bien qu'à présent il avait vraiment l'impression de ne plus maîtriser quoi que ce soit. Le virus avait été la goutte de trop. En dépit de son dilemme intérieur, Rhaegar avait toujours pu se reposer sur ses qualités de soldat. La robustesse de son corps, son aptitude au combat, sa maîtrise de son pouvoir. Ses émotions ne pouvaient pas altérer cela, il ne le permettait pas, mais c'était sans compter sur une poignée d'idiots résolus à jouer les apprentis sorciers. Leur funeste petite expérience avait momentanément cloué Rhaegar au lit, seul avec l'amas bouillonnant de pensées qui lui martelaient constamment le crâne. Alors que son esprit déviait à nouveau, menaçant de le mener une nouvelle fois à sa perte, un peu de bruit attira l'attention de Rhaegar, l'amenant à lever la tête juste à temps pour suivre l'entrée de Cal. Ce dernier progressa jusqu'à lui, un sourire poli dessiné sur son visage. Rhaegar s’affaira à le lui rendre, conscient du caractère vaguement grotesque de cette rencontre. « J'espère que tu te sens prêt Rhaegar, car je ne te libérerai pas avant que tu tombes d'épuisement. » Cet homme ressemblait au garçon que Rhaegar connaissait. Il y avait quelque chose de franchement familier dans le sourire qu'il arborait et l'espace d'un instant, le fils Osoryd fut tenté de se convaincre qu'une partie de son ancien ami subsistait toujours. Il en fut vite détrompé cependant, ramené avec brusquerie à la réalité. Il ne pouvait plus se fier à Cal. Plus maintenant. Certainement plus jamais. Leur ancienne amitié avait été engloutie et cette séance d’entraînement n'était rien de moins qu'une mascarade divertissante visant à dissimuler une joute autrement plus vicieuse. Les gardes de Cal se tenaient de ci de là, à distance raisonnable, se soustrayant vaguement à leur champ de vision sans jamais faire oublier leur présence. La menace était palpable, nullement noyée par les sourires de façade. Voilà ce qu'il en était de cette petite réunion. Voilà ce qu'il en était d'eux à présent. Si Rhaegar commettait la moindre erreur, les forces de la couronne ne manqueraient pas de le lui faire payer dans la seconde, lui tombant dessus avant qu'il n'ait eut le temps d'esquisser le moindre geste pour se défendre. Un seul impair pouvait le mener droit dans une cellule. Le sourire qu'arborait Rhaegar était figé alors qu'il progressait en terres ennemies. Voilà comment il devait percevoir Cal à présent. Non pas comme le vieil ami dont le souvenir s'effritait à toute vitesse, mais comme une figure d'autorité, un homme haut placé qui tenait sa vie entre ses mains. Ne restait de Cal Oshun que l'empereur, un homme impitoyable qui aurait ôté la vie de Braam sans y regarder à deux fois si on lui en avait laissé le temps. Au prix d'un effort, Rhaegar tâcha de refluer le souvenir de son frère dans un coin reculé de sa tête. Ne pas penser à Braam. Braam dont il n'avait pas la moindre nouvelle depuis des semaines, Braam qui lui manquait atrocement. « Tu as pu faire des progrès avec ton pouvoir, depuis ta guérison ? » Un sujet de conversation à l'innocence trompeur sur lequel Rhaegar se hâta de rebondir. « Un peu. Les premiers essais n'ont pas été très glorieux. » Maintes fois les éclairs avaient jaillies, comme nés de pulsions involontaires, réponses foudroyantes aux émotions tourmentées qui ravageaient peu à peu Rhaegar. Il avait vite compris que, pour espérer retrouver le contrôle de son nouveau don et de son élément, il était vital qu'il retrouve un semblant de contrôle sur son propre corps et le torrent d'émotions qui se déversait à l'intérieur de ce dernier. Depuis qu'il avait retrouvé un peu de forces, il multipliait les tentatives, tâchant d'ériger des murs dans sa propre tête pour dompter les forces qu'il sentait croître en lui. Il aurait été mentir que de prétendre qu'il avait retrouvé ne serait-ce qu'un cinquième de ses pleines capacités, mais il progressait lentement. « C'est un peu déstabilisant, cette nouvelle capacité, ça donne l'impression de tout avoir à ré-apprendre. J'avais fini par considérer le feu comme une véritable extension de moi, une partie de mon corps que je contrôlais aussi bien que mes bras ou mes jambes et voilà que j'ai à nouveau l'impression de me heurter à une force inconnue, étrangère. » Il ne savait pas pourquoi il lui racontait ça. Si ton demeurait un tantinet plat, impersonnel, voilà qu'il se confessait presque. Non pas que l'attitude de Cal l'ai trompé d'une façon ou d'une autre. L'empereur n'était pas un si bon acteur que ça. « Mais c'est une bonne chose. Toutes les armes sont bonnes à prendre compte tenu de la menace à laquelle nous faisons face. » Ajouta Rhaegar en mettant l'accent sur le pronom utilisé. Et il ne mentait guère. Si ses actions pouvaient porter à la confusion, son point de vue sur la résistance n'avait pas bougé d'un iota : il y voyait toujours l'ennemi.